> Préface > Introduction
1 - L’alimentation vue comme relations
2 - Les enjeux du système alimentaire contemporain
3 - L’alimentation au prisme de l’écologie
4 - Discuter les mots d’ordre de l’alimentation durable
5 - Une écologie de l’alimentation pour transformer les systèmes alimentaires
> Conclusion

Réinvestir la cuisine et le “fait-maison” ?

Auteur(s) : Bricas Nicolas, Dasgupta Anindita, Soula Audrey, Walser Marie, Zirari Hayat

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Le développement de l’industrie agroalimentaire et de la grande distribution a conduit à un usage croissant de produits transformés dans le quotidien alimentaire des mangeurs un peu partout dans le monde. Malgré les services que rendent ces produits, qui se conservent plus longtemps et facilitent le travail culinaire, certains d’entre eux font l’objet d’une critique sévère, en particulier pour des questions nutritionnelles. Souvent plus riches en sucres, en graisses et en sel, plus pauvres en fibres et en micronutriments, ils peuvent contenir divers additifs gustatifs, de coloration, de conservation et de texturation suspectés à risques pour la santé. C’est en particulier le cas pour les produits dits « ultra-transformés », c’est-à-dire issus d’une série de procédés industriels (Monteiro et al., 2019) (chapitres 6 et 7), qui contribueraient à une augmentation de l’obésité et des maladies non transmissibles comme le diabète de type 2 ou les maladies cardio-vasculaires (Monteiro et al., 2010  ; Lawrence et Baker, 2019). Les géants de l’agroalimentaire qui diffusent des produits industriels standardisés à l’échelle planétaire (céréales de petit-déjeuner, lait en poudre, huiles et sucre raffinés, biscuits, chips, hamburgers, cubes aromatiques, sodas, etc.) sont accusés d’uniformiser les alimentations (la « McDonaldization » de Ritzer, 2004) et de menacer la diversité des produits artisanaux ou de terroir. Le caractère « artificiel » des produits transformés renvoie en miroir à la question de la « naturalité » des aliments (Lepiller, 2012). L’usage croissant d’emballages et de suremballages des aliments génère des consommations d’énergie et des pollutions aux plastiques notamment (Ritchie et Rozer, 2018). La critique n’est pas seulement scientifique. Elle est largement véhiculée par les médias et reprise par les acteurs aux échelles locales qui contestent, plus généralement, le pouvoir et l’opacité des grandes entreprises agroalimentaires, y compris dans des pays où l’industrialisation est encore récente comme au Maroc (Zirari, 2020).

— Le retour du fait maison ?

Dans plusieurs régions du monde, ce rejet des produits alimentaires industriels se traduit par un nouvel engouement pour la cuisine, qui permet de consommer des plats fraîchement préparés à partir de produits alimentaires bruts ou peu transformés. La cuisine domestique (ou le « fait maison »), qui peut être perçue de façons très différentes selon les contextes (Mazzonetto et al., 2020), s’inscrit dans un imaginaire positif et se trouve à cet égard particulièrement valorisée (Daniels et al., 2012). Tout d’abord, le fait maison est considéré de meilleure qualité nutritionnelle et gustative que les préparations industrielles (Mathé et Hébel, 2015). La maîtrise de la nature et de l’origine des ingrédients ainsi que la naturalité associée au processus de prépa-ration contribuent à dissiper les anxiétés inhérentes aux prises alimentaires (Fischler, 1990). De plus, différentes études du champ de la nutrition suggèrent une influence positive de la cuisine maison sur la santé (Larson et al., 2006 ; Reicks et al., 2014 ; Mills et al., 2017 ; Wolfson et al., 2020).

