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Le système participatif de garantie agroécologique du Mouvement d’Action Paysanne : une réappropriation paysanne et citoyenne de l’alimentation 

Mathilde Gourion-Retoré

MOTS-CLÉS : LIEN PRODUCTEUR-MANGEUR, PARTICIPATION, AUTONOMIE ALIMENTAIRE, CERTIFICATION, ENGAGEMENT CITOYEN ET PAYSAN

En Belgique, le Mouvement d’Action Paysanne (MAP) a initié en 2015 un système participatif de garantie (SPG) à la ferme Arc-en-ciel. Le SPG agroécologique du MAP est une certification qui repose sur la collaboration entre les producteurs, les mangeurs et le MAP, garantissant le respect d’un cahier des charges co-construit. Ensemble, ils définissent des objectifs afin de tendre vers un idéal de production agroécologique. Le produit est non seulement cultivé sans intrants chimiques, mais il crée aussi du lien entre producteurs et mangeurs dans une ambition de justice sociale et écologique. Grâce au SPG, producteurs et mangeurs se réapproprient le pouvoir sur l’alimentation.

LES ORIGINES DE LA CERTIFICATION EN AGRICULTURE BIOLOGIQUE

L’émergence des systèmes de certification de l’agriculture en Europe

La certification des producteurs s’est développée en Europe à partir des années 1940 en réponse à l’intensification et l’industrialisation de l’agriculture (Cifuentes et al., 2018). Les producteurs se sont organisés en associations afin de valoriser leurs produits et pratiques. Les premiers standards d’agriculture biologique sont privés et gérés par des associations de producteurs.

Au cours des années 1980, l’État français reconnaît l’agriculture biologique (AB) puis définit un standard officiel. Le label AB est créé en 1985 par le ministère chargé de l’Agriculture. Le cahier des charges de cette certification publique se concentre sur les critères environnementaux.

En 1991, l’Union européenne (UE) établit officiellement des standards de production biologique afin de rendre la certification plus efficace, transparente et adaptée à la commercialisation sur les marchés. Les règles de production, de certification et de contrôle des produits issus de l’agriculture biologique sont fixées par une norme européenne.

La diffusion du modèle de certification par tierce partie

La certification en agriculture biologique fonctionne grâce un processus de reconnaissance de qualité selon des standards dont le contrôle repose sur des organismes extérieurs. On parle de « certification par tierce partie (CTP) » (Figure 1). Ce modèle de certification est le seul reconnu par l’UE. Le recours à un organisme tiers a pour but de préserver la crédibilité du label en assurant une séparation entre producteurs et certificateurs.

Les organismes certificateurs exercent grâce à une accréditation. En France, les accréditations sont délivrées par le Comité français d’accréditation (Cofrac). Dans le cas du label AB – qui est public –, les organismes certificateurs doivent également être agréés par l’Institut national de l’origine et de la qualité (Inao).

La CTP répond au besoin de reconnaissance officielle de la production biologique et aux enjeux de commercialisation. Cependant, certains acteurs lui préfèrent un autre modèle : le système participatif de garantie (SPG) qui admet un contrôle par les pairs.

Les systèmes participatifs de garantie, un modèle alternatif
L’obligation de se conformer à une CTP pour obtenir le label AB n’empêche pas l’existence de labels privés plus exigeants, comme celui de Nature et Progrès (N&P). Créée en 1964 en France, N&P est l’une des associations pionnières de l’agriculture biologique. Dès 1972, elle élabore le premier cahier des charges de l’agriculture biologique et attribue la certification N&P. Au-delà des critères environnementaux, cette certification inclut des critères éthiques et sociaux. Producteurs, consommateurs et représentants de l’association participent au processus de certification : on parle de « certification par les pairs » ou de système participatif de garantie (Figure 2).

Les SPG sont des « systèmes d’assurance qualité orientés localement. Ils certifient les producteurs sur la base d’une participation active des acteurs concernés et sont construits sur une base de confiance, de réseaux et d’échanges de connaissances » (IFOAM, 2008).

