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La Ceinture verte 

Olivia Belkowiche

MOTS-CLÉS : CEINTURE VERTE, AIDE À L’INSTALLATION, PORTEURS DE PROJETS HORS CADRE FAMILIAL, MARAÎCHAGE BIOLOGIQUE

Dispositif créé en 2019, La Ceinture Verte a pour objectifs de faciliter et accélérer les installations en maraîchage bio diversifié de porteurs de projets non issus du milieu agricole, ou « hors cadre familial », l’enjeu étant de contribuer à relocaliser l’agriculture nourricière autour des villes.

En proposant aux futurs maraîchers une ferme individuelle ou une ferme sur un site semi-collectif, un réseau d’irrigation, 1 500 m2 de serres automatisées ainsi qu’un bâtiment de stockage, le dispositif vise à permettre un démarrage d’activité rapide, en facilitant notamment l’accès au foncier.

Les porteurs de projets maraîchers se voient aussi proposer un accompagnement technico-économique personnalisé, par un tuteur maraîcher (à raison d’une fois par mois) et/ou par un technicien spécialisé en maraîchage (à raison d’une fois par semaine). Ils sont par ailleurs autonomes pour l’achat de leur équipement et la commercialisation de leurs produits.

Dans cette étude, nous allons voir en quoi ce dispositif répond à une vraie demande, à la fois des collectivités territoriales, qui souhaitent relocaliser l’agriculture au sein de leur territoire, et des porteurs de projets, toujours plus nombreux à vouloir s’installer en maraîchage biologique. Pour cela, nous sommes partis à la rencontre de trois maraîchers de La Ceinture Verte, installés dans l’agglomération de Pau, ainsi que de Laure Astegno, responsable des partenariats et du recrutement des maraîchers de La Ceinture Verte.

CONTEXTE

Le dispositif de La Ceinture Verte vient s’insérer dans un paysage agricole et alimentaire en pleine mutation. En effet, il s’inscrit dans la tendance actuelle qui est à la relocalisation alimentaire et à la valorisation du recours aux circuits courts, soutenues par la loi EGalim [1]. Ce contexte a permis de faire émerger de nouvelles opportunités et modalités de mobilisation du foncier, visant à faciliter l’accès à la terre et l’installation d’agriculteurs hors cadre familial (Baysse-Lainé, 2021) et à développer avec eux les circuits de proximité.

Ces dernières années, le nombre de fermes commercialisant en circuit court (vente directe ou avec un seul intermédiaire) n’a cessé de progresser. Selon les chiffres du dernier recensement agricole, en 2020, près de 90 000 exploitations commercialisent en circuits courts. C’est 4 000 de plus que 10 ans plus tôt, soit 23 % des exploitations françaises aujourd’hui, contre 17 % en 2010 (Salset, 2022). Les porteurs de projet hors cadre familial sont ceux qui s’engagent le plus dans les circuits de proximité. Cependant, ils rencontrent souvent dans leur parcours vers l’installation des difficultés à trouver du foncier (Baysse-Lainé, 2021).

Le métier d’agriculteur est lui aussi en mutation, avec plus de 50 % des candidats à l’installation qui sont hors cadre familial (selon l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture – APCA) [2] . De plus, parmi les nouveaux installés hors cadre familial, 15 % se tournent vers la production maraîchère, qui présente un double avantage : une surface et des investissements limités par rapport à d’autres productions comme l’élevage ou la viticulture. Un nombre croissant de cette « nouvelle génération » de maraîchers opte pour des pratiques biologiques, sur des fermes de petites surfaces, diversifiées avec une commercialisation en circuits courts (Morel et Léger, 2018).

Par ailleurs, le renouvellement des générations est problématique en France depuis quelques années : dans 10 ans, un tiers des agriculteurs prendront leur retraire et plus de la moitié dans 20 ans. Or aujourd’hui, sur le million d’hectares de terres échangées chaque année sous contrôle des sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer), seuls 400 000 ha bénéficient à de nouveaux arrivants, quand 500 000 ha vont à l’agrandissement de fermes existantes et 100 000 ha sont détournés pour des projets d’urbanisation (Darnault, 2021).

