Accueil> Rencontres> JIPAD> JIPAD 2022 > Thomas Le Guen

La Chambre d’Agriculture du Pays Basque  

Thomas Le Guen

MOTS-CLÉS : DÉVELOPPEMENT RURAL, PARTICIPATION CITOYENNE, GOUVERNANCE, FILIÈRES LOCALES

Le concept de démocratie alimentaire est relativement récent. Pour autant, des exemples de citoyens travaillant pour se réapproprier leur alimentation sont multiples. C’est le cas au Pays basque où l’association Euskal Herriko Laborantza Ganbara (EHLG), qui signifie la chambre d’agriculture du Pays basque, travaille depuis 2005 en prenant en compte les avis de représentants de consommateurs et de défenseurs de l’environnement. Cette synthèse s’intéresse au mode de gouvernance de l’association et à son histoire en relation avec les spécificités du territoire. Elle aborde également l’impact de l’intégration de représentants de la société civile dans l’organe décisionnel de l’association, les limites de celle-ci et son intérêt à être étendu à d’autres organisations ou territoires.

UN CAS UNIQUE EN FRANCE

L’association EHLG contribue au développement d’une agriculture paysanne et durable ainsi qu’à la préservation du patrimoine rural et paysan. Elle agit dans le cadre d’un développement local concerté au Pays basque et à travers l’accompagnement des agriculteurs, le conseil auprès des collectivités territoriales et la mise en place de projets collectifs. C’est une association loi 1901 de développement agricole et rural. Depuis sa création, l’association a accompagné l’émergence de plusieurs projets collectifs comme la création de marques, la structuration de filières, ou le soutien à la commercialisation. Elle propose des activités d’accompagnement des paysans qui peuvent être similaires à celles de la chambre d’agriculture des Pyrénées-Atlantiques (CA64) mais en développe d’autres en parallèle. Tous les travaux d’EHLG ont comme objectif le soutien à l’agriculture paysanne en Pays basque.

Cette approche est l’aboutissement d’un long processus d’opposition entre d’une part les agriculteurs et acteurs favorables à l’agriculture paysanne regroupés au sein du syndicat Euskal Herriko Laborarien Batasuna (ELB) [1] et d’autre part la CA64, dont la majorité des sièges appartiennent à la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA). Sur le terrain, les exploitations du Béarn sont plutôt de grande taille et mécanisées, avec notamment des cultures céréalières. À l’inverse, celles du Pays basque sont peu mécanisées car situées sur des terrains plus pentus, davantage tournées vers l’élevage, plus nombreuses et de plus petite taille. Ces exploitations représentent également un élément essentiel de la culture basque. Ainsi, le syndicat ELB, créé en 1982, demande la création d’une chambre d’agriculture basque, en soulignant ces fortes différences entre les exploitations agricoles au sein du département des Pyrénées-Atlantiques. Mais cette revendication de création d’une chambre d’agriculture basque est écartée par l’État. Celui-ci souligne toutefois l’intérêt écologique du modèle de l’agriculture basque et les problèmes de coopération liés à l’opposition entre les modèles agricoles défendus par ELB et par la FNSEA. L’extrait suivant du rapport d’activité de l’Inspection générale de l’agriculture illustre ce constat en 2004 : « Le rapport note que le modèle, qui apparaît “écologiquement responsable” […]. Le rapport fait le constat que la chambre ne semble pas avoir réussi à l’organiser à la satisfaction de tous et notamment de l’ELB ; et que, de la même façon, est critiqué le fonctionnement de la commission départementale d’orientation agricole où les compromis qui peuvent être trouvés entre les protagonistes au Pays basque (ELB, FDSEA et Jeunes Agriculteurs) ne sont pas nécessairement retenus à Pau, où la FDSEA est majoritaire au titre de l’ensemble des Pyrénées-Atlantiques. Finalement, le lieu jugé le plus propice au débat a été “l’instance de concertation agricole du Pays basque” (ICAPB), prévue à la convention spécifique Pays basque du contrat de plan État/Région Aquitaine, où siégeaient des représentants de la “société civile” » (Merle, 2004).