Les modalités du SPG (cahier des charges et mode de contrôle) sont discutées par les parties prenantes. Le pouvoir de décision est donc entre les mains des acteurs concernés. Ce modèle de certification a été adopté par le Mouvement d’Action Paysanne (MAP), une association qui a conçu un SPG agroécologique en Belgique.

LE SPG AGROÉCOLOGIQUE DU MAP : UNE CERTIFICATION POUR ALLER AU-DELÀ DU LABEL AB

Aux origines du SPG agroécologique du MAP

Suite à la réglementation de 1991, N&P Belgique impose le label AB comme pré-requis à sa certification, ce qui n’est pas le cas en France. Cette décision induit une charge administrative et un coût pour les producteurs belges. Certains refusent la certification par tierce partie. Serge Peereboom, représentant SPG du MAP et paysan de la ferme Arc-en-ciel en Wallonie, la voit comme un système « sanctionnateur » (Peereboom, 2021).

En 2015, une rencontre internationale entre paysans est organisée en Wallonie. Nancy Coparicona Quispe, responsable de l’Asociación de Organizaciones de Productores Ecológicos de Bolivia, présente les SPG. En tant qu’association qui défend le droit des paysans, le MAP perçoit le SPG comme une opportunité de « faire entendre [leurs] voix paysannes » (Peereboom, 2021). Cette vision est partagée par les groupes d’achat solidaire de l’agriculture paysanne (GASAP).

Les fiches du référentiel agroécologique, un cahier des charges commun

Entre 2015 et 2017, les GASAP et le MAP travaillent ensemble pour élaborer leurs SPG. Ils définissent un cahier des charges commun adapté aux contraintes locales et à leurs valeurs. Celui-ci se présente sous forme de dix fiches de référentiel agroécologique qui permettent aux producteurs de « tendre vers un idéal : c’est un cheminement » (Peereboom, 2021). Il s’agit « d’aller plus loin que le label bio qui est devenu non chimique et a malheureusement été récupéré par l’industrie ».

Les fiches du référentiel agroécologique présentent des critères plus exigeants que le label AB tout en restant compréhensibles par les producteurs et les mangeurs. Chaque fiche aborde de façon didactique des sujets complexes comme la solidarité entre les paysans et les mangeurs, le sol, l’énergie, le prix juste, etc.. Elle indique ce vers quoi il faut tendre, ce qui ne fait pas partie de la vision portée par le référentiel, les questions qui permettent de réfléchir au sujet, les ressources et les outils disponibles (Figure 3).

En parallèle de la conception des fiches, les GASAP et le MAP ont chacun élaboré leur propre SPG avec leurs membres.

La démarche de certification

Le MAP utilise les fiches du référentiel agroécologique comme cahier des charges pour son SPG et suit une démarche spécifique (formation, questionnaires, visite) avant la remise de la certification (Figure 4).

Des formations SPG sont organisées par le MAP plusieurs fois par an dans les fermes intéressées. D’autres producteurs ou porteurs de projets peuvent s’y joindre. La formation est accessible financièrement (20 € à 100 € pour deux jours) et vise à passer de la théorie à la pratique.

Le SPG étant un modèle participatif, il est essentiel que le producteur mobilise certains mangeurs pour l’accompagner. Refusant l’aspect marchand et consumériste de l’alimentation, le MAP préfère parler de mangeurs plutôt que de consommateurs. D’après Serge Peereboom (2021), recréer ce lien permet « aux mangeurs d’essayer de comprendre les réalités du monde paysan, et au paysan de comprendre les réalités du citadin ou du villageois qui est déconnecté de la nature ».

Le délégué du MAP transmet un questionnaire au producteur et aux mangeurs pour faire un état des lieux de leurs pratiques agricoles et alimentaires. Les réponses sont partagées en amont de la visite de la ferme.

