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Associée à des attentes en matière de durabilité économique, sociale et environnementale, la consommation de produits locaux est de plus en plus plébiscitée par les consommateurs, aussi bien lors de leurs courses alimentaires que dans le cadre de la restauration hors domicile.
Cependant, la logistique liée à l’approvisionnement en produits locaux des milieux urbains constitue un obstacle important pour les démarches de relocalisation. Les marchés d’intérêt national (MIN), marchés physiques destinés aux professionnels et outils publics historiques du territoire, pourraient constituer une réponse à ces enjeux.
Les dispositifs innovants de trois MIN présentés dans cette étude illustrent comment un redéploiement de l’outil par les pouvoirs publics locaux peut appuyer des démarches de relocalisation et renforcer leur durabilité : l’installation de la SCIC Loc’Halle Bio sur le MIN de Bordeaux Brienne, le pavillon de la gastronomie du MIN de Toulouse et le travail logistique et d’innovation mené par la société d’économie mixte (SEM) Euralimentaire de Lomme (Lille).
Les marchés d’intérêt national sont « des services publics de marchés offrant à des grossistes et des producteurs des services de gestion collective adaptés aux caractéristiques de certains produits agricoles et alimentaires » (Article L 761-1 du code de commerce). Ce sont des marchés physiques où se rencontrent les acteurs de l’offre et de la demande de produits frais agricoles et agroalimentaires.
Ces marchés sont présidés par des élus de collectivités territoriales (des agglomérations pour la majorité des sites) . Certains marchés de gros ne disposent pas du statut juridique de « marché d’intérêt national » mais exercent une mission de service public.
À l’image du marché de gros de Lyon-Corbas, il existe des marchés de gros entièrement privés.
On compte sur le territoire français vingt-trois sites dont quinze disposent du statut de marché d’intérêt national.
Acteurs et fonctionnement des MIN et marchés de gros
Les marchés d’intérêt national et marchés de gros sont uniquement destinés aux professionnels. On trouve du côté de la demande des détaillants, des commerçants de plein vent, la restauration collective et commerciale, et de façon plus marginale la grande distribution.
L’offre est assurée par des producteurs, des importateurs et de deux types de grossistes présents à l’année : des grossistes sur case qui réalisent physiquement des ventes sur le site et des grossistes à service complet (GASC) qui organisent seulement les livraisons à partir du site, notamment à destination de la restauration collective.
D’autres acteurs peuvent aussi louer un espace à l’année : des grossistes Cash&Carry , des transporteurs, des acheteurs et des acteurs proposant des services connexes.
Sur certains MIN, il peut aussi exister un carreau des producteurs, espace sur lequel des producteurs viennent vendre physiquement leurs marchandises.
Près de quatre mille producteurs et deux mille grossistes sont présents sur les MIN et marchés de gros.
Il convient de souligner « la diversité de situation des MIN et marchés de gros en France : il n’y a donc pas un MIN mais bien des marchés » (Blézat consulting, 2012). Effectivement, les sites se différencient sur plusieurs aspects : produits distribués, acteurs présents, zone de chalandise , gouvernance, taille, trajectoire historique, etc.
De l’essor au déclin
Le statut particulier des MIN est créé en 1953 dans une dynamique étatique interventionniste. En concentrant dans un même lieu les transactions, le MIN doit faciliter la formation des prix, augmenter la transparence des marchés et améliorer les conditions de travail des acteurs des filières agroalimentaires (Durbiano, 1996).
Les années 1980 marquent un tournant dans les modes de commercialisation et le début de la crise des opérateurs traditionnels du MIN. L’intégration de la fonction de gros par la grande distribution, avec le développement de centrales d’achat et de plateformes de distribution remet en cause les GASC (Michel, 2014). La disparition des épiceries et des petits commerçants de quartier, qui subissent la concurrence de la grande distribution, participe aussi au tassement des activités de ces marchés (Durbiano, 1996). Dans ce contexte, le rôle du MIN tend à s’affaiblir et les collectivités se désinvestissent de l’outil.