Malgré ce rapport confirmant le refus de l’État de créer une chambre d’agriculture basque, ELB a indiqué en 2004 qu’il créerait malgré tout sa propre chambre d’agriculture sous la forme d’une association impliquant des agriculteurs et des représentants de la société civile. L’intégration de représentants de la société civile dans une institution liée au développement agricole apparaît ici comme une clé pour favoriser la coopération et la cohésion entre les acteurs du territoire.

LE MODÈLE DE GOUVERNANCE D’EUSKAL HERRIKO LABORANTZA GANBARA

EHLG compte aujourd’hui vingt et un salariés. Elle est organisée avec un bureau qui gère les affaires courantes ainsi qu’une assemblée plénière (Figure 1).

L’assemblée plénière (AP) se réunit tous les deux mois environ sur une après-midi pour discuter des orientations de l’association, de ce qu’elle souhaite développer et de son positionnement par rapport à certains projets ou politiques locales. Les membres de l’AP siègent pour une durée de six ans, ce qui coïncide avec les élections de la chambre d’agriculture départementale. Les sièges réservés aux agriculteurs sont répartis à la proportionnelle selon les syndicats agricoles présents sur le territoire. Ainsi, des représentants de la FNSEA pourraient siéger à l’AP de l’association, ce qu’ils ne font pas. Pour les autres collèges, EHLG propose à des représentants d’associations, d’organisations de salariés agricoles, à leurs donateurs, etc., de venir siéger à l’AP. Il ne s’agit pas d’une élection. Les décisions sont prises par consensus, ou bien par vote lorsque le consensus est introuvable.

EHLG a décidé lors de sa création de ne pas inclure des organisations trop éloignées de sa propre vision de modèle agricole vers lequel se diriger. Par exemple, la grande distribution, les banques ou les assureurs qui travaillent sur des projets agricoles n’ont pas été invités à siéger à l’AP car leur objectif de profitabilité est jugé incompatible avec celui de développement d’une agriculture paysanne. Il y a donc une forme de sélection des membres de l’AP selon leur adhésion au modèle porté par la Confédération paysanne, hormis pour les représentants d’agriculteurs – qui représentent la plus grande proportion de sièges – dont tous les syndicats peuvent participer. Dans les faits, les représentants de syndicats éloignés de vision de l’agriculture paysanne ne participent pas à l’AP. Ainsi, l’organe décisionnel de l’association est presque entièrement constitué de membres soutenant le modèle porté par la Confédération paysanne.

La création de cette association et son modèle de gouvernance soulèvent ainsi plusieurs questions. Dans ce cas d’opposition entre deux modèles de développement agricole, les acteurs « alternatifs » ont-ils intérêt à se détourner de la chambre d’agriculture et à créer leur propre organisation de développement ? L’intégration de la société civile dans une organisation de développement agricole a-t-elle un impact sur le modèle porté par l’organisation et ses actions ? Pour aller plus loin, l’intégration de représentants de la société civile dans les organisations de développement agricole, notamment les chambres d’agriculture, permet-elle une meilleure prise en compte des attentes des agriculteurs et des citoyens ?

