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Selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), l’état de santé des Européens se dégrade, avec un adulte sur deux et un enfant sur trois en surpoids. En France, environ 17 % des adultes souffrent d’obésité, mais cette moyenne cache d’importantes disparités socioéconomiques, car les enfants d’ouvriers sont quatre fois plus touchés par l’obésité que les enfants de cadres . Les habitudes alimentaires évoluent en même temps que les modes de vie et notre rapport à l’alimentation. Les Français ont réduit le temps dédié aux repas, d’où le recours croissant aux produits transformés et à la restauration hors-foyer (Gorge, 2020). De plus, les scandales sanitaires ont accentué la volonté d’une meilleure transparence sur la qualité nutritionnelle des produits proposés par l’industrie agroalimentaire. Or, une enquête de l’UFC-Que Choisir a montré que 82 % des consommateurs ne comprennent pas ou pensent que les informations sur les étiquettes sont incomplètes. Alors comment faire en sorte d’informer les consommateurs sur la qualité nutritionnelle de leur alimentation afin de les guider vers des choix plus favorables à la santé ?
Le logo nutritionnel simplifié au triple objectif
Au niveau européen, l’étiquetage nutritionnel s’appuie sur le Règlement européen n° 1169/2011, dit « INCO » (information du consommateur) qui rend obligatoire un affichage de la composition nutritionnelle des denrées alimentaires sur les emballages. Dans ce cadre, le ministère des Solidarités et de la Santé a souhaité la mise en place d’un logo nutritionnel simplifié sur les denrées alimentaires, à l’avant des emballages. Le décret n° 2016-980 de 2016, inclus dans la loi sur la modernisation du système de santé, a fixé un cadre pour la création d’un tel dispositif. Le logo 5C, qui correspond aujourd’hui au Nutri-score, est le fruit des travaux de l’équipe du Pr Serge Hercberg ainsi que de l’expertise de l’Agence nationale de sécurité sanitaire, de l’environnement et du travail (Anses) et du Haut conseil de la santé publique (HCSP).
Le Nutri-score a été adopté officiellement par arrêté interministériel le 31 octobre 2017, après une phase de test en conditions réelles. Il est basé sur une échelle de cinq couleurs : du vert foncé au orange foncé (Figure 1). Il est associé à des lettres allant de A, pour les denrées de meilleure qualité nutritionnelle, à E, pour celles de moins bonne qualité nutritionnelle, dans le but d’optimiser son accessibilité et sa compréhension par le consommateur. Il repose sur le score de qualité nutritionnelle de la Food Standard Agency (FSA) et, selon l’État, serait corrélé aux recommandations du programme national nutrition santé (PNNS).
De plus, le logo est attribué sur la base d’un score prenant en compte, pour 100 g ou 100 ml de produit, la teneur en i) nutriments et aliments à favoriser (fibres, protéines, fruits, légumes, légumineuses, fruits à coques, huile de colza, de noix et d’olive) ; ii) nutriments à limiter (nutriments trop énergétiques, acides gras saturés, sucres et sel). Après calcul, le score obtenu permet d’attribuer une lettre et une couleur au produit. Nutri-score est une marque gérée par Santé publique France, que les entreprises peuvent demander et apposer sur leurs produits de manière volontaire.
Le déploiement du Nutri-score répond à un triple objectif :
1. permettre aux consommateurs d’appréhender d’un seul coup d’œil la qualité nutritionnelle des aliments ;
2. inciter les industriels à innover et reformuler leurs produits pour améliorer la qualité nutritionnelle de l’offre alimentaire ;
3. faciliter le conseil nutritionnel par les professionnels de santé.
Le suivi de son déploiement a été confié à l’observatoire de la qualité de l’alimentation (Oqali), appuyé par l’Anses et l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae). La France est le seul pays à faire le suivi du Nutri-score actuellement, parmi les sept pays européens qui l’ont adopté et se sont engagés dans son déploiement (Luxembourg, Espagne, Pays-Bas, Allemagne, Belgique et Suisse).