Cependant, depuis 4-5 ans, on observe un regain d’intérêt des pouvoirs publics locaux pour l’outil et une volonté de le reployer sur territoire.
Les études de cas réalisées sur trois sites illustrent comment le MIN peut être mobilisé au service de la relocalisation.
Sur le MIN de Bordeaux Brienne est installée la société coopérative d’intérêt collectif (Scic) Loc’Halle Bio. La structure assure la commercialisation en gros de fruits et légumes biologiques à destination des professionnels et contribue à la structuration des filières locales. Les producteurs sont situés dans un périmètre de 150 km autour de Bordeaux et les clients viennent à 90 % de Bordeaux et de sa périphérie. La structure fonctionne avec une base de cent soixante producteurs, dont la moitié de façon très régulière.
À l’origine du projet, des producteurs de la Gironde et des départements limitrophes se regroupent avec pour objectif de mutualiser leurs opérations logistiques et commerciales. Avec le soutien des collectivités locales qui souhaitent intégrer une offre locale sur le MIN de Bordeaux Brienne, le collectif s’organise en Scic et s’installe physiquement sur le marché en 2014. La coopérative remplace un carreau des producteurs en perte de vitesse ne comptant plus que trois producteurs.
La structure fonctionne de façon démocratique et se compose de quatre collèges d’adhérents : des producteurs, des salariés, des collectivités et des partenaires (Biocoop, structures de transformation).
Le MIN : un site attractif pour le collectif
Pour la coopérative, l’installation sur le MIN est intéressante pour quatre principales raisons.
D’abord, le site se situe au milieu de la Gironde, au centre du bassin de production.
Le site fournit ensuite à la coopérative les équipements nécessaires à son activité (réfrigérateurs, espace de stockage, bureau), le tout avec un loyer compétitif.
De plus, la présence quotidienne des primeurs et des restaurateurs assure à la structure une bonne visibilité et des débouchés réguliers.
Enfin, certains clients des grossistes conventionnels découvrent les produits bio et locaux en venant sur le site et constituent petit à petit des débouchés supplémentaires.
Une mutualisation commerciale et logistique
Les producteurs délèguent l’ensemble des opérations commerciales et logistiques à la coopérative.
Les employés de la structure sont en charge des opérations de vente : l’équipe de nuit s’occupe de la préparation et de la livraison des précommandes (70 % de ventes) et l’équipe de jour gère les ventes au gré à gré, réalisées entre 4 heures et 8 heures sur le carreau (Figure 1).
Concernant la logistique, le collectif dispose de ses propres camions et fait parfois appel à des transporteurs pour les livraisons plus lointaines. Sur le premier kilomètre, la collecte auprès des producteurs est mutualisée et réalisée par des transporteurs externes, à des tarifs assez avantageux. Seul un tiers des marchandises reste apporté par les producteurs sur le MIN.
Au-delà d’un gain de temps pour les producteurs, cette organisation permet ainsi la diminution des coûts liés au transport de marchandises. À la différence des marges réalisées par les grossistes, celle pratiquée par la coopérative pour couvrir ces charges est fixe et transparente pour les producteurs.
Pour Thibault Turan, directeur de la SCIC Loc’Halle Bio, cette organisation « permet aux producteurs de se focaliser sur leur production et d’améliorer l’offre de produits, l’offre de qualité […] on a des produits qui sont plus beaux, plus qualitatifs, plus frais et cela nous permet de mieux vendre derrière. C’est un cercle vertueux » (Turan, 2021).
Une ouverture des débouchés, notamment vers la restauration collective
La centralisation de l’offre locale permet aux producteurs de proposer la gamme la plus complète possible. La SCIC travaille ainsi avec des restaurateurs, des primeurs, des magasins de proximité, Biocoop et la restauration collective.
