Accueil> Rencontres> JIPAD> JIPAD 2022 > Antoine Gantiez
La mise en commun des moyens humains et financiers sous la forme d’exploitations collectives peut apparaître à bien des égards comme une solution aux problèmes évoqués en introduction à ce chapitre. Il ne s’agit cependant pas d’une innovation ; de nombreuses exploitations sont aujourd’hui déjà gérées de façon collective. En 2018, selon la mutualité sociale agricole MSA, 58 % des chefs d’exploitation exerçaient leur activité dans une exploitation ou une entreprise constituée en société (MSA, 2020). Cela n’empêche pas les conditions de vie des agriculteurs d’être particulièrement difficiles, au point que le suicide y est largement plus élevé que dans les autres professions . De nouvelles formes de fermes coopératives sont en train d’émerger, avec un fonctionnement souvent assez différent de celui des exploitations agricoles actuelles. Les activités au sein de ces nouvelles formes d’exploitations collectives sortent parfois du cadre « classique » de l’activité agricole (restaurant, magasin de producteurs, friperie, etc.).
Dans le cadre de cette synthèse, nous aurons notamment l’occasion d’aborder le cas de la ferme des Volonteux, située dans la Drôme. Ce projet n’aurait pas pu être construit sous forme de groupement agricole d’exploitation en commun (GAEC), qui représente pourtant un statut de référence de notre système agricole.
Nous commencerons par un court rappel sur les statuts juridiques agricoles « classiques ». Nous présenterons ensuite les nouveaux statuts coopératifs, avant d’aborder plus en détail les différences, avantages et défauts de ces statuts par rapport aux statuts « classiques ». Enfin, nous mettrons en avant un certain nombre de limites et de freins au développement de ces statuts coopératifs en agriculture.
L’EARL
L’exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) est un statut juridique agricole créé par la loi du 11 juillet 1985 (Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, 2019). Cette loi dispose que l’EARL peut être constituée pour l’exercice d’une activité agricole du type élevage ou culture telle que :
– l’activité d’un exploitant agricole dans le prolongement de l’acte de production ou en support de l’exploitation ;
– les cultures marines ou marais salants ;
– la préparation et l’entraînement d’équidés ;
– la production de biogaz, d’électricité et de chaleur par méthanisation quand elle est issue au moins à 50 % de l’exploitation agricole.
L’EARL fonctionne à peu près comme une société anonyme (SA) standard. Elle compte un à dix associés (uniquement des personnes physiques), répartis en deux catégories : les associés exploitants et les associés « simples ».
Les associés exploitants doivent être majeurs, participer activement aux travaux de l’exploitation, être majoritaires et détenir plus de 50 % des parts de capital ; ce sont les seuls susceptibles d’être gérants de l’EARL. Les associés simples sont juste des apporteurs en capitaux. En 2016, on estimait le nombre d’EARL en France à 79 000.
Le GAEC
Un autre statut très courant pour les exploitations agricoles est celui de GAEC. Il représentait 44 700 exploitations en activité (Vouillot et Vaucelle, 2018). Il s’agit d’une forme de structure agricole définit dans la loi du 8 août 1962 comme une « société civile agricole de personnes permettant à des agriculteurs associés la réalisation d’un travail en commun dans des conditions comparables à celles existant dans les exploitations de caractère familial » (Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, 2019).
Le GAEC a émergé à la suite de revendications de jeunes agriculteurs cherchant à transformer le cadre classique de l’exploitation familiale (Barthez, 2007). Cela passe par la mise en commun de la force de travail, des terres et des moyens financiers, afin d’accéder plus facilement à la mécanisation et au progrès technique promu à l’époque. Un GAEC peut regrouper de deux à dix associés, pour peu qu’ils soient majeurs et agriculteurs à titre principal, dans une durée fixée par les statuts. Les associés apportant en capital sont considérés comme chefs d’exploitation et ont un statut d’agriculteur. Ceux qui apportent en industrie (leurs compétences particulières) ont le statut fiscal de chef d’exploitation et le statut social de salarié. Tous sont censés participer de façon égale aux travaux et à la gestion du groupement.