La visite, organisée par le délégué du MAP, permet aux mangeurs et au producteur de discuter de leurs réponses et de clarifier, si besoin, des points de questionnement. Par exemple, cultiver des tomates en hiver nécessite une serre chauffée. Il appartient aux participants de décider de privilégier l’aspect environnemental (énergie) ou l’aspect gustatif (diversité des légumes). Cet échange met en relation les contraintes et attentes de chacun et engendre une relation privilégiée entre producteur et mangeurs. Juliet D. (2021), mangeuse, se considère comme une « partenaire » : « Il n’y a pas d’intermédiaire entre le producteur et le partenaire. Il n’y a pas de secret donc la confiance est là. » La visite se déroule en présence d’un autre producteur qui apporte un regard professionnel et suggère des solutions grâce à son expérience. Ensemble, producteur, producteur accompagnant, mangeurs et délégué du MAP identifient les points forts et les points faibles de la ferme et définissent des objectifs annuels.

Le délégué du MAP synthétise ces objectifs dans un rapport de visite. Si les motivations du producteur correspondent à l’idéal décrit dans les fiches du référentiel agroécologique, le rapport de visite est validé par le MAP. Le producteur est certifié SPG.

Les fleurs SPG : logos et outils évolutifs

Il existe deux fleurs SPG qui servent à la fois de logo à la certification et d’outil de suivi de l’évolution de la ferme. Après la première visite, le producteur reçoit la certification pré-SPG : une marguerite à cinq pétales (Figure 5) qu’il peut afficher dès le début de son engagement. La marguerite SPG possède cinq critères : l’aspect gustatif des produits (pétale bon), le caractère sain (pétale propre), la nature de l’activité (pétale vital), la justice sociale (pétale juste) et la filière (pétale local). Chaque pétale est colorié selon le degré d’implication. Par exemple, la vente peut avoir lieu en Belgique ou à moins de 5 km de la ferme. Cet outil visuel et éducatif facilite la discussion avec les mangeurs durant les ventes.

Si le producteur a suivi ses engagements, la marguerite pré-SPG est remplacée par la fleur SPG dès la seconde année. Plus complète, la fleur SPG compte quinze critères (un par pétale). Les producteurs indiquent sur chaque pétale leur degré de progression grâce à des pastilles (Figure 6). Sept niveaux, de la base du pétale à son extrémité, témoignent de leurs pratiques. Par exemple, sur le pétale 11, « énergie fossile », un producteur peut être « en questionnement » (niveau 1, une pastille sera apposée au bas du pétale). Sur le pétale 10 « le sol, un être vivant », il peut avoir des pratiques avancées depuis plusieurs années et être dans « le partage de pratique » (niveau 6, une pastille sera apposée vers l’extrémité du pétale). Les pastilles indicatives reflètent la diversité des pratiques des producteurs.
L’idée est que « toutes les fleurs sont belles » (Peereboom, 2021). Chacun progresse selon ses contraintes (pédoclimatiques, énergétiques, etc.) et les attentes de ses mangeurs. Chaque année, une visite est organisée et la fleur SPG évolue.

De la ferme Arc-en-ciel à la « plateforme SPG » : une diffusion du modèle en Wallonie

Serge Peereboom est un membre du MAP et un paysan engagé pratiquant l’agroécologie à la ferme Arc-en-ciel depuis 1994. Refusant le label AB et ne pouvant en conséquence prétendre au SPG de N&P Belgique, créer un SPG lui semblait « évident pour faire entendre [les] voix paysannes » (Peereboom, 2021). Après la rencontre avec Nancy Coparicona Quispe en 2015, la ferme Arc-en-ciel a été le lieu d’élaboration d’un SPG agroécologique, qui est devenu le SPG agroécologique du MAP lors de sa concrétisation plus formelle deux ans plus tard.
Entre 2018 et 2020, deux maraîchers, deux éleveurs et une ferme mixte (céréales et élevage) ont été certifiés par le SPG agroécologique du MAP. Ces fermes employaient des pratiques agroécologiques sans être labellisées AB. Au total, en janvier 2021, six fermes possèdent la fleur SPG.

Depuis février 2021, le MAP bénéficie d’un soutien financier de la Région wallonne. La Région voit dans le SPG un moyen de dynamiser le territoire et de soutenir la production locale. L’objectif est de certifier quarante fermes d’ici 2022.