Si la structure fournit principalement à la restauration collective des fruits et légumes frais, elle se positionne aussi sur la 2e et 4e gamme en fournissant des soupes et d’autres produits sous vide. Pour cela, Loc’Halle Bio collabore avec deux structures de transformation de la région. L’organisation de la transformation des produits bruts permet d’écouler les surplus lors des pics de production.
Cette possibilité de transformation locale s’avère stratégique pour la mise en place des politiques publiques alimentaires, et c’est pour cette raison que le MIN de Montpellier a même été jusqu’à installer des structures de transformation sur son site.
Un positionnement permettant une meilleure valorisation
L’ouverture des débouchés permet aux producteurs de réaliser des économies d’échelle (sur les charges de production et de transport) et de proposer des prix intéressants.
Si certains fruits et légumes produits localement, comme l’endive ou le chou-fleur, restent plus chers que ceux provenant des bassins de production spécialisés, l’argument du « local et frais » incite les acheteurs à accepter de payer plus cher. À terme, l’augmentation des quantités vendues pour ces produits locaux pourra se répercuter positivement sur le prix final.
Le MIN de Toulouse (le Grand Marché), dont la gestion a été déléguée au groupement Lumin Toulouse, s’est fixé comme objectif de diversifier l’offre physique du site. Pour cela, un pavillon de la gastronomie a été inauguré en décembre 2019.
Une gamme complète pour faciliter le processus d’achat
Pour étoffer l’offre du marché, notamment en produits carnés, laitiers, et gastronomiques, plusieurs opérateurs proposant des produits transformés se sont déjà installés sur le pavillon : un grossiste en produits d’épicerie bio et locaux, un grossiste de produits laitiers et les Fermiers Occitans proposant une offre en produits carnés.
Le pavillon s’adresse principalement aux restaurateurs commerciaux et commerçants de proximité, qui pourront ainsi trouver dans un même espace du MIN tous les produits alimentaires dont ils ont besoin.
Le magasin PromoCash déjà implanté sur le MIN a été intégré au secteur de la gastronomie pour leur permettre également d’acheter les produits non distribués par les autres opérateurs du pavillon.
Une présence quotidienne pour faciliter le processus d’achat
À l’image du MIN de Bordeaux Brienne, le Grand Marché va prochainement installer au sein du pavillon de la gastronomie un collectif de producteurs biologiques proposant sous forme de Cash&Carry des fruits et légumes, mais aussi des produits transformés (beurre, œuf, fromage, etc.). À la différence de la Scic Loc’Halle Bio, le Cash s’ajoutera au carreau des producteurs. Les cibles du carreau et du Cash sont différentes : le magasin de producteurs touchera davantage les restaurateurs et commerçants à la recherche d’une possibilité d’approvisionnement quotidienne et d’une gamme plus complète.
Ainsi, la diversification de l’offre physique et une adaptation aux contraintes d’achat des clients pourraient permettre de faciliter la démarche d’achat des opérateurs sur le MIN pour des produits locaux et de qualité.
En plus d’améliorer la durabilité économique des filières locales, les marchés d’intérêt national peuvent jouer un rôle important pour améliorer leur impact environnemental. Effectivement, la consommation d’énergie et les émissions de gaz à effet de serre des circuits courts de proximité restent très variables et « ramenées au kilogramme de produit transporté […] peuvent parfois même être plus élevées » (ADEME, 2017). Le positionnement du MIN entre l’amont et l’aval lui permet à la fois d’agir sur la logistique du premier kilomètre et du dernier kilomètre.
La mutualisation et la rationalisation des flux logistiques sont, comme évoqué précédemment, au cœur du fonctionnement de la SCIC Loc’Halle Bio. L’implantation d’un service logistique optimisé et propre est aussi une préoccupation de la SEM Euralimentaire.