Dans le cadre d’un GAEC « total » (mise en commun de l’intégralité des exploitations des associés), les associés sont censés exercer 100 % de leur activité professionnelle sur l’exploitation. Cela exclut donc la pluriactivité, qui n’est possible que dans le cadre d’un GAEC dit « partiel » et à condition que l’ensemble des associés accepte de choisir ce statut. Le principal avantage du GAEC « total » est de permettre de bénéficier du mécanisme de transparence GAEC. Cette transparence permet à chaque associé du GAEC de bénéficier, à titre individuel, des mêmes avantages fiscaux, sociaux et économiques que le chef d’exploitation.
Les formes de sociétés civiles agricoles présentées dans la première partie permettent l’exploitation collective, dans certaines limites bien définies. Les statuts coopératifs permettent quant à eux d’aller plus loin dans la mise en commun.
La Scop
Les sociétés coopératives et participatives (Scop) sont, au choix, des sociétés commerciales de forme SA, des sociétés anonymes à responsabilité limitée (SARL) ou des sociétés par actions simplifiées (SAS), dont la particularité principale est que les parts sociales sont détenues en majorité par les salariés . Le statut de Scop a été établi par la loi n°78-763 du 19 juillet 1978. Le pouvoir y est exercé de façon démocratique, selon le principe « un associé = une voix ». Les salariés de la Scop doivent posséder au moins 51 % du capital social et 65 % des droits de vote. C’est la seule forme de coopérative dans laquelle les membres associés sont des salariés de la structure. À titre de comparaison, les membres des coopératives agricoles sont des agriculteurs.
La Scic
Créées en 2001, les sociétés coopératives d’intérêt collectif (Scic) permettent d’associer autour d’un même projet un ensemble d’acteurs divers. Peuvent ainsi prendre part au capital à la fois des producteurs de biens ou de services, mais aussi les bénéficiaires de ces biens et services ou encore n’importe quelle personne physique ou morale intéressée par l’activité de la Scic. Des collectivités territoriales peuvent par exemple s’associer à une Scic dans le cadre d’un projet de développement local. C’est en effet une forme de société plutôt ancrée dans un territoire et tournée vers son développement.
Le CAE
Le statut de coopérative d’activité et d’emploi (CAE) a été reconnu par la loi sur l’économie sociale et solidaire du 31 juillet 2014. Les CAE sont généralement constituées en Scop ou en Scic et permettent d’accueillir et d’accompagner des entrepreneurs dans la création et le développement de leurs activités. L’entrepreneur a un statut de salarié de la CAE, il est indépendant dans la gestion de son activité mais est hébergé fiscalement, juridiquement et comptablement par la CAE. L’entrepreneur a ainsi accès à un cadre sécurisant et à des moyens mutualisés (outils de comptabilité, matériel, accompagnement technique, etc.) importants pour les premiers pas de son entreprise.
En devenant salarié d’une CAE, on peut donc tester son projet professionnel en laissant la structure se charger de tout ou partie des formalités administratives.
La Scop, un moyen de faire de l’agriculture un métier plus attractif…
Le statut de Scop et plus généralement les statuts coopératifs permettent à chacun d’entrer et de sortir de la structure plus ou moins sans problème. On peut donc rejoindre ou quitter un collectif et ainsi entrer ou sortir du métier d’agriculteur plus facilement. D’une certaine façon, cela libère le métier d’agriculteur de son statut quasi-sacerdotal actuel. Cela pourrait régler une partie des problèmes d’attractivité du métier.
En outre, les Scop permettent aux associés de bénéficier d’un statut fiscal de salarié, nettement plus avantageux en termes de cotisations sociales que le statut de chef d’exploitation. Les salariés d’une Scop agricole sont généralement considérés comme des salariés agricoles, ce qui leur permet de cotiser à ce titre et de bénéficier de leurs droits au chômage au moment de quitter la structure ou de développer une nouvelle activité au sein de la Scop.