Une adoption sur fond de controverses
Son adoption n’a pas été un processus linéaire et consensuel. En effet, elle a fait l’objet d’une controverse à la fois juridique, institutionnelle et scientifique comme le souligne le sociologue Daniel Benamouzig . Sur le plan juridique, la controverse questionne l’articulation des décisions prises entre échelons national et européen, d’autant que le Nutri-score n’a pas pu être rendu obligatoire en France malgré le lobbying des associations de consommateurs.
Sur le plan institutionnel, son adoption a fait éclore de vifs débats entre acteurs publics et privés, les industriels étant eux-mêmes très divisés sur la question. Malgré tout, le groupe de travail sous l’égide de la direction générale de la santé était équilibré (représentants du monde de la santé, professionnels de l’agroalimentaire, et de la société civile), ce « qui a permis de dégager des majorités dans la prise de décision » (Andrault, 2021).
Au niveau scientifique, l’Anses et la chercheuse en nutrition Nicole Darmon avaient travaillé bien en amont sur un autre système de profilage nutritionnel appelé « SAIN, LIM » prenant en compte davantage de variables que le Nutri-score. Des voix divergentes se sont donc manifestées pour soulever les limites du Nutri-score, comme le fait qu’il se concentre quasi exclusivement sur la densité énergétique et moins sur la richesse en nutriments essentiels. De plus, des critiques ont porté sur la phase d’expérimentation en laboratoire et en conditions réelles entre 2015 et 2016. Premièrement, car « le critère de jugement qui a été utilisé pour dire que c’était efficace était précisément l’algorithme qui permet de calculer le Nutri-score (score FSA) » (Darmon, 2021), ce qui a pu orienter quelque peu les résultats de l’étude. Par ailleurs, l’expérimentation ne concernait que quatre catégories d’aliment, or « ce qui est important est de modifier les choix dans leur totalité ; ce n’est pas d’acheter la biscotte alpha plutôt que la beta. L’impact sur les caddies d’achat n’a pas été démontré et encore moins sur le long terme » (Darmon, 2021). En effet, l’expérimentation en conditions réelles s’est déroulée sur dix semaines entre septembre et décembre 2016, ce qui parait court. Enfin, reste à souligner que ces essais comparatifs ont donné le Nutri-score comme l’étiquetage nutritionnel le plus efficace. Cependant, selon Pierre Chandon, « les effets de l’étiquetage étaient, en moyenne, dix-sept fois plus faible dans notre expérience que dans les études en laboratoire » (Chandon, 2020), ce qui relativise son efficacité sur les comportements alimentaires en conditions réelles, mais pas nécessairement en termes d’impact global sur la santé.
Malgré des divergences au sein même des instances de l’État (Anses versus HCSP), la grande majorité des études scientifiques ont reconnu le Nutri-score comme l’étiquetage nutritionnel le plus efficace pour améliorer favorablement la qualité nutritionnelle moyenne des paniers d’achat des consommateurs par rapport aux autres logos testés (Sens, Nutri-repère et Nutri-couleurs, Nutrimark), de par son information colorielle et son caractère synthétique qui facilitent sa compréhension.
Après trois ans d’application en conditions réelles, quel bilan dresser par rapport aux objectifs que s’est fixé le gouvernement ?
Un bilan favorable quant aux changements alimentaires
Le dernier rapport du ministère des Solidarités et de la Santé, paru en février 2021, met en avant des chiffres sur la notoriété et l’impact du Nutri-score sur les comportements d’achat déclarés. En septembre 2020, 93 % des personnes interrogées ont déclaré avoir déjà vu ou entendu parler du logo et le considèrent comme utile, contre 58 % en 2018. De plus, 66 % des participants ont indiqué qu’il apporte des informations sur la composition et la qualité nutritionnelle des produits, contre 56 % en avril 2018. Quatre-vingt-quatorze pourcents se disent favorables à sa présence sur les emballages. Enfin, concernant les changements alimentaires dus au Nutri-score, plus d’un tiers des personnes connaissant le logo déclarent avoir déjà choisi un produit avec un meilleur score par rapport à un autre produit moins bien noté dans le rayon (contre 13,7 % en 2018), et 57 % déclarent avoir changé au moins une de leurs habitudes d’achat grâce au logo nutritionnel, contre 43 % en 2019. En effet, l’objectif du logo est bien de faciliter la comparaison de produits d’une même gamme d’aliments.