Market place et dernier kilomètre
Pour répondre aux enjeux d’optimisation logistique, la SEM Euralimentaire, gestionnaire du marché de gros de Lomme à Lille, doit à partir d’avril 2021 lancer une market place. La plateforme virtuelle, destinée aux professionnels, facilitera la mutualisation des livraisons vers le centre-ville. Sous forme de marché virtuel, les fruits et légumes des grossistes et producteurs du site pourront être commandés 24h / 24h. Toutes les commandes passées via la plateforme devraient être livrées par le partenaire logistique Urby, avec des véhicules « bas carbone » vers le centre-ville. Cette organisation limitera les kilomètres à parcourir et permettra de maximiser le remplissage des véhicules. Ce développement coïncide avec la mise en place de la zone à faibles émissions à partir de janvier 2021 sur la Métropole européenne de Lille (MEL).
Premier kilomètre
Plusieurs acteurs rencontrés ont aussi évoqué le rôle futur des MIN dans le développement de solutions logistiques pour le premier kilomètre. Effectivement, certains producteurs continuent de venir livrer leur marchandise sur les MIN. Les normes sanitaires sur le transport pour compte d’autrui rendent compliquées la mutualisation des livraisons entre producteurs. L’installation de plateformes de collecte et/ou la délégation du transport à un partenaire logistique permettrait d’organiser les flux, de réduire les émissions liées au transport et d’intégrer de nouveaux producteurs.
Ce développement de solutions logistiques ne concerne pas que les deux exemples cités ci-dessus (Loc’halle Bio et SEM Euralimentaire). Selon Sirjean (2015), un nombre croissant de MIN « s’engagent […] dans le développement de réponses logistiques urbaines, capitalisant sur leurs métiers traditionnels, leur localisation, leurs compétences logistiques de plus en plus importantes, et se posant en organisateurs de la logistique urbaine ».
Les marchés d’intérêt national peuvent aussi être le support de démarches de reterritorialisation qui favorisent le rapprochement et la collaboration des acteurs locaux. Le projet Euralimentaire, impulsé par la MEL et le MIN de Lomme en 2016, s’inscrit pleinement dans cette dynamique. À l’origine du projet, ces acteurs cherchent, en plus de redonner une image innovante au MIN de Lomme, à faire du site un haut lieu alimentaire dans la Métropole de Lille. L’objectif du nouveau site d’excellence est ainsi de travailler sur les questions d’innovation pour répondre aux attentes des consommateurs et créer un écosystème sur le territoire dédié aux produits frais et locaux.
Le site et l’incubateur Euralimentaire constituent des outils clés pour la mise en place opérationnelle du projet alimentaire territorial (PAT) de la Métropole, lancé au début de l’année 2021.
Innover pour répondre aux besoins des consommateurs de demain
Sur les anciennes cases de grossistes rénovées, s’est ouvert en 2017 l’incubateur Euralimentaire, d’une surface de 1 000 m2. Il accueille aujourd’hui quarante entrepreneurs et devrait s’agrandir avec une vingtaine de nouveaux projets cette année. Les projets correspondent pour 60 % à de nouveaux produits alimentaires, pour 20 % à de nouveaux services et sont liés pour 20 % à la FoodTech.
Le site semble répondre aux besoins des start-ups : c’est un lieu où « l’on parle produit » et les entrepreneurs y trouvent des services clés. En étant sur le site, les entrepreneurs peuvent effectivement bénéficier d’un espace de coworking et de bureaux privatifs, mais aussi d’un espace de production et de stockage.
Euralimentaire participe ainsi indirectement, via l’appui aux structures incubées, à la valorisation d’une alimentation plus durable et/ou plus locale, comme par exemple Bio Demain qui accompagne des producteurs de la région dans leur conversion à l’agriculture biologique.