Le fait maison joue aussi un rôle culturel pour les mangeurs. Le travail culinaire permet en effet de transmettre et de réinventer les traditions familiales ou communautaires. Au Maroc, la cuisine « à la main », faite « chez soi », inscrit d’emblée les mangeurs dans leur tradition alimentaire et culinaire (Soula et Zirari, à paraître). De même, dans les sociétés multi-ethniques comme la Malaisie, le fait maison permet d’exprimer le répertoire culinaire traditionnel et de réaffirmer régulièrement son ancrage culturel dans une société qui s’urbanise rapidement. Le goût joue un rôle dans ce processus d’identification, en ce qu’il ancre les mangeurs dans une culture familiale, locale ou nationale. D’un point de vue social, cuisiner permet de se relier aux autres et de leur témoigner des sentiments (Mazzonetto et al., 2020). Dans les imaginaires, c’est aussi un ciment familial (Plumauzille et Rossigneux-Méheust, 2019). Aux États-Unis par exemple, le fait maison entretient le moment idéalisé de partage du family dinner (Bowen et al., 2019). Pour le cuisinier ou la cuisinière, le travail peut être source de satisfaction, celle de prendre soin de soi, des autres, de sa santé et de son bien-être, et procurer le plaisir de « faire soi-même ». Enfin, la cuisine maison peut être plébiscitée pour des raisons économiques : il est fréquent d’entendre dire qu’il reviendrait moins cher de cuisiner chez soi que d’acheter des aliments déjà préparés dans les commerces ou les restaurants. Cet argument, notamment valable par le passé alors que les familles pouvaient être nombreuses, l’est toujours aujourd’hui et peut trouver un écho particulier chez les familles modestes ou de classe moyenne.

— Un travail fastidieux

Ainsi, les avantages associés à la cuisine faite maison sont nombreux et s’inscrivent dans les différentes dimensions de l’alimentation. Pourtant, une question reste souvent passée sous silence : comment s’organise-t-on pour cuisiner ? En tant que travail domestique, cuisiner consiste en la réalisation quasi quotidienne d’une longue série d’étapes plus ou moins anticipées : le contrôle des stocks, les achats alimentaires, la planification des repas, la préparation culinaire, le service, le débarrassage et la vaisselle. Cuisiner chez soi nécessite de gérer des ressources dans le respect de multiples contraintes parfois contradictoires, telles que le budget, le temps disponible, les préférences des convives, les ingrédients disponibles, etc. D’ailleurs, la réalisation de ce travail nécessite des compétences qui font l’objet d’une reconnaissance sociale. Au Maroc par exemple, la cuisinière est valorisée pour l’habileté de ses mains qui lui confère une expertise reconnue. De même en Malaisie, se pro-curer et cuisiner des produits frais et locaux du pasar malam (marché de nuit) ou du pasar tani (marché fermier), en évitant le gaspillage et en restant dans une certaine frugalité, sont des qualités valorisées par la famille.

Or cette approche du fait maison sous l’angle du travail domestique révèle deux éléments. D’abord, le coût économique de la cuisine domestique est souvent passé sous silence. En effet, si le fait maison était valorisé financièrement en intégrant le coût du travail, il pourrait devenir plus avantageux d’acheter des produits industriels que de cuisiner soi-même (Tharrey et al., 2018). Notons qu’à l’échelle mondiale, la valorisation économique de l’ensemble des activités domestiques (dont fait partie la cuisine) atteindrait 13 % du PIB de la planète (McKinsey Global Institute, 2015). Mais surtout, ce travail domestique reste encore largement assumé par les femmes. Dans les sociétés patriarcales, la norme d’une division genrée des rôles continue à assigner les femmes à un rôle reproductif et nourricier et les pose en responsabilité des tâches relatives à la cuisine. En 2010 en France, 82 % des femmes déclaraient ainsi s’occuper quotidiennement de la cuisine, contre 47 % des hommes (Ricroch, 2012). Et en 2011 au Maroc, l’enquête nationale « Emploi du temps » révélait que la cuisine est une activité délaissée par les hommes qui, toutes catégories socioprofessionnelles confondues, n’y consacrent que 5 minutes par jour en ville (3 minutes en zone rurale), contre 2 h 26 pour les femmes (3 h 05 en zone rurale) (Haut-Commissariat au Plan, 2019).