La ferme Le Nord regroupe des maraîchers intéressés par le SPG agroécologique du MAP. Simon Cabane et Justine Denos pensent que ce SPG « correspond davantage aux réalités paysannes, du terrain et surtout à des réalités économiques qui sont passées sous silence ou méconnues des mangeurs » (Cabane, 2021 ; Denos, 2021). Ils considèrent qu’ils essayent de « faire avancer » la problématique de l’alimentation durable mais qu’ils ne peuvent pas « le faire tous seuls ». Ils sont attirés par « l’idée de pouvoir se rencontrer et travailler les uns avec les autres ».

Enfin, depuis 2019, la « plateforme SPG » rassemble plusieurs acteurs ayant un SPG (MAP, GASAP, Terre-en-vue, Agricovert). Elle facilite le partage de connaissance et instaure une équivalence entre ces SPG. Chaque association conserve son SPG mais peut être estampillée SPG commun par la Commission SPG de la plateforme. Cette initiative récente est en cours de développement. Le but est de permettre aux producteurs d’un SPG de valoriser leurs produits via différents réseaux.

LE SPG : UNE RÉAPPROPRIATION DU POUVOIR PAR LES PAYSANS ET LES MANGEURS

Le label AB critiqué par les défenseurs d’une autre vision de l’agriculture durable

En 1991, la création d’un label AB par l’UE favorise la commercialisation à l’étranger (Cifuentes et al., 2018). Afin d’assurer l’équité et l’impartialité du processus, le label AB est décerné par des organismes tiers.

Cependant, des producteurs refusent la certification par tierce partie pour plusieurs raisons (Cuellar-Padilla et Fernandez, 2018) :
1/ La CTP représente un coût annuel (entre 450 € et 1 000 €) et peut créer un sentiment d’injustice : « Payer pour prouver que l’on travaille bien, c’est un non-sens par rapport à ceux qui ne respectent pas la nature et qui ne paient rien » (Peereboom, 2021).
2/ Le pouvoir décisionnel n’est pas entre les mains des producteurs. Ils ne sont pas associés à la construction du cahier des charges. Ce dernier est discuté par les représentants politiques et inscrit dans une norme. La certification est menée par des organismes extérieurs au lieu de confrères.
3/ Afin d’encourager l’adoption du label AB, les critères concernent l’absence d’intrants chimiques. Certains reprochent au label AB de s’être éloigné des valeurs portées initialement par le mouvement biologique. Le label AB n’inclut pas de critères sociaux ou éthiques et ne prend pas en compte la complexité des écosystèmes. Des pratiques comme la production intensive de produits hors saison dans des serres chauffées n’empêchent pas l’obtention du label AB. En 2021, une enquête de la Radio Télévision Belge Francophone (Hodeige, 2021) a révélé que des légumes labellisés AB étaient produits en Espagne par des travailleurs exploités.
4/ La commercialisation à l’international est perçue par certains producteurs comme un soutien à une logique capitaliste. Les aliments labellisés AB produits en France sont mis en concurrence avec des aliments AB étrangers. Or, les coûts de production diffèrent selon les pays. La certification peut alors favoriser les schémas conventionnels : le consommateur s’oriente vers les produits les plus accessibles et les entreprises cherchent à minimiser leurs coûts en s’implantant dans des pays à faible coûts de production.
5/ La technicité et la bureaucratie associées à la CTP ne sont pas adaptées aux contraintes des petits producteurs.

Ainsi, le label AB ne répond pas aux besoins et contraintes de tous les producteurs.

Le SPG agroécologique du MAP, fruit de revendications militantes et citoyennes

Dans les pays en développement, le modèle SPG est encouragé par des organismes comme l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (Moura e Castro et al., 2019). Moins coûteux, participatifs, les SPG sont adaptés aux contraintes financières des petits producteurs qui désirent vendre leurs produits localement tout en bénéficiant d’une valorisation et d’un contrôle des pratiques.
En Europe, le coût du label AB représente évidemment un frein à son adoption par des petits producteurs mais n’explique pas à lui-seul l’absence de labellisation AB ou même son refus.