Des chiffres encourageants, mais qu’il faut toutefois relativiser. Tout d’abord, parce que la méthodologie utilisée par l’Oqali se base sur des déclarations. Or de nombreux obstacles existent lors de l’acte d’achat en magasin, ce qui pousse à penser que les résultats réels du logo sont inférieurs à ceux déclarés. Ainsi, trois facteurs de décalage sont récurrents : i) les freins physiques (disponibilité des produits, mauvaises informations, insuffisantes ou trop complexes) ; ii) les freins psychologiques (déni de l’importance de certains choix, méfiance envers les allégations des industriels) ; iii) l’état immédiat de la personne au moment de la consommation (fatigue, irritation), ce qui favorise des comportements routiniers parfois en contradiction avec les intentions.
De plus, le suivi est mené sur un échantillon représentatif de mille et une personnes, ce qui reste assez faible pour mesurer l’impact global d’un tel dispositif. Une étude récente publiée par le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Hebel, 2020) montre bien que le logo correspond aux attentes croissantes de prévention-santé, car le lien entre alimentation et santé n’a cessé de croître depuis vingt ans, pour atteindre en moyenne 91 % en 2018. Cependant, il reste principalement utilisé par les catégories socioprofessionnelles les plus favorisées, notamment les femmes, les citadins, entre 25 et 34 ans et les citoyens engagés dans une cause. Finalement, ce sont déjà les populations les moins touchées par les problèmes de maladies chroniques et de surpoids.
Enfin, il est important de questionner la nature du changement alimentaire. Quelle alternative est choisie et est-elle réellement plus saine ? Ce changement s’inscrit-il dans la durée et en fonction d’un équilibre alimentaire global des repas sur une semaine ?
Une alimentation stigmatisée et stigmatisante ?
Plusieurs limites du dispositif ont été soulignées, certaines propres au Nutri-score et d’autres inhérentes à tous les systèmes de profilage nutritionnel. Quelques exemples montrent un manque de cohérence entre le Nutri-score et les recommandations du PNNS, comme celui des céréales raffinées et complètes que l’algorithme du dispositif, bien qu’il intègre la teneur en fibres, ne permet pas de distinguer (les deux types sont généralement classés A).
De plus, le Nutri-score ne prend pas en compte des variables qui intéressent les consommateurs, comme le degré de transformation, les modes de cuisson, l’utilisation ou non de pesticides ou les additifs. C’est pourquoi d’autres logos et applications fleurissent concernant les aspects nutritionnels (Siga, Yuka, etc.) et environnementaux (éco-score). Cela pourrait mener à une « cacophonie nutritionnelle ». « Aujourd’hui, la viande rouge va être A au Nutri-score, E à l’éco-score et A au Nova parce que c’est un produit brut. Qu’est-ce que les gens vont faire de cela ? » (Darmon, 2021). Cette sur-notation pourrait desservir le consommateur en engendrant une certaine confusion, bien que le Nutri-score ait toutefois le mérite de faire l’objet d’un contrôle scientifique et d’un suivi régulier des effets de son application sur l’offre et la demande alimentaires, ce qui n’est pas forcément le cas d’initiatives privées.
D’autre part, le caractère simplificateur du Nutri-score permet de faciliter son appropriation par le consommateur et l’industriel, même s’il offre une vision réductionniste de l’alimentation et pourrait « infantiliser » les consommateurs. Cela accentue la stigmatisation entre des « bons » et des « mauvais » produits, alors que la « qualité nutritionnelle, c’est la diversité alimentaire. Pourquoi ? Parce qu’il n’y a que cette diversité qui permet d’apporter l’ensemble des nutriments nécessaires et indispensables à la santé, donc les minéraux, fibres, vitamines, acides gras essentiels, sans excès notamment en sucres et en sel. Le tout avec des fréquences de consommation et des portions adaptées » (Darmon, 2021).
