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Depuis quelques années, une multitude d’initiatives et de démarches privées se réclamant d’un commerce équitable « origine France » voient le jour sur le territoire français. Certaines ont d’ailleurs été mises en avant lors des États généraux de l’alimentation en 2017, où le gouvernement français s’est engagé sur la mise en place d’un meilleur équilibre dans les relations commerciales entre agriculteurs, industriels et distributeurs. Ces produits « équitables » ou « solidaires » se présentent comme un moyen de soutenir les filières agricoles françaises.
Le commerce international de produits alimentaires date de plusieurs millénaires. Il a permis la consommation de produits tropicaux dans les zones où leur culture est impossible (banane, café, cacao, etc.). Il a connu une croissance assez lente jusque dans les années 1970, avant de s’accélérer du fait des cycles de libéralisation successifs sous l’impulsion de l’accord général sur le commerce et les tarifs douaniers (GATT) puis de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) [Johnson, 2003]. Ces cycles de libéralisation, ainsi que la dérégulation des marchés internationaux, ont exposé les économies les plus fragiles à l’instabilité des marchés internationaux.
À partir des années 1950, des inquiétudes apparaissent quant à l’inégalité des termes de l’échange entre pays développés et pays en développement. Ces derniers réclament la tenue d’une véritable conférence pour traiter de leurs problèmes économiques et trouver des moyens d’actions appropriés. Une première CNUCED [1] se tient ainsi en 1964 et lance le slogan « Trade, not aid » (Du commerce, pas de l’aide). Cependant, les possibilités d’une régulation publique du commerce international apparaissent vite réduites.
Le slogan est alors repris par des organisations caritatives puis des associations comme Oxfam, qui s’engagent dans un mouvement de solidarité visant à rompre avec la logique d’assistance et de coopération qui prévalait jusqu’alors. À cette époque, on parle encore de « commerce alternatif », et les produits sont vendus dans des réseaux de boutiques spécialisées.
Durant les années 1970-80, ce qui se nomme à présent le « commerce équitable » se structure rapidement et se professionnalise : en 1988 un premier label voit le jour aux Pays-Bas avec la création de l’association Max Havelaar, et en 1989 est créée la première organisation mondiale de commerce équitable, la World Fair Trade Organization (WFTO).
Au cours des années 1990, le commerce équitable commence à se développer hors des circuits spécialisés (boutiques associatives, magasins bio) : le développement de la filière labellisée permet la vente de certains produits dans les grandes enseignes de distribution.
Aujourd’hui, ses activités s’étendent de la structuration des groupes de producteurs au niveau local jusqu’au lobbying international. On compte une centaine d’importateurs spécialisés dans le monde, dont une dizaine en France et plusieurs milliers de points de vente spécialisés dans le monde (Lecomte, 2007).
Le commerce équitable a été officiellement défini en 2001 par le consensus de FINE, une organisation informelle réunissant les principaux acteurs du commerce équitable au niveau international (importateurs, distributeurs, fédérations de points de vente, groupements de producteurs, etc.) : « Le Commerce Équitable est un partenariat commercial, fondé sur le dialogue, la transparence et le respect, dont l’objectif est de parvenir à une plus grande équité dans le commerce mondial. Il contribue au développement durable en offrant de meilleures conditions commerciales et en garantissant les droits des producteurs et des travailleurs marginalisés, tout particulièrement au Sud de la planète. Les organisations du Commerce Équitable (soutenues par les consommateurs) s’engagent activement à soutenir les producteurs, à sensibiliser l’opinion et à mener campagne en faveur de changements dans les règles et pratiques du commerce international conventionnel. »
Cette définition illustre bien la principale revendication des acteurs du commerce équitable, à savoir le soutien des petits producteurs des pays du Sud (Afrique, Asie, Amérique centrale et du Sud), qui représentent la majeure partie des producteurs agricoles dans le monde.
En effet, suite à la libéralisation des économies nationales et à la dérégulation des marchés, ceux-ci font face à la désorganisation des circuits marchands dont l’État avait précédemment la charge et sont obligés de vendre leur production à de nouveaux acteurs intermédiaires, qui dominent le marché. Par ailleurs, leur production est souvent peu subventionnée et peu diversifiée.