— La cuisine, lieu de lecture des rapports de genre

Généralement, la cuisine domestique est considérée comme une activité féminine intergénérationnelle, qui occupe mères, filles et grands-mères, l’approvisionne-ment en ingrédients pouvant être réalisé par les hommes suivant les prescriptions des femmes. Mais la préparation en tant que telle est gérée au quotidien par les femmes du foyer, avec l’aide éventuelle d’autres femmes (du réseau familial, du voisinage ou qui sont employées). Les compétences culinaires des femmes ont d’ailleurs été – et le sont encore dans une certaine mesure – un critère de jugement social : leur capacité à bien gérer la cuisine et à faire plaisir à leur mari est censée asseoir leur valeur, faisant d’elles des « femmes modèles ». Si les hommes peuvent aussi décider d’eux-mêmes de cuisiner, c’est généralement lors d’occasions exceptionnelles de la vie collective et communautaire.

En tant que responsables de la cuisine, les femmes sont soumises à une forte charge mentale, qu’elles portent souvent seules. Car cuisiner ne se limite pas à ce qui se passe dans la cuisine (Counihan, 1999 ; Dupuy, 2017 ; Haicault, 1984). Cela suppose de penser, de planifier, de gérer l’approvisionnement et les stocks en aliments, en énergie de cuisson comme en ustensiles, de préparer la table, de servir, de débarrasser, de nettoyer et de gérer les déchets. Répétées quotidiennement, ces tâches peuvent être vécues comme une contrainte. Destinée au soin des autres (principalement les enfants, les époux et les personnes âgées), la cuisine domestique met les femmes face à des arbitrages entre ce qu’elles doivent faire et ce qu’elles aspirent à être. Elles sont partagées entre la responsabilité de devoir cuisiner maison, selon les préférences et les besoins des différents membres de la famille, et l’envie de s’alléger de cette responsabilité routinière. Au Maroc, les hommes vivant seuls apprennent à se faire à manger. Mais ils relèguent souvent cette tâche à l’épouse après le mariage, qui est souvent perçue comme gardienne d’une tradition culinaire à laquelle ils sont attachés. Ils entretiennent ainsi un imaginaire dans lequel la cuisine du temps d’avant, la cuisine de chez soi et la cuisine de la mère sont sublimées (Zirari, 2020).

Les femmes cherchent aujourd’hui à mettre en lumière la charge mentale qui est la leur, et pour certaines à s’émanciper du rôle nourricier qui leur est attribué, tandis que d’autres recherchent une plus grande équité à travers sa reconfiguration. Depuis quelques décennies, on observe dans de nombreux pays du monde des changements significatifs dans les structures sociales, les organisations familiales et la répartition des attributs de genre. En particulier, l’urbanisation a favorisé l’accès des femmes au travail rémunéré et leur a permis de gagner en autonomie économique et financière. De même, les jeunes filles sont de plus en plus scolarisées. Aussi, au sein des foyers urbains, les femmes ont généralement moins de disponibilité et d’envie d’assurer les activités culinaires, en plus des autres travaux domestiques dont elles ont la charge. D’autant que, si manger à la maison reste souvent la norme, la diversification des lieux de préparation culinaire et de consommation alimentaire en ville offre de nouvelles options que les familles intègrent dans leurs pratiques alimentaires. Afin d’alléger le poids quotidien de la gestion culinaire, les femmes profitent d’une évolution de la norme sociale pour renégocier sa prise en charge au travers de deux processus.

Premièrement, par la redistribution du travail culinaire : dans les foyers, il tend à être de plus en plus partagé au sein des couples (sans que cela soit équitable pour autant). Si les femmes restent responsables de la cuisine, les hommes apportent plus volontiers leur aide, et affichent, pour un certain nombre d’entre eux, un intérêt tempéré mais assumé pour la cuisine : par plaisir, pour découvrir, créer, innover ou tester des recettes (Zirari et al., à paraître). C’est aussi une manière de se faire valoir, de se présenter comme un homme « moderne », en phase avec son temps, à l’heure où la cuisine est tellement valorisée à travers les médias.