LE DÉVELOPPEMENT DE L’ASSOCIATION ET SON RÔLE SUR LE TERRITOIRE

La création de l’association s’ensuivit de plusieurs procès venant de l’État, notamment au motif que les agriculteurs ou les citoyens pouvaient confondre le nom et les services proposés par l’association avec ceux de la CA64. En 2010, après que l’État ait fait appel, EHLG est définitivement acquittée et se considère comme une association de développement agricole « normale » sur le territoire. Malgré cela, le préfet a assigné en justice la commune de Saint-Pée-sur-Nivelle en 2010, 2011 et 2012 pour avoir attribué une subvention de 2 000 € à l’association [2]. En 2017, l’association apprend, à la suite d’une réunion entre le préfet de région, le préfet du département des Pyrénées-Atlantiques et le sous-préfet de Bayonne, que les dossiers de demande de financement soumis par EHLG seraient traités dorénavant au même titre que ceux des autres organisations, ce qui n’était pas le cas jusque-là. L’association impute cet acharnement à l’opposition historique de l’État aux revendications basques (comme la création d’un département propre, la création d’une université basque et la reconnaissance de la langue basque), mais également à des pressions de la FNSEA sur l’État, et notamment sur les préfets. Finalement et toujours selon EHLG, ces procès ont permis de faire parler de l’association et de sa vision en dehors de la sphère d’acteurs initialement concernés, ce qui leur a été bénéfique (Elosegi, 2022).

EHLG a connu du succès en accompagnant des projets collectifs, à l’origine souvent en réponse à une demande du territoire non prise en compte par la CA64. De nombreux exemples sont disponibles [3] : un travail de reconnaissance et de protection de la race de brebis Sasi Ardi et la promotion et la valorisation des différentes races de bovins Pirenaica, des canards Kriaxera, de l’abeille noire du Pays basque, de la cerise d’Itxassou, etc. L’association a également travaillé à la création de filières locales de blé, farine et pain avec l’association Herriko Ogia, à l’établissement d’une filière de viande bovine (animaux nés, élevés, engraissés et abattus localement) avec l’association Herriko Haragia, et à l’accompagnement à la création de coopératives agricoles pour l’affinage de fromages ou la fabrication d’huile végétale. L’association participe donc activement au développement d’un système alimentaire territorial au Pays basque. Elle profite de nombreux soutiens au niveau local de la part d’habitants, d’agriculteurs et d’élus locaux. Ainsi, l’avocat de l’association durant les procès, Jean-René Etchegaray, est l’actuel président de la communauté d’agglomération du Pays basque (CAPB) et maire de Bayonne depuis 2014, et plusieurs dizaines de communes du Pays basque ont voté l’attribution de subventions à l’association.

Toutefois, la portée de son action est restreinte aux sujets agricoles (production, foncier, gestion de l’eau, etc.) mais également aux enjeux de biodiversité et de relocalisation de la production et de la consommation. L’association n’a pas non plus vocation à fédérer l’ensemble des acteurs du Pays basque au-delà des sujets ayant trait au système alimentaire.

Ainsi, EHLG a acquis un rôle central dans le système alimentaire territorial grâce à sa capacité technique lui permettant d’agir de manière opérationnelle et grâce à son poids politique qui lui permet de porter des initiatives auprès des élus et du grand public.

LE FONCTIONNEMENT ET LES ACTIVITÉS DE L’ASSOCIATION

Aujourd’hui, EHLG fonctionne avec un budget d’environ un million d’euros, et possède trois sources de financement. Les dons provenant en majorité de particuliers représentent environ 20 % du budget. Les subventions et autres financements publics, par exemple liés à des appels d’offres ou des conventions de partenariat, représentent environ un tiers du budget. Enfin, les activités commerciales, principalement du conseil aux agriculteurs, représentent également environ un tiers du budget. Le reste est constitué de fonds qui varient selon les besoins en trésorerie.