Cette faible diversification est parfois généralisée et pose alors problème aux échelles nationales, rendant certains pays tributaires des cours mondiaux des matières premières, les capacités de transformation locales étant faibles ou nulles. Or, ces cours des produits agricoles issus des pays du Sud (cacao, café, thé, etc.) subissent de fortes variations, notamment du fait d’un manque de politiques concertées de maîtrise de la production. Certains pays, notamment parmi les moins avancés (PMA), dépendant parfois à hauteur de plus de 80 % de recettes provenant de l’exportation d’une ou quelques matières premières, cette situation pose de graves problèmes sur les plans social et économique. Elle est à l’origine d’une grande précarité pour ces producteurs : pauvreté économique, développement de cultures illicites, abandon des plantations, exode, restriction de l’accès à la santé et à l’éducation pour leur famille. La plupart ont un revenu très faible, voire proche du seuil de pauvreté.
Des difficultés locales, comme un marché local limité ou un contexte politique difficile, peuvent encore compliquer une situation déjà précaire.
Le commerce équitable se base sur une série de valeurs, traduites en critères, qui sont communs aux référentiels internationaux reconnus :
→ Solidaire : travailler en priorité avec les producteurs parmi les plus défavorisés dans une démarche solidaire et durable. Cela demande le préfinancement des commandes (les producteurs ayant généralement des problèmes de trésorerie et des difficultés d’accès au crédit) et la contractualisation sur le long terme.
→ Direct : acheter le plus directement possible pour maximiser la marge du producteur. Cela se traduit par la limitation du nombre d’intermédiaires entre l’acheteur final et la coopérative de producteurs, voire par un achat en direct.
→ Juste : garantir un prix d’achat juste, qui doit permettre au producteur de vivre décemment. Le prix équitable doit couvrir le coût de production et permettre de dégager une marge. Une prime supplémentaire doit être versée pour le financement de projets collectifs. Le calcul des coûts de production doit être fait en garantissant le respect de critères sociaux et environnementaux.
→ Transparent : donner toute l’information sur le produit et les circuits de commercialisation. Le commerce équitable induit une volonté d’information du consommateur, qui accepte de verser une « prime à l’achat » pour le service rendu au producteur et sa propre information.
→ Qualité : valoriser les savoir-faire traditionnels et l’utilisation d’ingrédients ou de matériels locaux.
D’autres éléments sont également pris en compte avec un objectif d’amélioration continue, comme le fait de favoriser les organisations participatives à gouvernance démocratique, ce qui permet de renforcer les organisations de producteurs.
Plusieurs impacts du commerce équitable ont pu être démontrés (Vagneron et Roquigny, 2010 ; Cary, 2004). Il a été établi qu’une forte relation de confiance s’établissait entre producteurs et distributeurs équitables, et que l’inscription dans la durée des relations commerciales était généralement respectée, permettant ainsi aux producteurs d’avoir un revenu plus stable.
Ensuite, les producteurs sont incités à s’associer en groupements (en coopératives par exemple), là encore cela leur permet d’être moins vulnérables face aux intermédiaires, notamment au niveau de la vente des récoltes, la coopérative pouvant par exemple disposer d’informations sur les cours. Cela permet aux producteurs d’avoir un meilleur accès au marché.
Grâce aux contacts établis avec les réseaux équitables, les producteurs accèdent à une meilleure connaissance des réseaux commerciaux et sont donc plus à même d’en comprendre les enjeux et les exigences. Cela permet de rééquilibrer les rapports de force avec les intermédiaires commerciaux.
Enfin, des effets positifs en matière d’environnement ont été démontrés, la promotion par des organismes de commerce équitable de modes de production biologique ou durables étant presque systématique.
Face à ces effets positifs du commerce équitable Nord / Sud sur la situation des producteurs agricoles, on peut s’interroger sur l’intérêt de transposer les principes du commerce équitable au contexte des filières locales et nationales françaises.
Les producteurs agricoles français peuvent sembler être dans une situation bien différente de celle des petits producteurs des pays en développement : ils bénéficient de subventions grâce à la politique agricole commune de l’Union européenne, ils ont accès à un système bancaire capable de les soutenir durant les périodes de prix faibles, et des sources de financement au niveau national ou européen peuvent leur permettre la réalisation de projets de développement.
Malgré cela, ces producteurs sont bien souvent eux aussi dans des situations difficiles, qui s’expliquent par de multiples facteurs.
Les récentes crises agricoles du lait et de la viande porcine ont mis en évidence les rapports de force déséquilibrés entre les producteurs agricoles et les acteurs de l’aval des filières, industriels agroalimentaires et grande distribution. Pour certains producteurs, le prix payé pour les matières premières ne permet pas de couvrir les coûts de production et encore moins de dégager un revenu suffisant. Ainsi, en 2016, un agriculteur sur cinq perdait de l’argent en exerçant son métier, tandis qu’un sur deux gagnait moins de 350 euros par mois (Lairot, 2018) .