Enfin, il faut rappeler la forte précarité des maraîchers, qui peinent à vivre décemment de leur activité et dont les fermes sont souvent exclues des dispositifs d’aide de la politique agricole commune (PAC). Selon une étude du groupement régional des agriculteurs bio de Basse-Normandie, la rémunération moyenne d’un maraîcher est de 740 € par mois pour une charge de travail hebdomadaire de 59 heures.

Le dispositif de La Ceinture Verte a donc été créé avec pour objectifs de développer des filières en circuits courts (justifiant l’accompagnement d’installations en zone péri-urbaine), de favoriser le renouvellement des générations agricoles et de réduire la précarité des maraîchers tout en facilitant et en pérennisant leur installation.

LES SCIC DE LA CEINTURE VERTE : ORGANISATION, FINANCEMENTS ET GOUVERNANCE

L’organisation
La SAS Ceinture Verte Groupe, dont le siège est situé dans la Drôme, à Romans-sur-Isère, anime un réseau de sociétés coopératives d’intérêt collectif (Scic) indépendantes réparties à ce jour sur trois régions (Nouvelle-Aquitaine, Auvergne Rhône-Alpes et Normandie). Elle leur fournit des services mutualisés : communication, recrutement des directeurs et directrices de Scic, identification de terres agricoles disponibles, ingénierie de mise en œuvre des fermes, structuration des financements, animation de la gouvernance, sélection des porteurs de projet, accompagnement technico-économique et suivi administratif.

Les trois fondateurs sont Pierre Pezziardi, ancien associé de KissKissBankBank [3] et cofondateur de l’incubateur de start-ups d’État beta.gouv.fr [4], Ivan Collombet, ancien responsable des opérations à beta.gouv.fr et Greg Bulckaert, entrepreneur et co-fondateur de Bodeboca [5]. L’équipe se compose également de Maïté Goyenetche, directrice technique, Laure Astegno, responsable des partenariats et du recrutement des maraîchers, Doris Robert, Manuel Linot ainsi qu’Élodie Blanchard et Jérémy Alves qui dirigent respectivement les Scic du Pays de Béarn, de la Drôme, de Limoges et de Clermont-Auvergne. Toute l’équipe est répartie dans plusieurs villes de France.

En ce qui concerne le foncier agricole, les coopératives La Ceinture Verte peuvent acquérir les parcelles semi-collectives ou individuelles de deux manières : en achetant ou en louant des terres qui appartiennent aux collectivités. Dans les deux cas, elles proposent ensuite de mettre ces parcelles à disposition des maraîchers qui signent alors deux contrats : un bail de carrière et un contrat de prestation de services et de mise à disposition d’équipements. Cet engagement contractuel se traduit par une cotisation mensuelle dont le maraîcher doit s’acquitter (voir la partie sur les cotisations). Ces deux contrats sont résiliables avec un préavis de 3 mois.

Les financements
Chaque nouvelle coopérative (Scic) émerge de l’initiative de trois fondateurs a minima : la communauté d’agglomération, la chambre d’agriculture et la SAS Ceinture Verte Groupe. Ces trois acteurs fournissent les capitaux de départ (en moyenne entre 200 000 € et 300 000 €).

La coopérative est ensuite ouverte aux autres collectivités, aux investisseurs privés, aux producteurs, habitants, associations qui souhaitent entrer au capital. Par exemple, la coopérative des Pyrénées-Atlantiques s’appuie sur un capital de départ de 100 000€ fourni par la communauté d’agglomération de Pau, mais aussi sur 300 000€ apportés par des investisseurs solidaires (agence de l’eau et conseil régional de la Nouvelle-Aquitaine notamment). Grâce à ces 400 000 € de fonds propres, la coopérative a pu créer la trésorerie nécessaire au déblocage de droits aux emprunts bancaires, ce qui lui a permis d’investir dans l’achat du foncier et les infrastructures nécessaires pour la création de la ferme (serres, réseau d’irrigation, raccordement aux réseaux et bâtiment agricole). Chaque nouvelle ferme représente un investissement de 140 000 € à 180 000 € en moyenne pour la coopérative.