Un associé non gérant de GAEC aura quant à lui un statut d’exploitant agricole la plupart du temps, moins avantageux sur le plan des cotisations et qui n’ouvre pas droit au chômage en cas de cessation d’activité. Notons cependant qu’il peut arriver qu’un associé non gérant de GAEC bénéficie du statut de salarié agricole, s’il parvient à démontrer un lien de subordination vis-à-vis du gérant du GAEC. Tout est ici question d’interprétation, mais dans la plupart des cas les membres d’un GAEC ont un statut d’exploitant agricole (Timmerman, 2019).
… qui permet également de simplifier l’accès au foncier, aux moyens de production et qui facilite la transmission
Les Scop, CAE et Scic rendent possible la conception de projets agricoles impliquant plus de dix personnes pour la gouvernance de la structure et le travail sur l’exploitation. Les sociétés civiles agricoles classiques (GAEC) sont, comme indiqué plus haut, limitées à dix associés. L’extension du nombre d’associés permet d’une part d’augmenter les capitaux mis en commun et ainsi de simplifier quelque peu l’accès initial au foncier agricole qui est de plus en plus cher, et d’autre part de rendre les conditions de travail plus confortables.
ENCADRÉ 1. L’EXEMPLE DE LA FERME DES VOLONTEUX
La ferme des Volonteux a été fondée sous statut Scop en 2011 par Rémy Léger. L’exploitation s’étend sur un peu plus de vingt hectares et fait vivre une vingtaine de personnes en mêlant différents types de productions : maraîchage, arboriculture, élevage, etc. et d’activités : boulangerie, magasin de producteurs, friperie, etc.
Les différentes activités sont organisées en plusieurs « ateliers » avec un chargé d’atelier et des salariés. Chaque atelier a son organisation interne, avec généralement une réunion hebdomadaire pour orienter le programme de chaque semaine. C’est en quelque sorte un système qui permet d’organiser la production au sein de l’exploitation.Sur la ferme des Volonteux, chacun est rémunéré au moins au Smic, reçoit un complément en nature (principalement des produits issus de la ferme) et une gratification supplémentaire proportionnelle au nombre d’années passées sur la ferme, pour valoriser l’investissement de la personne sur le long terme. De plus, les salariés et associés bénéficient de vacances et de week-ends réguliers, contrairement à bon nombre d’agriculteurs. Des séminaires sont organisés deux fois par an pour discuter de l’orientation de la ferme et du collectif.
En plus de simplifier les conditions de travail des agriculteurs, l’extension du collectif permet de mutualiser un certain nombre de dépenses entre les différents ateliers. On peut par exemple embaucher un comptable pour l’ensemble des ateliers présents sur l’exploitation, ce qui tend à minimiser les coûts pour les différents associés.
Cette mutualisation n’est cependant pas obligatoire. Les CAE permettent en principe à chaque entrepreneur de rester maître de son activité tout en bénéficiant de certains avantages du cadre coopératif. Dans le cas de la ferme des Volonteux (Encadré 1), ce statut de CAE a permis de construire la viabilité économique de la ferme et sa crédibilité en tant qu’alternative à l’exploitation agricole « type » actuelle (Léger, 2022). Il sert à la fois de filet de sécurité pour les nouveaux entrepreneurs et de tremplin pour leurs activités. Par exemple, le pépiniériste de la ferme des Volonteux explique dans un podcast que l’intégration de son activité à l’exploitation a été largement facilitée par l’accès au terrain, aux outils et à l’aide technique des autres associés. En outre, la structure lui a fourni un appui financier crucial au démarrage de son activité, sans lequel il aurait probablement déjà mis la clé sous la porte (Chatal et Demians, 2021).
La construction d’une structure de type Scop permet de simplifier l’accès au foncier mais également d’en faciliter la transmission. En effet, les terres n’appartiennent plus à tel ou tel individu, mais au collectif. Elles sont le support d’une multitude d’activités communes et ne peuvent pas être revendues ou rachetée sans l’accord de l’ensemble des membres du collectif. Pour les transmettre, il suffira de devenir associé de la Scop et d’acheter des parts sociales dont la valeur est largement inférieure au prix des terres dont il aurait fallu s’acquitter dans le cadre d’une installation individuelle.