Augmenter la part de transformation sur le MIN
L’installation de l’incubateur est aussi un moyen d’augmenter la part de transformation sur le site, maillon très faiblement représenté. Isabelle Wisniewski, chef de projet à Euralimentaire, estime, en parlant des MIN, que « dans des Métropoles, ce sont des lieux intéressants pour faire des espaces de productions alimentaires, en complément de cette logistique des produits frais […]. On peut créer des petites unités de production adaptées aux producteurs de demain. Des espaces de 1 000-2000 m2, il ne s’agit pas de récréer des grosses entreprises agroalimentaires » (Wisniewski, 2021).
À l’issue de la période d’incubation, trois entreprises se sont déjà installées sur le site de Lomme, sur d’anciennes cases de grossistes. Dans cette optique d’installation post-incubation, un hôtel d’entreprises adapté à la production de 3 000 à 4 000 m2 devrait voir le jour dans les trois années à venir.
Ainsi, les MIN peuvent remplir des fonctions clés dans les démarches de relocalisation et renforcer la durabilité de ces dernières (Figure 2).
Parallèlement au développement de certaines démarches de circuits courts de proximité, les marchés d’intérêt national continuent d’accueillir l’offre de grossistes issues de filières longues et globales. Dans une optique de reploiement du MIN comme outil de transition vers un système alimentaire durable, quelle place cette offre pourrait-elle prendre ?
Les différents acteurs rencontrés estiment que dans une démarche de relocalisation, l’offre de certains grossistes peut être complémentaire à celle des producteurs locaux et permet :
– un accès à des fruits et légumes non produits par des agriculteurs locaux ;
– la réalisation d’opérations clés sur la chaîne logistique (sourcing, agréage, stockage, distribution et parfois livraisons), que certains producteurs ne souhaitent pas prendre en charge.
Les MIN seraient ainsi des sites hybrides, capables de regrouper des filières courtes et longues et de fournir des produits issus de l’ensemble des filières alimentaires aux commerçants et restaurateurs.
De plus, certains grossistes pourraient devenir des moteurs de la relocalisation. Effectivement, sur certains MIN, les grossistes jouent déjà un rôle de massification des productions locales. Par exemple, sur le marché de gros de Lomme, 40 % des légumes vendus viennent des Hauts-de-France.
Il convient cependant de rappeler l’hétérogénéité des grossistes présents sur le MIN (de l’indépendant au grand groupe) et la difficulté de mesurer la dynamique réelle de la profession. Il conviendra aussi d’être attentif à la prise en compte de l’ensemble des dimensions de la durabilité en plus de l’aspect local. Des labellisations en responsabilité sociétale des entreprises (RSE) impulsées par les gestionnaires de MIN pourraient-elles à l’avenir encadrer ces démarches ?
Pour augmenter la pertinence de l’outil au service des territoires, des réflexions peuvent être menées sur le mode de gouvernance et l’échelle les plus adéquats à considérer. Aussi, un questionnement sur la place du MIN dans les démarches de relocalisation et reterritorialisation des territoires peut être mené.
Construire un modèle économique durable
Afin d’accompagner les projets de redynamisation et de rénovation des infrastructures des sites, les pouvoirs publics locaux doivent s’assurer de la pertinence du mode de gestion choisit pour le site.
Dans son projet de transformation, la MEL a procédé au déclassement et à la privatisation du MIN de Lomme en octobre 2019. Le site ne dispose plus du statut de MIN et est dorénavant détenu et géré par une SEM, avec une participation de la MEL à 75 %. Cette transformation a permis de mobiliser d’importants capitaux, avec l’entrée dans le capital de quelques actionnaires privés, et a aussi donné la possibilité aux grossistes de devenir propriétaires de leur outil de travail.
L’achat des locaux par les opérateurs du site et l’entrée dans le capital de personnes privées peut ainsi constituer une solution pour réaliser les investissements nécessaires à la pérennité du site. Il convient néanmoins d’être vigilant quant au risque de perte de pouvoir des acteurs publics.
Vers une gouvernance inclusive
Au-delà des enjeux de mobilisation de capital, la structure juridique de ce type de plateforme peut aussi être considérée comme un moyen de rendre l’outil le plus inclusif et mobilisateur possible.