Les cotisations
En 2019, quand a démarré le dispositif, les maraîchers devaient s’acquitter chaque mois d’une cotisation fixe (275 € la première année, 415 € la deuxième année puis 550 € à partir de la troisième année) et d’une cotisation variable, progressive, calculée sur l’ancienneté et les résultats économiques (+7,5 % sur la partie du chiffre d’affaires supérieure à 40 000 €).

Mais cette question du coût des cotisations a plusieurs fois été débattue. À la suite d’une réflexion commune avec les maraîchers installés, leurs tuteurs et les nouveaux porteurs de projet, la part variable a complètement disparu, pour laisser place à des cotisations fixes majorées. Ainsi, chaque maraîcher paie maintenant une cotisation mensuelle de 300 € la première année, puis de 450 € la deuxième année et de 600 € à partir de la troisième année. De plus, dès la quatrième année, 150 € lui seront prélevés (s’ajoutant aux 600 €) en vue d’être capitalisés. L’objectif étant que chaque maraîcher puisse monter en capital dans la coopérative afin de peser plus lourd dans les décisions. Ainsi, sur 20 ans, un maraîcher pourrait capitaliser à hauteur de 36 000 € et, s’il décide de quitter la coopérative, il pourra récupérer ses parts (soit par remboursement par la coopérative, soit par rachat par un futur maraîcher).

Pour Laure Astegno, la finalité est que la coopérative et son capital financier appartiennent aux maraîchers et non plus aux investisseurs (Astegno, 2022).

La gouvernance
La gouvernance d’une Scic est celle d’une coopérative (une personne = une voix), dans laquelle on retrouve plusieurs collèges de vote :
  le collège des producteurs (les maraîchers installés), qui détiennent, au départ, en moyenne 20 % des parts de la coopérative (ils achètent à leur arrivée pour 500 € de parts sociales). L’idée étant qu’au fur et à mesure, ils puissent devenir majoritaires dans la coopérative et de ce fait détenir le pouvoir en matière d’orientations ;
  le collège des fondateurs (a minima la communauté d’agglomération, la chambre d’agriculture et la SAS La Ceinture Verte) qui détiennent 40 % des parts ;
  le collège des investisseurs solidaires (citoyens du territoire, banques, etc.) qui détiennent 10 % des parts ;
  et le collège des partenaires (lycée agricole, Civam, couveuses, légumeries, Jardins de Cocagne etc.) qui détiennent également 10 % des parts.

Lors des conseils d’administration de chaque coopérative, deux représentants de chaque collège sont invités pour prendre toutes les décisions. Lors des assemblées générales, tous les coopérateurs sont conviés pour une présentation des comptes, faire le compte rendu de l’année passée et traiter des problématiques pour les années à venir.

Le public visé
La Ceinture Verte s’adresse avant tout aux porteurs de projet hors cadre familial, dont certains en reconversion professionnelle. Plusieurs d’entre eux ont rencontré des difficultés dans leur parcours antérieur d’installation, notamment dans leurs recherches de foncier, et voient dans le dispositif La Ceinture Verte un outil « clé en main » qui leur permet de trouver un terrain, de démarrer leur activité de manière opérationnelle (avec toutes les infrastructures en place) très rapidement et sans trop s’endetter (Campguilhem, 2022).

Le dispositif étant encore récent, il est peu connu encore des centres de formation et organismes qui gravitent autour de l’installation. Un effort de communication est donc nécessaire pour orienter les nouveaux porteurs de projet vers ce nouveau dispositif.

Pour se porter candidat, il est nécessaire d’avoir une première expérience en maraîchage (un diplôme ou une certification ne sont pas des prérequis, mais au moins une expérience sur une saison complète en maraîchage est demandée). Un prévisionnel d’assolement et de production (détaillant les projections des volumes, des prix de vente et des circuits de commercialisation) ainsi qu’un prévisionnel d’investissement (détaillant le volume d’investissement, les besoins en trésorerie et les modalités d’investissement) sont aussi demandés à chaque porteur de projet.

LES AVANTAGES DU DISPOSITIF

Pour Laure Astegno, le dispositif La Ceinture Verte est avant tout un outil facilitateur d’installation, permettant à des maraîchers hors cadre familial de s’installer rapidement et de vivre de leur métier dès la première année (contre 7 ans en moyenne, selon la fédération régionale des agriculteurs biologiques de Bretagne – FRAB) [6] et ainsi de mieux se projeter dans le temps avec une sécurité foncière garantie par le bail de carrière.