En outre, la mise en place de collectifs plus étendus que les traditionnels GAEC et EARL permet en principe la reprise d’exploitations aujourd’hui trop importantes pour être reprises par de petits groupes de personnes. C’est particulièrement important dans un contexte où une large partie des installations agricoles sont réalisées hors cadre familial, souvent par des personnes non issues de milieu agricole (NIMA) avec des projets de taille relativement réduite (maraîchage, petit élevage, etc.). Le développement de projets collectifs de type Scop pourrait leur permettre d’accéder plus facilement au foncier agricole dont ils ont besoin et d’y installer un ensemble d’ateliers pour le mettre en valeur convenablement.
Ces modèles coopératifs ont cependant également certains inconvénients et des freins relativement importants ralentissent leur changement d’échelle.
Les difficultés de la gestion d’un collectif
L’expérience de la ferme des Volonteux est assez révélatrice de ce premier enjeu. En effet, à l’origine Rémy Léger, le fondateur, n’avait pas du tout envisagé la gestion des rapports humains au sein du collectif comme un potentiel problème. La forme même de la structure (CAE) a engendré des comportements qu’il n’avait pas anticipés. Ainsi, ce modèle, qui laisse à chaque entrepreneur la libre gestion de son atelier, a généré beaucoup d’individualisme, ce qui n’était pas l’idée de départ du projet (Léger, 2022).
La gestion des conflits humains au sein du collectif est donc rapidement apparue comme quelque chose de fondamental. Pour cela, Rémy Léger conseille de se faire accompagner par des personnes qualifiées et habituées à faire de la médiation. La mise en place de plusieurs temps de réunions permet également d’échanger et d’éviter les conflits.
À la ferme des Volonteux, le collectif a mis en place des réunions hebdomadaires par atelier et d’autres entre tous les associés tous les quinze jours. S’ajoutent à ces réunions ordinaires deux « séminaires » par an pour discuter avec l’ensemble des membres du collectif de son orientation stratégique. C’est un travail de cohésion et d’anticipation du futur de la ferme, appuyé sur la volonté des associés.
Ce n’est cependant pas toujours suffisant et le collectif a dû gérer récemment plusieurs départs liés à un changement d’orientation justement issu de l’un de ces séminaires. Les associés étaient globalement tous disposés à pousser plus loin la mutualisation, en faisant en sorte que le profit soit attribué non plus à chaque atelier mais à la structure « ferme des Volonteux » avant d’être redistribué à chacun. Les quelques associés opposés à cette idée ont décidé de partir, engendrant quelques changements dans l’organisation de l’exploitation.
Le processus d’entrée et de sortie du collectif doit d’ailleurs être clairement défini et encadré, toujours selon Rémy Léger. Ces règles sont issues d’un apprentissage collectif sur une dizaine d’années d’existence, elles ont été construites progressivement et collectivement. À titre d’exemple, avant d’entrer à la ferme des Volonteux, le futur associé doit faire un tour de la ferme et de l’ensemble de ses ateliers pendant trois mois, pour avoir une idée de la façon dont l’ensemble fonctionne et des problématiques de chacun et chacune. Il s’agit d’une façon de tester la personne qui s’apprête à intégrer le collectif et, d’une certaine façon, de protéger ceux qui en font déjà partie.
Un manque d’accompagnement et de reconnaissance de la part des principaux acteurs du développement agricole :
C’est là une limite assez clairement mise en avant dans le cas de la ferme des Volonteux, corroboré par Gaëlle Desormes, présidente des Fermes Partagées, une Scic spécialisée dans l’accompagnement de ce type de projet collectif en région Auvergne-Rhône-Alpes.
Les entités « classiques » du monde agricole que sont les chambres d’agriculture, la MSA et la majeure partie des syndicats agricoles ne se sont pas encore saisis de cet outil. Les unions régionales des Scop (URScop) ne sont pas non plus au fait des spécificités liées à l’installation agricole et ne sont donc pas toujours en capacité de conseiller et d’accompagner correctement certains projets. De fait, ces entités n’ont donc pas encore mis à jour leurs programmes d’accompagnement, de formation et d’aide à l’installation. Les porteurs de projets n’ont donc que très rarement accès aux informations et à l’accompagnement dont ils ont besoin pour concrétiser leurs projets.