Dans un appel à « Nourrir Lyon, autrement, localement, solidairement », une quinzaine d’acteurs, en réponse à la privatisation du marché de gros de Lyon, interpellent la Métropole sur la création d’un marché d’intérêt métropolitain (MIM). Pour Loïc Fayet, initiateur de l’appel, l’ambition est de « proposer une structure la plus inclusive possible » (Fayet, 2021). S’il reste à étudier la faisabilité d’une telle forme juridique, un statut de société coopérative d’intérêt collectif pourrait permettre de faire discuter la puissance publique, des producteurs, des opérateurs de la chaîne alimentaire et des consommateurs.
Dans son dernier avis, le Conseil économique, social et environnemental préconise d’ailleurs en s’appuyant sur les MIN « de rendre obligatoire dans chaque métropole, un « contrat de logistique » associant l’ensemble des parties prenantes sur le modèle des PAT, pour rééquilibrer les approvisionnements et organiser la résilience alimentaire territoriale » (Denier-Pasquier et Ritzenthaler, 2020).
Une question d’échelle
Pour les territoires, se pose la question de l’échelle la plus adaptée pour ce type d’outil. L’apparition des nouveaux termes comme marché d’’intérêt (marché d’intérêt local) et MIM (marché d’intérêt métropolitain) illustre ces questionnements.
Les zones de chalandise restent actuellement très variables d’un marché à l’autre : alors que le MIN de Nantes se présente comme le marché du Grand Ouest, on observe par exemple quatre MIN en Occitanie. Si ces disparités s’expliquent historiquement et par des dynamiques territoriales différentes, dans une optique de relocalisation, plusieurs questions se posent : le MIN doit-il se renforcer pour devenir l’outil d’une région / de plusieurs régions ? Au contraire, chaque agglomération devrait-elle se doter d’un MIN ?
Pour répondre à cette question d’échelle, il convient de considérer les flux commerciaux déjà présents sur le territoire. Dans ce cadre, un travail d’ingénierie et de compilation des données existantes semble nécessaire.
Une réponse mais pas la seule
Il apparaît important de souligner que le MIN n’est pas forcément la réponse unique pour faciliter l’approvisionnement urbain en produits locaux.
Pour la Métropole de Lille, au-delà du carreau des producteurs, il est nécessaire d’appuyer les dynamiques territoriales existantes et d’accompagner plusieurs projets de massification à différents endroits de la Métropole. Cela évite des allers-retours de marchandises sur le territoire et permet de tester différentes solutions en fonction des espaces. Pour Pascal Lelièvre, responsable du développement économique à la MEL : « Nous, en tant qu’institution, on ne ferme aucune porte. Ce que l’on souhaite, c’est vraiment libérer les énergies et permettre à tous les projets de trouver émergence : qu’ils soient dans le domaine de la startup […], sur des initiatives de cohésion entre les producteurs ou alors sur des initiatives plus traditionnelles avec les marchés de gros, en lien avec les grossistes » (Lelièvre, 2021).
Pour les acteurs publics, le MIN apparaît comme un outil pertinent à mobiliser. Les dispositifs innovants présentés précédemment illustrent effectivement de quelles manières l’outil peut participer à la mise en place opérationnelle de politiques alimentaires territoriales. En favorisant l’implantation de certains acteurs ou en impulsant des projets collectifs pour les opérateurs du site, les pouvoirs publics locaux peuvent utiliser le MIN comme une réponse aux enjeux de relocalisation et de reterritorialisation.
Toutefois, compte tenu de l’hétérogénéité des sites et de la diversité des dynamiques déjà existantes sur chaque territoire, le MIN est loin de constituer une solution unique face à ces enjeux.
L’outil mérite cependant d’être considéré dans chaque territoire : aussi bien en vue de le reployer que pour alimenter des réflexions autour de l’approvisionnement durable des milieux urbains.
Auteure : Solenne Jaupitre