La première année de cet « accélérateur d’installation » a été un succès, avec des résultats technico-économiques très satisfaisants pour les maraîchers (ils visaient 25 000 € de chiffre d’affaires en année 1 et ils ont atteint entre 30 000 et 40 000 €). Ces résultats encourageants permettent d’ailleurs à deux maraîchères de projeter l’embauche d’un saisonnier et à un troisième maraîcher de s’associer sur sa ferme (à Lescar et à Meillon dans les Pyrénées-Atlantiques).

De plus, le côté semi-collectif des fermes présente de nombreux avantages. Tout d’abord, il permet aux maraîchers de mutualiser leurs achats de matières premières ou leurs productions pour alimenter la restauration collective (exemple de Mélissa à Pau qui s’est associée avec d’autres maraîchers pour livrer une partie de leur production à un lycée hôtelier). C’est aussi un atout pour créer des outils collectifs nouveaux et ainsi travailler sur une structuration de filière avec les maraîchers déjà en place et la collectivité. C’est le cas de l’agglomération de Pau, en pleine réflexion sur la mise en place de casiers réfrigérés qui permettraient de faciliter l’accès des produits aux consommateurs à n’importe quelle heure (plus simples et faciles d’accès que les paniers en AMAP par exemple).

Pour Alison, maraîchère à Lescar (Pau), le dispositif de La Ceinture Verte lui a permis de débuter son activité sereinement, sans « gros crédits ». Elle a pu construire un projet économiquement viable et vivable. Contrairement à une installation classique qui demande un capital de 120 000 € à 140 000 € par ferme, Alison n’a eu qu’à investir dans du matériel pour 40 000 € (Alison, 2021). Elle souligne aussi l’accompagnement technique qu’offre le dispositif. Elle est suivie par un tuteur maraîcher ayant 10 ans d’expérience, venant lui rendre visite une fois par mois sur la ferme. La directrice de la Scic Pays de Béarn (Doris Robert) ainsi que la directrice technique maraîchage (Maïté Goyhenetche) sont aussi disponibles pour répondre à ses demandes quand elle en ressent le besoin. Un autre avantage du dispositif est l’autonomie dans la commercialisation des produits, qui permet à chaque maraîcher de faire ses propres choix de circuits de vente. Alison fait ainsi de la vente directe sur les marchés, dans des restaurants ainsi qu’à la ferme. Grâce à des chantiers participatifs, elle a pu monter rapidement sa ferme, en s’impliquant dans l’installation de ses serres et de son réseau d’irrigation et ainsi s’approprier le lieu. De plus, la séparation entre vie professionnelle et vie personnelle que le dispositif permet est appréciable. Comme Alison ne vit pas sur la ferme, cela lui évite les visites imprévues et lui permet de préserver son intimité et une meilleure déconnexion le dimanche.

Ce dernier avantage est aussi mis en avant par Lore et Alexandre, un couple de maraîchers récemment installé à Rontignon (agglomération de Pau) : « Avec du recul, nous sommes très contents de ne pas vivre sur la ferme. Même si nous ne sommes qu’à 800 mètres, cela nous permet de couper et de nous investir dans nos autres centres d’intérêt, de construire notre vie.  » (Lore et Alexandre, 2022) Ces derniers mettent aussi en avant la flexibilité qu’offre le dispositif, la liberté d’arrêter à tout moment (avec un préavis de 3 mois), de se lancer ailleurs. C’est un outil idéal pour ceux qui souhaitent capitaliser dans leur activité plutôt que dans le foncier. « Il y a cette possibilité de s’engager mais de pouvoir arrêter si l’on ne s’y retrouve plus ou pour des raisons personnelles. Nous ne sommes pas surendettés et ce dont nous sommes propriétaires peut se revendre. Nous nous rendons bien compte que même si nous avions acheté la parcelle, nous n’aurions aucune certitude quant à la valeur du bien au bout de 20 ans, surtout en maraîchage. Aujourd’hui nous préférons capitaliser autrement. » (Lore et Alexandre, 2022)