Quelques très rares formations à l’installation agricole en Scop ont pourtant vu le jour récemment. C’est notamment le cas de celle proposée par l’association pour le développement de l’emploi agricole et rural (ADEAR) de la Drôme en partenariat avec les Fermes Partagées et l’URScop Auvergne-Rhône-Alpes. Elle se déroule sur une journée, avec un premier temps très théorique d’information sur les différents types de Scop existant, leurs fonctionnements et les processus de création associés, et un second temps d’échange avec l’une des ferme coopérative membre des Fermes Partagées (Desorme, 2022). C’est l’occasion pour les participants à ces formations d’acquérir un certain nombre d’informations cruciales sur l’installation agricole en Scop, qui ne sont à l’heure actuelle pas accessibles par les canaux « classiques » d’information.
Le public de ces sessions de formation est assez varié. On y trouve des individus seuls avec un projet d’installation, des agriculteurs déjà en place qui réfléchissent à passer sous statut Scop pour simplifier leur transmission, et des collectifs déjà formés. Ces formations pourraient être une première étape pour favoriser le changement d’échelle des installations agricoles en Scop, elles sont cependant encore très peu nombreuses, ce qui limite d’autant leurs effets. La formation proposée par les Fermes Partagées et l’ADEAR Auvergne-Rhône-Alpes, par exemple, doit mettre régulièrement en place des listes d’attente pour les participants.
En outre, la création de la ferme des Volonteux sous statut de Scop est passée par un certain nombre d’obstacles d’ordre administratif. Ainsi, au départ, la MSA refusait de couvrir l’exploitation. Si aujourd’hui la ferme des Volonteux est parvenue à créer une sorte de précédent, des obstacles subsistent encore.
Les aides venant de la politique agricole commune (PAC) font partie de ces obstacles. Si les aides du premier pilier de la PAC sont accessibles aux GAEC comme aux Scop, c’est au niveau des aides du second pilier, destinées au développement rural, que les choses se compliquent. En effet, le fait d’être associé-salarié d’une Scop n’ouvre pas droit à un certain nombre de ces aides. On peut citer l’exemple de la dotation jeune agriculteur (DJA), destinée à faciliter l’installation des agriculteurs de moins de 40 ans, qui représentait en moyenne 32 700 € en 2020. Les Scop sont également exclues des indemnités compensatoires de handicap naturel (ICHN) car la loi dispose que seules peuvent en bénéficier les sociétés civiles agricoles et les entreprises individuelles. Cette dernière aide varie selon la zone et le type d’exploitation entre 1 700 et 21 700 €. Le statut coopératif n’ouvre pas non plus droit au crédit d’impôt sur l’agriculture biologique, alors qu’une large partie des exploitations inscrites dans cette démarche pratiquent ce type d’agriculture. Le montant de ce crédit d’impôt a été fixé pour la période 2018-2030 à 3 500 € par an. Ces aides représentent des quantités d’argent non négligeables, dont sont donc exclues les exploitations agricoles en Scop
Cela constitue indubitablement un frein important au changement d’échelle de ce type de statut.
Les perspectives de changement d’échelle selon les acteurs
D’après les différentes personnes ressources mobilisées dans le cadre de cette étude d’innovation, l’installation agricole sous statut coopératif pourrait être une solution d’avenir pour l’agriculture. Ce modèle permet de répondre au moins en partie aux problèmes de transmission des exploitations, d’accès au foncier agricole et de difficulté des conditions de vie des agriculteurs. Son développement pourrait permettre de rendre plus attractif le métier d’agriculteur, d’en faire en quelque sorte un métier « normal » et d’améliorer le renouvellement générationnel.
D’après Rémy Léger et Gaëlle Desormes, c’est un type de collectif que l’on peut répliquer et qu’ils considèrent, dans le futur, comme une alternative crédible à l’agrandissement des exploitations. Toujours selon eux, c’est un système idéal pour la valorisation d’exploitations de quarante à soixante hectares avec une vingtaine de personnes. Ce modèle coopératif pourrait donc représenter un gisement important d’emplois. Le modèle collectif élargi grâce aux statuts coopératifs permet d’enrichir la diversité sociale, humaine et biologique sur l’exploitation et à proximité de celle-ci. Ainsi, la ferme des Volonteux représente aussi un important lieu de culture, de rencontre et d’échange, qui recrée une certaine forme de développement rural.