Deuxièmement, par la réduction du travail culinaire  : dans les sociétés industrialisées, le travail culinaire peut être réduit, voire externalisé, notamment grâce aux diverses opportunités offertes par la vie urbaine. Tout d’abord, cette charge peut être allégée par l’introduction de changements dans la gestion des repas : simplification, congélation des surplus pour une utilisation ultérieure, recours à des aides. À noter que cette sous-traitance de l’activité culinaire auprès d’aides ménagères ou de jeunes filles de la campagne, accueillies, nourries et logées en ville en échange de leur travail domestique, renvoie à un déplacement des inégalités. En effet, ce sont souvent des femmes qui restent en charge de la cuisine, éventuellement de classes sociales inférieures. La cuisine peut aussi être externalisée : cantines, street food, restaurants. Avec l’augmentation des niveaux de vie en ville, une large offre de restauration s’y est développée et rend accessibles des nourritures diverses répondant aux contraintes de nombreux régimes alimentaires, souvent peu chères et perçues comme qualitatives. À noter que pour les femmes, manger chez des amis ou en famille, au restaurant ou dans la rue, permet d’introduire des ruptures, temporaires ou périodiques, avec l’activité culinaire.

Si les pratiques liées à la cuisine et les rapports de genre associés évoluent, ces changements sont encore lents. Le retour forcé à la cuisine domestique provoqué par les confinements et la fermeture des restaurants liée à la pandémie de Covid-19 ne semblent pas s’être traduits par une véritable redéfinition de la division genrée du travail. Au Maroc, si le contexte du confinement s’inscrit dans une continuité en matière de rapports de genre, dans le sens où la majorité des femmes se sont vu obligées d’assurer l’ensemble de la préparation des aliments et de la confection des repas, il a tout de même laissé apparaître de nouvelles pratiques masculines en relation avec la cuisine, notamment relayées via les réseaux sociaux (Zirari et al., à paraître). À l’inverse, les femmes malaisiennes qui jouissaient d’une certaine liberté par rapport aux activités culinaires ont été soumises à l’injonction de redevenir les gardiennes de l’espace domestique (Dasgupta et Mognard, 2020). Dans la société malaisienne, les aliments faits maison sont toujours très appréciés, bien que, selon le baromètre alimentaire malaisien publié en 2014, ce pays présente peut-être l’une des fréquences les plus élevées au monde de consommation d’aliments hors domicile et une forte corrélation avec l’urbanisation (Poulain et al., 2015 ; 2020).

— Comment valoriser économiquement le travail culinaire ?

Il est singulier de constater que dans les encouragements à valoriser la cuisine plutôt que le recours aux aliments transformés, la référence implicite est bien souvent celle de la cuisine domestique, dans les deux sens du terme : à la maison et sous forme d’un travail non marchand. Certes, le passage dans la sphère marchande de la préparation des repas peut apparaître à certains comme une victoire de la marchandisation du monde. On constate d’ailleurs que la restauration est devenue un (nouveau) secteur d’activité qui attire les investisseurs du fait, en particulier, du développement d’outils numériques. La généralisation de l’accès à Internet et des smartphones, surtout dans les villes, facilite la possibilité de commander à distance. Les entreprises de livraison et certaines chaînes de restaurants investis-sent aujourd’hui dans des activités limitées à la production de plats cuisinés sur commande : micro-cuisines en conteneur ou en sous-sol dédiées à la réalisation d’une seule spécialité, appelées « dark  », « virtual  », « cloud  » ou encore « ghost kitchens ».

Cette marchandisation de la cuisine prend aussi d’autres formes, moins « industrielles ». On s’intéresse ici aux opportunités offertes par la marchandisation de la cuisine domestique pour faire évoluer les rapports de genre relatifs à l’activité culinaire. Depuis des décennies, il existe par exemple dans certaines villes africaines des pratiques de vente de plats surnuméraires par rapport aux besoins de la famille. Des femmes qui cuisinent chez elles vendent des portions de plats excédentaires à des « abonnés » (célibataires, ruraux venus passer quelques mois en ville, etc.). Ils prennent un « abonnement » pour une durée déterminée qui leur garantit un accès quotidien à un plat « familial ». Ils peuvent soit emporter le plat qu’ils viennent cher-cher, parfois se le faire livrer par un enfant de la famille, soit venir le consommer sur place, souvent avec d’autres abonnés. Cette pratique permet à la fois à des familles de réduire le coût de revient de leur alimentation et à des consommateurs d’accéder à une cuisine de type familial à coût très raisonnable. Au Brésil, cette pratique existe également et se développe grâce aux réseaux sociaux. Les plats proposés par des familles sont indiqués sur des sites Internet où il est possible de les commander à l’avance avant de les récupérer. Les achats d’ingrédients se font en demi-gros et donc à des prix plus avantageux, et la cuisson en relativement grande quantité permet des économies d’énergie. Les clients s’affranchissent de la charge mentale d’organiser et de cuisiner les repas, accèdent à une cuisine variée, qui peut valoriser des spécialités culinaires régionales ou intégrer des préoccupations nutritionnelles ou environnementales (légère, sans viande, bio, etc.). Les prix sont en outre intéressants car équivalents, voire inférieurs à ceux des repas préparés soi-même.