QUELQUES FREINS ET POINTS DE VIGILANCE

Des cotisations jugées parfois trop élevées
Pour Laure Astegno, il est important de bien comprendre ce qu’incluent ces cotisations : acquisition du foncier par la coopérative, investissements en infrastructures (serres neuves automatisées et réseau d’irrigation dont le coût peut s’élever à une dizaine de milliers d’euros), frais d’accompagnement technique, remboursement d’emprunt, frais de fonctionnement de la coopérative, charges à provision en cas d’années creuses, etc. « Certes, la cotisation peut paraître importante vue de l’extérieur, car il ne s’agit pas d’un fermage classique sur 2 ha seulement, mais bien d’un contrat de prestations, de services et de mise à disposition d’équipements. On ne retrouve pas ce type d’investissement et d’infrastructures dans des installations classiques individuelles car ce sont des investissements lourds à porter et ce sont justement ces investissements qui offrent des conditions de travail favorables aux maraîchers. » (Astegno, 2022)

Les maraîchers le disent aussi : « On sait que ça nous coûte plus cher mais on s’achète une sérénité de démarrage et de lancement d’activité qui sera rapidement rémunératrice dans des conditions de travail optimales. » (Lore et Alexandre, 2022)

Le problème d’accession à la propriété
À première vue, le modèle choisi par La Ceinture Verte laisse penser qu’il n’y a pas de capitalisation possible par le maraîcher. C’est d’ailleurs la critique qui est faite par l’association pour le développement de l’emploi agricole et rural (ADEAR) de la Drôme : « Si un agriculteur se désengage, pour tourner la page, il n’aura rien à transmette, rien à revendre à part ses propres économies.  » (Darnault, 2021)
Et c’est justement pour pallier cette critique que les coopératives ont décidé d’augmenter les cotisations pour permettre aux maraîchers de se constituer une part du capital de la coopérative plus importante. S’ils décident d’arrêter ou de continuer leur activité ailleurs, il leur sera possible de revendre leurs parts aux futurs maraîchers ou à la coopérative.

Le risque de standardisation du modèle
La Ceinture Verte paraît défendre une logique de « standardisation » car elle n’aménage que des fermes destinées à du maraîchage diversifié, sur 2ha, prévoyant 1,5 ha de cultures en plein champ, 1 500 m2 de serres et un espace de stockage. Pour certains acteurs de l’aide à l’installation, il s’agit d’un modèle « packagé », qui ne prend pas en compte les spécificités et les besoins de chaque territoire.

À cela, Laure Astegno répond que les maraîchers se voient en effet proposer une typologie de ferme prédéfinie, mais c’est justement ce modèle qui rassemble les conditions pour leur permettre de vivre rapidement de leur activité. Le modèle technico-économique a été pensé pour assurer un Smic aux maraîchers dès la deuxième année. De plus, chaque maraîcher est libre de cultiver à sa manière (exemple de la ferme semi-collective à Lescar où Mélissa cultive avec un tracteur et Alison avec un motoculteur). La surface cultivée en plein champ est aussi propre à chaque maraîcher (4 000 m2 pour l’une, 6 000 m2 pour l’autre en première année). Enfin, Laure souligne qu’un des avantages d’une parcelle de 2 ha est de permettre l’association de deux producteurs sur cette surface, ce qui est le cas sur deux des fermes (Lescar et Meillon).

De plus, si le modèle de production choisi par La Ceinture Verte laisse à penser que les fermes sont spécialisées en maraîchage, des diversifications restent possibles, avec l’accord préalable de la coopérative. Ainsi, des ateliers fruits rouges, verger ou poules pondeuses sont envisageables sous certaines conditions. C’est le cas de la coopérative La Ceinture Verte Drôme qui a choisi d’ouvrir une de ses fermes à la production de petits fruits pour répondre à une demande de commercialisation de certains porteurs de projets. C’est aussi le cas de Mélissa, qui a fait le choix de convertir un bloc de culture en verger diversifié sur 5 % de surface afin d’étoffer sa gamme.