Les témoignages des producteurs et des mangeurs impliqués dans le SPG agroécologique du MAP révèlent d’autres motivations :
1/ Ils souhaitent se réapproprier le pouvoir sur leur alimentation en commençant par le pouvoir de décider des règles (par exemple : le cahier des charges). Le SPG fonctionne grâce à une gouvernance horizontale, sans intermédiaire ni tierce partie. Étant participatif, il répond davantage aux attentes de mangeurs et de producteurs militants qui exigent de la transparence et rejettent l’imposition de règles « top down » :
« [On veut] se réapproprier notre souveraineté alimentaire, ne plus se laisser prendre par le diktat de l’industrie et des contrôles » (Peereboom, 2021).
2/ Ils revendiquent une autonomie alimentaire et dénoncent la distance avec la production. Le système alimentaire dominant est caractérisé par des chaînes longues et spécialisées. Cela participe à la perte de savoirs. Le SPG est un moyen de recréer une relation éclairée avec l’alimentation :
« Pour moi, le SPG, c’est un état d’esprit. Beaucoup d’enfants ne savent pas comment les légumes poussent. On oublie trop souvent d’où vient notre nourriture, c’est trop facile d’aller la chercher au supermarché » (Jean-François A., 2021).
3/ Ils recherchent le lien social. Tous les répondants ont souligné l’importance du lien entre producteur et mangeurs. La venue à la ferme suscite une confiance, une proximité et même des amitiés. La ferme devient un espace de dialogue, un lieu de sociabilisation :
« Ce sont souvent de beaux moments d’échanges pour comprendre les réalités de chacun. Le lien [producteur-mangeur] est vraiment indispensable » (Peereboom, 2021).
« Ce contact direct amène à la confiance. Dans notre cas, je crois qu’on peut dire qu’on est devenus des amis » (Juliet D., 2021).
3/ La rencontre entre producteur et mangeurs permet le partage de connaissances. Des savoirs non agricoles sont aussi transmis. Juliet D. donne des conseils en santé et en plantes médicinales mais s’instruit également :
« On apprend souvent à la ferme Arc-en-ciel, sur la permaculture ou la qualité du sol, sur la différence entre organique et un sol qui vit » (Juliet D., 2021).
4/ Ils prônent une alimentation cohérente avec leurs valeurs. Une vision commune lie le producteur et ses mangeurs, que ce soit l’autonomie alimentaire, la protection de la planète, etc. L’alimentation est perçue comme un acte politique et citoyen :
« Mon rôle, ce n’est pas juste de venir chercher mon panier, c’est aussi de (…) soutenir l’agriculteur car ce n’est pas évident comme métier » (Juliet D., 2021).
« On refait le monde souvent quand on vient, on se rend compte que c’est important d’avoir une autonomie alimentaire » (Jean-François A., 2021).
5/ Ils sont à la recherche d’un idéal et veulent faire évoluer leurs pratiques. La certification SPG est davantage une démarche d’accompagnement qu’un contrôle basé sur le respect strict de critères obligatoires. L’amélioration est au coeur du processus SPG, contrairement au label AB qui est formalisé dans des normes :
« [Le label AB] est un label fini. Donc pour moi, il est déjà obsolète » (Cabane, 2021).

Ainsi, le SPG agroécologique du MAP propose un autre système alimentaire : plus local, plus juste, plus humain. Mais ce système est-il adaptable à plus grande échelle ?

Un outil localisé qui s’adresse à des producteurs et mangeurs engagés

Le SPG agroécologique du MAP nécessite une participation des mangeurs au-delà de l’achat des produits. Cet engagement n’est pas facile à susciter (Lemeilleur et Allaire, 2018). En Wallonie, seuls un à trois mangeurs par ferme s’impliquent et ce sont des mangeurs sensibilisés. Cela est suffisant pour certifier une ferme mais pose la question de la dimension participative de la certification et de sa réplicabilité. La participation de personnes militantes peut s’expliquer par le fait que cette initiative est récente.