EHLG travaille pour favoriser l’agriculture paysanne dans le Pays basque selon un « développement local concerté ». L’association considère que les 93 % des habitants du Pays basque qui ne sont pas agriculteurs doivent participer à la réflexion et l’élaboration de la vision du système alimentaire du territoire. La vision proposée par EHLG s’illustre à travers ses objectifs, qui sont de :
  produire une alimentation saine, de qualité, dans des exploitations réparties sur tout le territoire ;
  permettre à des paysans nombreux de vivre décemment de leur métier ;
  préserver les ressources naturelles de demain et le cadre de vie des milieux ruraux.
Pour y parvenir, les activités de l’association sont multiples et comprennent :
  l’accompagnement à destination des agriculteurs : aide à l’installation et à la transmission, conseil sur les aides et subventions, conseil sur la réglementation, conseil à la production (variétés / races, pratiques agroécologiques, gestion de l’eau, etc.) et diagnostics agricoles ;
  le conseil aux collectivités : travail sur le foncier, l’eau, les zones Natura 2000, le secteur climat / énergie, le diagnostic pastoral ;
  l’accompagnement à l’élaboration et au développement de projets collectifs : animation de groupes, recherche de financements, appui juridique et administratif, appui à la commercialisation et à la communication, appui technique ;
  l’organisation ou la participation à des évènements pour valoriser l’agriculture paysanne basque comme le salon Lurrama (le salon de l’agriculture paysanne basque qui a lieu chaque année à Biarritz) ;
  de manière ponctuelle, l’association est contactée par des acteurs d’autres territoires souhaitant mettre en place une dynamique similaire à celle insufflée par EHLG. Dans ce cadre, elle peut accueillir et conseiller des agriculteurs, élus, techniciens, etc. pour les aider à faire avancer leur projet.

L’ACTION COLLECTIVE COMME LEVIER DE DÉVELOPPEMENT

Plusieurs études ont montré l’importance des dimensions matérielles, organisationnelles et idéelles dans la mise en place de l’action collective à l’échelle du territoire, notamment concernant la valorisation des produits agricoles (Amblard et al., 2018). Ainsi, l’action d’EHLG a été rendue possible par :
  la spécificité de l’agriculture entre le Pays basque et le Béarn qui justifie deux accompagnements différents (Merle, 2004) ;
  une forte identité culturelle partagée entre les acteurs du territoire. Par exemple, deux éléments culturels forts sont la petite exploitation familiale etxea (la maison-institution) et le statut traditionnel en déclin du berger transhumant (Gomez et Itçaina, 2014) ;
  la volonté de travailler ensemble et une vision partagée du modèle agricole entre les membres de l’association. Ces facteurs de succès sont entretenus grâce au modèle de gouvernance de l’association permettant une instance de dialogue et de débat, ainsi que des évènements comme Lurrama qui permettent de communiquer auprès des habitants du territoire.

Ces éléments participent au phénomène de proximité géographique et organisée, « constituée de liens sociaux ou de liens professionnels, créée par l’appartenance à des organisations ou à des communautés » (Rallet, 2002). Cette proximité permet à EHLG de mettre en place une action collective et d’agir sur le système alimentaire en assumant un rôle d’acteur central sur les sujets agricoles au Pays basque. L’association travaille ainsi avec la CAPB à travers des appels d’offres sur des sujets agricoles, comme c’est le cas dans un projet avec l’ancien syndicat mixte du bassin versant de la Nive pour la mise en place de solutions visant à réduire les risques de contamination des cours, l’utilisation d’eau (notamment pour l’irrigation du maïs), la pollution des cours d’eau ; elle travaille également avec les collectivités pour la réalisation de diagnostics pour l’élaboration des plans locaux d’urbanisme intercommunaux (PLUi), pour les réflexions sur le schéma de cohérence territoriale (SCoT), etc.

L’ARTICULATION AVEC D’AUTRES INITIATIVES DE DÉVELOPPEMENT AGRICOLE

La CAPB a lancé son projet alimentaire de territoire (PAT) en 2018 et a défini plusieurs axes de travail pour « viser la souveraineté alimentaire du territoire [4] ». EHLG était impliquée dans la phase de concertation des acteurs du territoire, mais n’a pas participé directement à la création du plan d’action ni à sa mise en place. Car pour l’association, des actions vont dans le sens de l’agriculture paysanne, mais la vision à long terme du PAT n’est pas claire et ne lui permet pas de se positionner en faveur ou contre le PAT (Elosegi, 2022).