Bien que ce ne soit pas l’intention du dispositif, il serait à craindre que cette stigmatisation se reporte sur les consommateurs, notamment les plus précaires, ou génère des angoisses alimentaires, voire de l’orthorexie . « Pour une certaine catégorie de population, les choix ne sont pas dictés par la connaissance mais par le budget. Il y a un risque à considérer que les aliments notés E sont mauvais, et donc que le comportement de ceux qui achètent ce type d’aliments est mauvais. D’une certaine façon, cela pourrait créer une forme de stigmatisation des consommateurs à faibles revenus » (Lecerf, 2021).
Enfin, la multiplication d’applications et logos de notation semble aller de pair avec une « fragmentation des habitudes alimentaires partagées. Aujourd’hui manger n’est plus automatiquement un acte de rencontre et de partage autour de valeurs communes : le plaisir de manger des bonnes choses qui nous font du bien et ensemble. Cela devient un peu une source de dissension » (Lecerf, 2021). Il y a donc un enjeu à mieux informer les consommateurs sur une utilisation éclairée de ces dispositifs. Les professionnels de santé ont un rôle à jouer dans l’éducation alimentaire, notamment pour accompagner les consommateurs, qui en ont besoin, à récréer un lien plus sain et instinctif avec leur alimentation.
Les déterminants de nos comportements alimentaires : quel poids pour l’étiquetage nutritionnel ?
La question des habitudes alimentaires est complexe, ce qui expliquerait pourquoi l’étiquetage alimentaire, même coloriel et simplifié, n’a qu’un impact modéré sur nos comportements alimentaires. Comme décrit en figure 2, plusieurs facteurs clés génèrent des effets sur les comportements du consommateur : les caractéristiques des systèmes d’information nutritionnelle, les caractéristiques individuelles et le contexte de consommation (indiqués en orange). Ces derniers jouent sur notre capacité à et l’opportunité de lire les étiquetages nutritionnels et, in fine, influence notre motivation à les lire (en bleu sur la figure). Une fois la décision prise de lire l’étiquetage nutritionnel, un processus cognitif en quatre étapes successives permet de décoder l’étiquetage, puis de prendre une décision pour transformer ou non la lecture en acte d’achat. D’autres facteurs entrent en jeu dans la décision comme les marques, le marketing alimentaire, le temps disponible, etc. (indiqués en vert). Les biais sont donc nombreux et il est difficile d’attribuer une efficacité précise et directe à un dispositif alors que les facteurs d’influence sont multiples, comme expliqué dans la figure.
Par ailleurs, l’étude « Which healthy eating nudges work best ? A meta-analysis of field experiments » de P. Chandon et R. Cadario sortie en juin 2020 montre que les nudges cognitifs, dont fait partie le Nutri-score, seraient moins efficaces sur l’apport énergétique que ceux liés à l’affectif (comme des appels à mieux manger ou des incitations au plaisir), et encore bien moins que les nudges comportementaux qui jouent notamment sur l’amélioration des tailles de portions (Cadario et Chandon, 2020 ; figure 3).
L’adoption progressive du Nutri-score par l’industrie agroalimentaire (IAA)
Certes, il y a eu de la résistance de la part de certains industriels même s’« il faut arrêter de croire que l’IAA est une force monolithique, représentée derrière l’Association nationale des industries alimentaires. Vous avez autant de positions que d’industriels : […] certains étaient déjà en faveur de quelque chose de plus compréhensible, notamment ceux dont le portefeuille de produits étaient plutôt bien positionné par rapport au Nutri-score ; contrairement à d’autres » (Andrault, 2021). Fin 2020, ce sont plus de cinq cents exploitants qui se sont engagés volontairement dans cette démarche, contre soixante-dix en 2018. Le logo est apposé sur environ 30 % des produits distribués par les moyennes et grandes surfaces, les distributeurs spécialisés et en e-commerce, soit environ cinq mille références en supermarché et douze mille références en e-commerce. Ce sont les produits traiteur frais, les produits laitiers et assimilés et les plats cuisinés frais qui sont les plus porteurs du logo.