Les problèmes d’acquisition du foncier
L’acquisition du foncier par les coopératives de La Ceinture Verte reste compliquée. En effet, celles-ci se confrontent parfois à des blocages venant de la profession agricole elle-même (structures et syndicats agricoles). Dans les Pyrénées-Atlantiques par exemple, le comité technique de la Safer a donné un avis défavorable à l’acquisition d’une parcelle de 6 ha pour la création de trois installations en maraîchage, et a préféré statuer en faveur de l’agrandissement d’une exploitation en place. La Ceinture Verte s’est alors mobilisée, notamment auprès du commissaire du gouvernement, pour faire valoir l’application de l’arrêté préfectoral régional qui fixe les conditions de priorité d’accessibilité au foncier. Contre toute attente et malgré le vote défavorable de la Safer, le commissaire du gouvernement a finalement statué en faveur du projet de La Ceinture Verte (BM., 2021).

PERSPECTIVES ET CONDITIONS RÉALISTES D’ESSAIMAGE

Depuis la création de la toute première coopérative La Ceinture Verte en pays de Béarn (2019), quatre nouvelles ont vu le jour, dans la Drôme à Granges-les-Beaumont (Scic Ceinture Verte Drôme), au Havre (Ceinture Verte Le Havre Seine), à Limoges (Ceinture Verte du Terroir de Limoges) et en Auvergne (Ceinture Verte Clermont Auvergne) (Figure 1). D’autres créations de coopératives sont en cours de discussion, à Rouen, à Caen et à Annecy. De plus, la coopérative du Béarn a décidé de s’agrandir en acquérant deux nouveaux sites : l’un pour une ferme semi-collective à Sus où trois porteurs de projet pourront s’installer courant avril 2022, l’autre à Denguin pour une installation individuelle. D’autres projets d’acquisition de foncier sont également en cours.

Les raisons de cet essor
Le dispositif semble donc en plein essor pour essaimer sur de nombreux territoires en France. Ce succès peut s’expliquer par trois facteurs : la volonté publique de relocaliser l’agriculture sur les territoires, une bonne communication de la part de La Ceinture Verte auprès des collectivités territoriales et enfin la motivation des porteurs de projet, désireux de s’installer sur des petites parcelles autour des villes et de vendre en circuits courts sans prendre trop de risques financiers.

Les territoires souhaitent de plus en plus s’inscrire dans une démarche de relocalisation, de production, d’installation et de renouvellement des générations (fortement liée à l’essor des projets alimentaires territoriaux – PAT). D’ailleurs, lors de la création d’un PAT, des études sont menées sur la consommation, la production, l’origine des légumes au sein d’un territoire, ce qui a permis de dresser le bilan suivant : «  Si nous voulons relocaliser 10 % de la consommation de légumes frais autour d’une ville comme Lorient ou Pau, ce sont plus de cent fermes maraîchères de proximité (200 ha) qu’il faut créer  [7] ».

Le dispositif, qui vise un effet accélérateur en termes de nombre d’installations (dix nouvelles fermes par an sur les territoires où il est déjà présent), vient donc en réponse à ces préoccupations.

Les freins à son essaimage
Cependant, plusieurs freins risquent de ralentir le déploiement du dispositif.
On perçoit ce ralentissement notamment dans la Drôme, où la coopérative semble avoir du mal à trouver preneur pour deux parcelles encore disponibles. Cette difficulté peut s’expliquer par trois raisons : premièrement, la région de la Drôme enregistre déjà un grand nombre de maraîchers sur son territoire, donc augmenter le volume de légumes produits risque de compliquer leur commercialisation au juste prix du bio. Ensuite, la taille du site semi-collectif choisi (quatre fermes) est également un frein à l’installation pour des porteurs de projet qui sont d’avantage attirés par des sites individuels. Enfin, la difficulté peut être due au profil des porteurs de projets qui souhaitent s’installer dans la Drôme, souvent en quête d’un mode de vie « alternatif » : ils sont alors éloignés des objectifs de rentabilité financière que requiert une installation soutenue par La Ceinture Verte. Mais là encore, la coopérative semble s’être adaptée en montant un projet de partenariat avec un Jardin de Cocagne dans la Drôme pour envisager l’installation de certains porteurs de projet en réinsertion.