Par ailleurs, l’association a répondu historiquement à des besoins auxquels la CA64 ne répondait pas : utilisation de semences paysannes et de races rustiques, valorisation de produits locaux, préservation du paysage agricole, etc. Depuis quelques années, les discours de la CA64 et de la FNSEA s’emparent des notions d’agroécologie, de réduction de l’utilisation de pesticides et d’engrais, etc. Pour autant, ils prônent un modèle très différent de celui de la Confédération paysanne. La FNSEA propose un modèle basé sur une agriculture numérique, plus mécanisée voire robotisée, et le recours à la modification génétique pour adapter les semences. Des évolutions que EHLG rejette catégoriquement. Il en résulte une confusion autour des projets liés à l’agroécologie portés sur le territoire par EHLG et par la CA64.

Ainsi, malgré la sensibilisation et les actions de l’association, des projets intensifs d’élevage ont vu le jour sur le territoire, tels que la ferme d’élevage de brebis Kukulu à Espelette.

Néanmoins, le travail d’EHLG permet aux agriculteurs et aux collectivités d’avoir une offre concurrente à celle proposée par la CA64. La chambre d’agriculture a fait évoluer son accompagnement et prend en compte des méthodes issues de l’agroécologie, comme l’agroforesterie [5]. Dans ce sens, l’association a fait évoluer l’approche de la chambre d’agriculture, même si celle-ci se considère toujours comme étant en situation de « monopole » (Elosegi, 2022). Les deux organisations coexistent sur le territoire et défendent leurs modèles. Pourtant, le développement du modèle productiviste correspond à la destruction du modèle paysan à cause des externalités sociales (baisse du nombre d’agriculteurs, augmentation de la taille des exploitations, déséquilibre face aux acteurs industriels, etc.) et environnementales, ce qui est peu vérifiable dans le sens inverse.

Au niveau national, EHLG a développé des liens avec les organismes nationaux à vocation agricole et rurale (Onvar). Les Onvar sont liés à la mise en œuvre du Programme national de développement agricole et rural (PNDAR). Les organismes reconnus comme Onvar par l’État ont accès à des financements et sont consultés au cours de l’élaboration de politiques rurales. EHLG n’est pas un Onvar car n’agit pas au niveau national. Cependant, ses activités au Pays basque se rapprochent de celles des Onvar. De plus, EHLG a établi des liens avec des branches locales des Onvar comme Inter-AMAP Pays Basque, dont la présidente siège à l’assemblée plénière. Les Onvar ainsi qu’EHLG ont la capacité de représenter une « contre-institution » et de porter des modèles de développement agricoles différents de celui de la CA64 grâce à leurs expertises et leurs propres financements. Ce positionnement permet de répondre aux attentes de certains agriculteurs, mais ne facilite pas la coordination entre les Onvar et les acteurs agricoles des chambres d’agriculture et des instituts techniques. Une étude met en lumière trois raisons principales pour expliquer le manque de coopération entre les Onvar et les chambres d’agriculture et les instituts techniques (Vollet et al., 2021) : les ressources limitées des Onvar (humaines, financières), des activités souvent différentes mais parfois concurrentielles, et des visions contrastées de l’agriculture. Ces constats peuvent être étendus à EHLG.

L’IMPACT DE LA GOUVERNANCE SUR L’ACTION COLLECTIVE

L’assemblée plénière d’EHLG est un lieu de dialogue et de débat entre les membres de l’association. Pourtant, la répartition des sièges est favorable aux agriculteurs. Dans une approche de démocratie alimentaire et de « développement local concerté » portée par l’association, la question du poids des collèges issus de la société civile dans l’AP et de la prise en compte de leurs opinions est primordiale. Les deux exemples suivants semblent montrer que cette instance remplit correctement son rôle d’instance de dialogue.