La majorité de la population étant urbaine, son implication auprès des producteurs sera difficile à obtenir. Le SPG est donc un outil adapté aux petits producteurs en circuits courts. S’il devait changer d’échelle, le modèle pourrait respecter la démarche de certification grâce à l’implication de mangeurs volontaires (pas forcément clients de la ferme), mais la dimension sociale serait moins présente.
Une reconnaissance officielle des SPG favoriserait leur développement (Lemeilleur et Allaire, 2018 ; Cifuentes et al., 2018). Des pays comme la Bolivie et le Brésil reconnaissent ce modèle, ce qui facilite la vente sur des marchés extérieurs. En Europe, les SPG ne sont pas reconnus officiellement car le contrôle par les pairs fait craindre une partialité du processus (connivence, ententes) et un manque d’expertise lors des contrôles (Sénat, 2018). Pourtant, la CTP n’est pas exempte de critiques : le fait de payer son certificateur fait également craindre un risque de collusion. Cette non-reconnaissance limite la diffusion de ce modèle et empêche les producteurs certifiés par un SPG de recevoir des aides spécifiques à l’agriculture durable. La mise en place de roulements lors des contrôles et l’instauration d’un système ouvert à tous (avec un renouvellement des participants) sont des solutions pour diminuer les risques de partialité.

Certains producteurs redoutent cependant qu’une reconnaissance officielle des SPG entraîne une « récupération, comme l’industrie a récupéré le bio labellisé » (Peereboom, 2021). Sylvaine Lemeilleur (2021) parle de « désappropriation » qui peut survenir du fait des industries mais également des États s’ils définissent des critères trop stricts quant au fonctionnement des SPG. Une reconnaissance officielle pourrait également augmenter le poids des démarches bureaucratiques.
D’autre part, contrairement au label AB qui mesure des critères définis, le SPG dépend de la bonne volonté des producteurs. Des produits cultivés différemment sont vendus sous la même certification (la fleur SPG). Ce système de progression volontaire, assez souple et avec un contrôle annuel, pourrait être détourné de ses valeurs s’il était utilisé par des fermes ayant une approche marchande de la certification (prix premium, minimisation des coûts et contraintes). Un changement d’échelle impliquerait de définir des règles pour prévenir des abuse système actuel reposant principalement sur la confiance.

Enfin, le modèle SPG facilite l’émergence de certifications locales ce qui peut engendrer une multiplicité de signes de qualité (MAP, GASAP, etc.). Cela diminue la lisibilité pour les consommateurs qui sont déjà exposés à de nombreuses certifications (commerce équitable, bio, raisonné, etc.). L’initiative d’un SPG commun par la plateforme SPG semble donc essentielle pour dépasser le local et diffuser le modèle SPG auprès d’un plus large public.

CONCLUSION

Le SPG agroécologique du MAP est né du désir de proposer aux petits producteurs en Belgique une alternative au label AB. Il favorise le lien social entre producteurs et mangeurs qui partagent une même vision de l’alimentation. Ensemble, ils tendent vers un idéal agroécologique et se réapproprient le pouvoir sur leur alimentation. Chacun peut « redevenir paysan avec les paysans » (Peereboom, 2021).

Cette initiative, empreinte de militantisme paysan, a le mérite de souligner les limites du système alimentaire actuel et de montrer qu’un autre système est possible. Mais elle demeure locale et ne semble pas adaptée à la majorité des fermes qui sont en filière longue, comme le montre la difficulté à changer d’échelle. Une reconnaissance officielle des pratiques agricoles durables, par exemple à travers un label d’agroécologie avec des critères définis, permettrait un changement d’échelle mais ne comprendrait pas la dimension sociale qui caractérise les SPG. Ainsi, deux stratégies de transition vers des pratiques durables s’affrontent (O’Neill, 2019) :
1/ Rassembler un maximum d’exploitations sous un label aux exigences atteignables et mesurables, ce qui ne permettra probablement qu’une transition lente (« incremental change ») du système alimentaire distant et industriel.
2/ Exercer les pratiques agricoles les plus contraignantes et durables dans un petit nombre de fermes pionnières (« radical change ») à la marge du système alimentaire dominant et certifiées par un label idéaliste, évolutif et participatif.

Auteure : Mathilde Gourion-Retoré