Les producteurs font également face à un contexte de concurrence internationale et de fluctuation des prix. Mises à part les grandes productions qui peuvent dans certains cas assurer un prix de vente minimum par le biais des marchés à terme internationaux, la plupart des producteurs ont peu de moyens pour maîtriser le risque prix lié à la vente de leur production.
Les politiques publiques ne s’avèrent pas toujours capables d’appuyer des exploitations agricoles inscrites dans des logiques de diversification, de pluriactivité ou d’agriculture paysanne. Ainsi, au cours des dernières années, le nombre d’exploitations agricoles familiales a fortement diminué, au profit d’un agrandissement des exploitations (près de 90 000 exploitations agricoles ont ainsi disparu en l’espace de dix ans) [Agreste, 2016]. Le désengagement récent de l’État français des aides au maintien en agriculture biologique est susceptible de renforcer ces menaces pour la petite agriculture.
Enfin, le système bancaire ne propose pas nécessairement des solutions adaptées à la situation des producteurs, qui sont généralement déjà très endettés par des investissements nécessaires au fonctionnement de l’exploitation agricole.
En parallèle, une réelle demande sociétale s’est développée en France depuis les années 2000, en faveur d’un changement de modèle agricole et d’une évolution vers des modes de production et de consommation plus équitables et durables.
Dans ce contexte, différentes initiatives ont émergé sur le territoire pour soutenir économiquement les agriculteurs français tout en les accompagnant vers un changement de pratiques. Elles sont portées par deux types d’acteurs. D’une part, les réseaux des agricultures alternatives, qui expérimentent la mise en place de nouveaux outils économiques et de nouvelles relations commerciales dans le but de consolider leur projet d’agriculture citoyenne et durable. D’autre part, les acteurs du commerce équitable Nord / Sud, qui élargissent leur champ d’action traditionnel et tentent de décliner avec les agriculteurs français les principes du commerce équitable.
Ainsi, en 2002, l’organisation Biocoop [2] crée la marque « Ensemble, solidaire avec les producteurs » avec la volonté de changer le modèle agricole et d’améliorer les rapports sociaux au sein des filières alimentaires françaises, dans un contexte où le rapport de force déséquilibré entre producteurs et distributeurs paraît être la règle. La marque, basée sur un cahier des charges interne, reprend les principes du commerce équitable et les adapte au contexte français.
En 2011, la Scop [3] Ethiquable, acteur historique du commerce équitable Nord / Sud en France, a lancé la marque « Paysans d’ici », également avec une charte interne qui reprend les principes du commerce équitable.
D’une manière générale, les acteurs impliqués dans ces démarches s’engagent sur trois points essentiels : un engagement commercial pluriannuel (au moins trois ans), le paiement d’un prix couvrant au moins les coûts de production des producteurs et le versement d’une prime destinée au financement de projets collectifs et visant à renforcer les capacités des organisations de producteurs.
À travers l’exemple de deux démarches se réclamant du commerce équitable origine France, nous allons tenter de voir quels peuvent en être les impacts effectifs.
L’entreprise Ethiquable est un acteur du commerce équitable Nord / Sud depuis sa création en 2003 (commercialisation de café, chocolat, sucre équitables issus de pays du Sud). Sous l’impulsion d’un groupement de producteurs du Gers, qui souhaitait travailler avec Ethiquable au niveau local, la marque « Paysans d’ici » a été créée en 2011. Cette marque s’accompagne d’une charte interne de vingt-quatre principes, articulés autour de l’agriculture paysanne et du commerce équitable, qui formalise l’engagement d’Ethiquable envers les producteurs.
La marque couvre aujourd’hui une gamme de trente et un produits, issus de onze partenariats avec différents groupements de producteurs. Ces produits répondent tous aux exigences du cahier des charges de l’agriculture biologique, sont majoritairement transformés par les coopératives de producteurs partenaires et permettent de valoriser des produits liés à un terroir : piment d’Espelette, pruneau d’Agen, etc. [Figure 1]. Les produits, référencés en grande distribution, font toujours mention du nom de la coopérative partenaire.