Le premier exemple concerne la production de biocarburants. En 2008, cette production a émergé comme une alternative au maïs irrigué en monoculture dans le cadre d’une proposition de rotation avec le tournesol et le colza. Les tourteaux issus des oléagineux pressés sont utilisés pour l’alimentation animale et l’huile comme biocarburant. Initialement, cette huile devait servir de carburant pour les tracteurs. Mais comme la production était importante, EHLG a travaillé avec un groupe de pêcheurs sur un débouché sous forme de carburant pour bateaux. La production de biocarburant a alors fait face à une opposition de la part d’un représentant des associations de défense de l’environnement, les cultures devant servir à l’alimentation uniquement. Un débat a eu lieu entre paysans et citoyens. Les paysans ont soulevé la question des fourrages anciennement utilisés pour les chevaux et la traction animale, en présentant les similitudes avec la production d’huile végétale pour les tracteurs aujourd’hui. Finalement, un consensus a été trouvé par l’AP pour développer une solution d’huile alimentaire et abandonner les biocarburants à travers la coopérative Nouste Ekilili créée en 2009. Douze ans après cette décision, la coopérative a toujours comme débouché principal la vente d’huile alimentaire, ce qui met en lumière l’impact de la société civile sur les orientations de l’association (Elosegi, 2022).

Le second exemple est plus récent et concerne l’ours des Pyrénées. Après avoir été réintroduit en 2018 par l’État sans concertation auprès des agriculteurs, un débat a émergé sur le positionnement de l’association par rapport à cette action. Les défenseurs de l’environnement sont pour la réintroduction de l’ours tandis que beaucoup d’agriculteurs sont contre, considérant que le modèle agricole n’est plus adapté à sa présence. La question se pose surtout concernant les estives où les éleveurs amènent les troupeaux en été. Le débat sur les impacts sur les paysans et donc sur les bonnes conditions de la réintroduction de l’ours a été riche, avec notamment la participation de naturalistes et d’écologues. Leur travail d’information et de réponse aux questionnements a permis d’aboutir à un consensus par lequel, à l’unanimité, EHLG se positionne contre la réintroduction. Il s’agit toujours de la position actuelle de l’association.

Ainsi, la présence de la société civile dans l’AP semble bien avoir un impact sur les orientations de l’association et ses actions. De même, les avis des membres de la société civile évoluent en fonction des contributions des acteurs agricoles (Capdeville, 2022 ; Durruty, 2022). Le modèle de gouvernance a donc de l’intérêt pour permettre de se diriger vers une démocratie alimentaire sur le territoire.

CONCLUSION

Le mode de gouvernance d’EHLG a été mis à l’épreuve depuis plus de 15 ans et son assemblée plénière paraît bien remplir son rôle d’instance de dialogue et de concertation. Les échanges en son sein, tout comme les actions réalisées par les salariés, ont permis de faire évoluer le positionnement de l’association sur des sujets liés aux systèmes alimentaires. Ce fonctionnement est rendu possible par la volonté de coopérer des acteurs du territoire, ainsi que par le soutien financier apporté à l’association, qui lui assure une certaine pérennité. Toutefois, les membres de l’AP partagent une vision de l’agriculture centrée autour de l’agriculture paysanne, et plusieurs acteurs du système alimentaire ne font pas partie de cette instance de dialogue. La création d’une instance de coordination sur le territoire regroupant tous les acteurs (chambre d’agriculture, EHLG, transformateurs, distributeurs, collectivité, etc.) serait un pas vers une démocratie alimentaire plus ambitieuse. Pour le moment, cette idée est soutenue par la CAPB, qui a lancé une étude juridique sur la création d’un office public de l’agriculture et de l’alimentation en 2018, à laquelle la région Nouvelle-Aquitaine a apporté son soutien.

Auteur : Thomas LE GUEN