Un autre élément qui peut ralentir l’essor de ce dispositif est le scepticisme d’autres acteurs de l’aide à l’installation (ADEAR, membres d’espaces-tests agricoles) qui risquent de bloquer les partenariats possibles entre structures. Citons par exemple les partenariats entre des coopératives La Ceinture Verte et des espaces-tests agricoles. Les coopératives sollicitent les membres du réseau des espaces-tests agricoles pour promouvoir leur modèle (besoin de porteurs de projets expérimentés), mais les partenariats ne sont pas systématiques et dépendent de la volonté de collaborer des membres du réseau. Alors que certains partenariats ont bien eu lieu (exemple de celui entre la première ferme de La Ceinture Verte à Pau et l’espace-test de la SAS Graines ou encore celui entre la coopérative et l’espace-test à Limoges), plusieurs membres du réseau Reneta [8] pointent du doigt le décalage entre les modèles économiques : celui des espaces-tests agricoles, qui prône la non-lucrativité du test agricole, quand les coopératives de La Ceinture Verte dépendent d’une cotisation mensuelle des maraîchers dès le début et jugée trop élevée par les ADEAR À cela, Laure Astegno répond qu’il s’agit là de deux modèles bien distincts : le dispositif de La Ceinture Verte conçoit le porteur de projet comme un entrepreneur, pour qui on met à disposition un site « clé en main », qui va lui permettre d’y développer une activité économique relativement cadrée et de se rémunérer rapidement, contrairement aux espaces-tests agricoles où l’objectif des porteurs de projets n’est pas de se rémunérer mais bien de se tester. Un autre décalage entre le réseau des espaces-tests agricoles et le dispositif de La Ceinture Verte est que le premier part des besoins d’un territoire donné pour construire le dispositif d’installation d’un porteur de projet, il se veut donc « à l’image du territoire », quand l’autre prône un modèle de ferme « packagé » et réplicable quasiment à l’identique sur chaque territoire : « Il ne faudrait pas que ça devienne LE modèle » nous alerte un membre du réseau Reneta (Maurice N., 2022).

Il ne faudrait pas non plus que ce concept de « fermes clés en main » tente les collectivités qui ne miseraient plus que sur le dispositif de La Ceinture Verte pour répondre aux enjeux de leur territoire et aux attentes de porteurs de projets. Il paraît en effet nécessaire de conserver une diversité de modèles et d’outils d’aides à l’installation pour répondre à la diversité des profils des porteurs de projets désireux de s’installer en agriculture et des territoires.

On perçoit aussi que peut se poser la question de la concurrence entre acteurs de l’aide à l’installation, déjà nombreux, dépendant tous de subventions publiques. C’est ce qui justifie la volonté des coopératives de La Ceinture Verte d’intégrer l’ensemble des partenaires dans le collège des partenaires.

Quant aux collectivités, elles sont satisfaites du retour sur investissement des coopératives de La Ceinture Verte. Elles apprécient la structuration de l’accompagnement à l’installation et les modalités de création des fermes (travaux, infrastructures) ; elles se réjouissent de voir se développer des entreprises (fermes) pérennes, viables et vivables sur leurs territoires.

CONCLUSION

Laure Astegno nous le confirme, La Ceinture Verte est une véritable innovation sociale, puisqu’elle ouvre la possibilité à des porteurs de projet hors cadre familial de rentrer dans la profession agricole sans endettement, sans assignation à leur exploitation tout en se constituant une épargne mobilière.

Cependant beaucoup d’acteurs d’aide à l’installation s’accordent sur le fait que La Ceinture Verte est un dispositif intéressant mais qui mérite d’être mûri, plus transparent et évolutif. Certains se disent curieux de voir si cet « accélérateur de l’installation » va se pérenniser dans le temps, sachant qu’il n’est pas seul à vouloir s’insérer sur ce « marché de l’installation agricole » en plein boom.

Comme il est tout récent, c’est un outil qui nécessite d’être constamment repensé et réadapté pour répondre au mieux aux besoins évolutifs d’une nouvelle génération d’agriculteurs.

Auteure : Olivia BELKOWICHE


[1Loi EGalim : « Loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous ». Loi française de 2018 issue des États généraux de l’alimentation de 2017

[3KissKissBankBank : entreprise de financement collaboratif.

[4Beta.gouv.fr : incubateur de services publics numériques.

[5Bodeboca : site de e-commerce pour du vin espagnol.

[8Reneta : Réseau national des espaces-tests agricoles.