En Asie, on constate une augmentation de la vente d’aliments faits maison, qui doivent être commandés à l’avance en ligne. Il ne s’agit pas ici d’une stratégie visant à vendre des aliments « excédentaires » : cette forme de commercialisation est le fait de micro-entreprises à domicile qui font leur promotion sur les réseaux sociaux. Toutefois, en l’absence de règles formelles d’hygiène et de contrôles indépendants, ces dispositifs informels peuvent être suspectés de risques sanitaires, argument souvent brandi par les entreprises industrielles et les associations de consommateurs. La confiance dans la qualité des plats est en fait assurée par des relations interpersonnelles et par la réputation des cuisiniers ou cuisinières, que l’on se recommande par le bouche-à-oreille ou par les notations de satisfaction sur les réseaux sociaux.

Que les femmes délèguent la cuisine soit à des aides ménagères qu’elles hébergent et nourrissent ou rémunèrent, soit à des amies ou des proches ayant du temps libre et qu’elles payent, soit à des restauratrices réputées du quartier, soit encore qu’elles vendent une part supplémentaire de ce qu’elles cuisinent elles-mêmes pour la famille, il s’agit bien d’une marchandisation de la cuisine domestique. La reconnaissance du savoir-faire, de la charge mentale et du travail n’est plus seulement sociale et symbolique, elle devient économique. Et, de ce fait, elle modifie les rapports de genre. D’une part, elle contribue à l’augmentation de l’autonomie économique et financière des femmes et fait reconnaître, par les revenus générés, un travail jusque-là invisible (Abarca, 2007). D’autre part, et parce que l’activité devient lucrative et sort de la sphère purement domestique, cette marchandisation peut éventuellement permettre de redéfinir les frontières genrées des espaces économiques. Des hommes se lancent ainsi dans la restauration, comme ils l’avaient déjà fait dans la mécanisation et la motorisation de certaines activités de transformation faites par les femmes à la maison : décorticage et mouture des grains, pressage des huiles, etc. À l’inverse, on voit aussi des femmes s’investir dans des activités culinaires jusque-là dominées par les hommes comme le grillage de la viande (Boubakar-Akali, 2020). Et lorsque la cuisine marchandisée sort du domicile pour devenir une activité commerciale, le comportement des femmes peut devenir proche de celui que l’on reconnaissait « symboliquement » aux hommes, jusqu’à dénommer, comme on le voit à Abidjan en Côte d’Ivoire, ces artisanes commerçantes comme des « femmes-mâles » (Egnankou, 2020).

— Conclusion

La marchandisation de la cuisine domestique, en ce qu’elle rend disponibles des plats qui non seulement valorisent les cultures alimentaires, mais constituent aussi une alternative à une nourriture industrielle pas toujours saine et à une offre de restauration éventuellement onéreuse, produit des effets intéressants. Cette marchandisation permet en outre aux femmes qui y ont recours de retirer un bénéfice, notamment financier, de leur activité culinaire. Toutefois, il convient de garder à l’esprit qu’en restant assignées au travail culinaire, les femmes demeurent attachées à des fonctions peu valorisées, qui relèvent de l’allant de soi et sont encore majoritairement invisibilisées. Aussi, au-delà des opportunités offertes par la marchandisation de la cuisine domestique, la remise en question de cette assignation reste une priorité.

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