Bien qu’il ne soit toujours pas obligatoire, le Nutri-score a su s’imposer progressivement, même au sein de firmes alimentaires majeures comme Nestlé, Kellogg’s et même PepsiCo ; et ce malgré une forte réticence initiale. Des marques nationales comme Bonduelle et Danone, et des marques distributeurs comme Carrefour, ont également joué le jeu très rapidement. Cela semble logique, puisque le Nutri-Score est largement encouragé par les consommateurs.
Reformulation des recettes et effets contreproductifs potentiels
Le recul est insuffisant pour produire des données officielles sur l’évolution de la reformulation des produits, mais le suivi régulier fait par l’Oqali permettra d’analyser cette évolution. En complément, une étude est prévue concernant la corrélation entre les effets de l’affichage du Nutri-score et les prix. Affaire à suivre donc. Pour autant, certaines entreprises font déjà des efforts de reformulation et l’affichent via du marketing publicitaire ou sur leur site, comme Fleury-Michon : « Nous allons poursuivre nos efforts de réduction des matières grasses et de sel, ou encore proposer plus de légumes dans nos recettes, pour viser une majorité de Nutri-score A ou B. »
Pour d’autres entreprises, dont les produits étaient déjà globalement bien notés, il est plus difficile de viser l’optimisation nutritionnelle pour passer d’une catégorie à une autre, car la reformulation non seulement représente un coût en recherche et développement, mais également pourrait nuire au goût final du produit et faire basculer le consommateur vers un produit concurrent (Lecerf, 2021). De plus, la reformulation des recettes ne signifie pas forcément aller vers des produits plus favorables à la santé. L’un des risques serait de « pousser les industriels à aller uniquement vers des produits moins gras, moins sucrés, moins salés, peut-être même vers des produits allégés. Et là, je ne suis pas sûre que ce soit une avancée en nutrition. Ce qui est important dans l’alimentation, c’est qu’elle couvre les besoins nutritionnels d’un individu, ce n’est pas uniquement qu’elle évite d’avoir une charge en gras et en sel » (Darmon, 2021). Il faut enfin que ces reformulations ne remettent pas en cause la sécurité sanitaire des aliments.
Responsabilité individuelle ou sociétale ?
Le Nutri-score est un dispositif préventif de santé publique basé sur l’incitation plutôt que la coercition et peu coûteux pour l’État. Il est ancré dans une logique de marché, considérant que le logo nutritionnel favorisera une demande croissante en produits plus favorables à la santé, ce qui induira in fine une modification de l’offre nutritionnelle de la part des industriels. Finalement, la responsabilité de « bien manger » repose sur les choix individuels, qui seraient rationnels et capables d’autocontrôle. Or, « l’adoption trop systématique par les décideurs d’une unique stratégie comportementaliste pourrait conduire à ne plus mobiliser, et donc affaiblir, le panel de leviers dont dispose un gouvernement et ce, au bénéfice des industriels alors dédouanés de leur responsabilité » (Cambon, 2016). Il y a donc un enjeu à ce que l’État, de manière concomitante, continue de réguler proactivement la qualité et le coût de l’offre alimentaire, tout comme le marketing alimentaire.
Amélioration des dispositifs de prévention et de coercition
En premier lieu, il faut rappeler que le Nutri-score s’inscrit dans un cadre plus large de mesures et recommandations du PNNS (2019-2023) ; il n’en est qu’un instrument parmi d’autres. « Il faut savoir que le Nutri-score n’est pas l’alpha et l’oméga de la nutrition, il faut aller au-delà et […] suivre les recommandations du PNNS. C’est-à-dire cuisiner d’abord soi-même, à partir de produits bruts, […], manger plus de fruits et de légumes, un peu de viande mais pas trop. Et si du fait de notre mode de vie moderne, on est amené de manière ponctuelle à prendre des produits industriels prêts à l’emploi, là il faut utiliser le Nutri-score pour connaître la qualité nutritionnelle » (Andrault, 2021).