Pour résumer, nous avons vu à travers cette synthèse qu’une nouvelle forme d’agriculture coopérative est en train de se développer. Elle passe notamment par de nouveaux statuts juridiques issus des sociétés commerciales coopératives, en lieu et place des sociétés civiles agricoles « classiques » que sont l’EARL et le GAEC. Les statuts coopératifs permettent d’associer davantage d’agriculteurs au sein d’une même structure, ce qui facilite d’autant leurs activités. Ils leur assurent un statut de salarié agricole et donc une couverture sociale plus intéressante que celle réservée aux chefs d’exploitation.
Soulignons que l’installation agricole en Scop / Scic / CAE est considérée par la plupart des acteurs interrogés dans le cadre de cette étude comme une solution intéressante pour résoudre les problèmes de transmission agricole et d’accès au foncier. En effet, le choix de statuts coopératifs permet de mutualiser davantage de moyens et d’accéder plus facilement aux terres. La diversification des exploitations peut également être mise en œuvre de façon nettement plus facile avec davantage d’associés.
En outre, le statut de société commerciale permet de mettre en place sur la ferme des ateliers non agricoles, qui peuvent servir à écouler tout ou partie de la production ou de compléter l’activité de l’exploitation. Pour toutes ces raisons les Scop / CAE / Scic peuvent apparaître comme des solutions d’installation agricole intéressantes.
Nous nous devons cependant de relever un certain nombre de freins au changement d’échelle de ces nouveaux statuts agricoles.
Le plus important de ces freins réside probablement dans le renoncement à un certain nombre d’aides du second pilier de la PAC, qui représentent des sommes considérables et souvent nécessaires à la viabilité de l’exploitation agricole. L’absence de définition claire du statut d’agriculteur et le conditionnement de ces aides PAC au fait d’être chef d’exploitation ou en entreprise individuelle empêche les associés d’une exploitation coopérative de bénéficier de ces aides (Timmerman, 2019).
Les structures « classiques » de l’accompagnement à l’installation (chambres d’agriculture, syndicats agricoles, mais aussi URScop) ne sont pas encore capables d’accompagner efficacement les porteurs de projets, qui manquent de sources d’informations. Cela constitue donc un deuxième frein au changement d’échelle de cette innovation. Si certaines formations dédiées à l’installation agricole en Scop commencent à apparaître, elles restent très rares et ne touchent qu’un nombre limité de personnes.
Enfin, le dernier frein identifié à travers cette synthèse vient du facteur humain, au cœur de l’entreprenariat coopératif. L’installation en Scop nécessite de la part des associés une grande flexibilité et une importante capacité d’adaptation, notamment pour gérer les situations inattendues et les conflits sociaux inhérents à tout collectif humain. L’établissement de règles communes semble être une solution adaptée pour pallier une partie de ce problème, mais celles-ci sont spécifiques à chaque collectif et mettent du temps à être définies.
En somme, l’émergence de nouveaux statuts en agriculture, favorisant le travail collectif et la diversification des exploitations, apparaît comme une solution intéressante pour pallier un certain nombre de problèmes importants auxquels le monde agricole va devoir rapidement faire face. Les statuts coopératifs semblent donc offrir des opportunités intéressantes pour pousser un peu plus loin la mutualisation permise par les sociétés civiles agricoles depuis une cinquantaine d’année. Le changement d’échelle de cette innovation et le développement de nouvelles fermes coopératives dans un futur proche est néanmoins freiné par un certain nombre de limites, économiques, politiques et finalement humaines. Le développement à plus grande échelle de cette innovation ne se fera que si les acteurs aujourd’hui impliqués dans ces collectifs parviennent à communiquer davantage, à former efficacement les porteurs de projets et à faire changer un certain nombre de règles juridiques.
Auteur : Antoine Gantiez