De plus, des débats existent concernant les messages de prévention généralisés tels que « Manger cinq fruits et légumes par jour », etc. Quelle est l’efficacité de ces messages télévisés sur les populations ? Permettent-ils d’atteindre les populations les plus éloignées des enjeux nutritionnels ? Pour l’UFC-Que Choisir, ces messages informatifs sont toujours valables pour toucher les parents malgré un manque de budget du ministère des Solidarités et de la Santé pour les développer et diffuser. Pour d’autres professionnels, il serait bon d’aller vers des messages plus positifs, prônant les bienfaits de la variété et de la diversification alimentaire, afin d’éviter trop jugements de valeur.
En parallèle de ces messages et pour lutter contre les inégalités sociales de santé, des projets d’éducation populaire peuvent être efficaces. « La prévention est possible à tout âge et elle devrait pouvoir toucher d’autant plus les personnes qu’elles en ont le plus besoin, c’est le principe même de l’“universalisme proportionné” qui seul permet de lutter contre les inégalités sociales de santé. C’est pourquoi il faut développer des processus qui sont difficiles et coûteux en termes de ressources humaines pour aller chercher ceux qui sont les plus éloignés de la prévention » (Darmon, 2021). Des initiatives existent comme Opticourses, un programme de promotion de la santé issu d’un projet de recherche action mené à Marseille, dont l’objectif est d’améliorer l’équilibre des approvisionnements alimentaires de foyers pauvres sans augmenter leur dépenses alimentaires. Ce type de programme est généralisable à grande échelle à condition de déployer les ressources adéquates.
Les associations de consommateurs, notamment l’UFC-Que Choisir, militent eux pour une loi de moralisation du marketing alimentaire en particulier pour les enfants, qui y sont plus sensibles et représentent une cible privilégiée de l’IAA.
Prochains déploiements du Nutri-score et autres pistes
Des améliorations de l’algorithme du Nutri-score ont déjà été effectuées, notamment pour les huiles de noix, de colza et d’olive.
Par ailleurs, le 12 février 2021, Santé publique France a annoncé la mise en place d’un mécanisme de coordination transnationale entre les sept pays engagés dans le déploiement du Nutri-score pour faciliter son utilisation. Deux comités, l’un de gouvernance et l’autre scientifique, ont été créés pour faciliter les échanges d’expériences entre pays, conseiller plus efficacement les entreprises étrangères au sujet de l’adoption du Nutri-score et intégrer les dernières actualisations scientifiques dans l’algorithme. Si cet espace de coordination transnationale fonctionne et facilite la diffusion de résultats positifs concernant le déploiement du Nutri-score, il y a fort à parier que d’autres pays européens rejoindront bientôt l’initiative, ce qui ne fera que renforcer le lobbying déjà existant pour rendre le dispositif obligatoire au niveau européen d’ici 2022.
Le PNNS prévoit également le déploiement du Nutri-score dans la restauration collective et commerciale. Le groupe Elior a d’ailleurs commencé à afficher le logo nutritionnel dans plusieurs cantines pilotes et devrait continuer d’étendre le dispositif à d’autres établissements. L’objectif est d’aider les élèves et étudiants à équilibrer leur plateau-repas (équilibre entre l’entrée, le plat principal et le dessert), en attribuant une note à chacun des trois plats. De plus, l’objectif du PNNS est de déployer le Nutri-score sur les produits en vrac, même si cette mesure ne s’est pas encore concrétisée aujourd’hui. Elle permettrait de mieux mettre en avant les fruits et légumes qui seront notés A (Agence pour la recherche et l’information en fruits et légumes, 2021), mais avec le risque sous-jacent de tendre vers une ultra-notation de notre alimentation.
Enfin, au-delà de sa vocation principale, le Nutri-score pourrait être utilisé comme un support pour d’autres mesures de santé publique, comme la régulation de la publicité à destination du jeune public, ou encore la régulation économique via la taxation ou la subvention de produits, dont le montant pourrait être indexé sur le profil nutritionnel des aliments. Des pistes d’utilisation et d’amélioration du Nutri-score envisageables pour le futur, qu’il faudra compléter avec d’autres outils, car le Nutri-score seul ne permet pas d’aborder toute la complexité des enjeux nutritionnels actuels.
Auteure : Maureen Ducarouge