Ethiquable a ainsi développé un partenariat avec la coopérative d’agriculteurs Coufidou, basée à Sainte-Livrade-sur-Lot, pour la commercialisation de pruneaux d’Agen. Ce partenariat permet de soutenir la production de pruneaux issus de l’agriculture biologique, y compris ceux de petit calibre (valorisation par le biais de crème de pruneau). La prime de développement versée par Ethiquable en complément du prix d’achat des produits permet d’organiser des journées thématiques (utilisation de couverts végétaux, biodiversité fonctionnelle) pour les adhérents de la coopérative (Algayres et Dubourdieu, 2018).
Un autre partenariat, développé avec le groupe-ment de producteurs de fruits rouges Terr’Ethic, situé dans les Monts du Lyonnais, a permis l’installation de deux nouveaux producteurs en agriculture biologique. En effet, le partenariat a permis d’offrir un nouveau débouché commercial pour les producteurs.
La démarche Agri-Éthique a été initiée en 2013 par le groupe coopératif agricole Cavac en Vendée. Les producteurs de blé adhérents de la coopérative souhaitaient déconnecter leur production du prix du marché, trop fluctuant, et la coopérative a donc proposé de leur acheter le blé à prix fixe avec des contrats sur trois ans. Le prix payé pour le blé est calculé avec les producteurs et doit permettre de couvrir a minima les coûts de production (Brindejonc, 2018).
La démarche Agri-éthique est depuis basée sur trois engagements :
→ garantir le revenu des agriculteurs,
→ revaloriser l’agriculture locale,
→ et agir pour l’environnement.
La coopérative a ensuite intégré dans la démarche les meuniers et industriels de l’aval de la filière, ainsi que les artisans boulangers, avec des contrats entre tous les partenaires de trois, voire cinq ans. L’objectif était de co-construire un modèle qui fasse participer tous les acteurs de la filière. Aujourd’hui, la démarche Agri-éthique a réussi son pari et implique mille agriculteurs, douze coopératives, quinze moulins, cinq industriels partenaires et six cents boulangeries artisanales. Elle a également développé d’autres filières en plus de la filière blé tendre d’origine : lait, ovo-produits, blé noir, beurre et vin.
Dans les deux cas étudiés, les principes de commerce équitable revendiqués sont respectés. Les producteurs perçoivent un prix supérieur à celui du marché, couvrant leurs coûts de production. Les contrats commerciaux engagent les parties prenantes sur plusieurs années.
Plusieurs impacts ont été identifiés. Tout d’abord, une amélioration du revenu des producteurs : en moyenne, 50 % du prix final payé par le consommateur revient à la coopérative (Brondel, 2018). La contractualisation sur plusieurs années permet également au producteur d’avoir une meilleure visibilité sur le long terme, et encourage les transitions vers des pratiques agricoles plus durables comme l’agriculture biologique (Brondel, 2018).
Ensuite, une consolidation des organisations de producteurs, grâce à une meilleure insertion sur le marché, qui encourage les investissements, par exemple dans un outil de transformation. Ces démarches de commerce équitable « origine France » permettent également de renforcer les liens entre les différents acteurs des filières alimentaires, en créant des réseaux ou en recréant du lien entre producteur et consommateur final. En offrant un débouché complémentaire pour les organisations de producteurs, elles peuvent être à l’origine de création d’emploi dans les filières agricoles.
Enfin, la démarche d’Ethiquable comme celle d’Agri-Éthique permettent d’améliorer la visibilité des produits proposés par les organisations de producteurs, via la communication explicite sur l’origine et la haute qualité de ces produits.
Les démarches de commerce équitable « origine France » contribuent donc à soutenir et à développer des organisations de producteurs françaises engagées (ou souhaitant le faire) dans des pratiques agroécologiques. En assurant au producteur un prix stable et rémunérateur sur plu-sieurs années, elles permettent de redonner du sens à la production agricole et rééquilibrent les rapports de force au sein des filières.
En 2016, le commerce équitable « origine France » représentait un chiffre d’affaires de 275 millions d’euros (Plateforme pour le commerce équitable, 2017) et impliquait cinq cents producteurs en France. C’est un secteur à croissance rapide : les ventes de produits ont augmenté de 155 % entre 2015 et 2016, et en 2017 le commerce équitable de produits issus de filières françaises a représenté environ un tiers des ventes du commerce équitable en France [Figure 2].
De plus en plus d’entreprises se positionnent sur ce secteur : Alter Eco s’est ainsi lancée en 2011, en partenariat avec la coopérative agricole biologique Corab, dont les membres promeuvent un modèle d’agriculture respectant les critères de l’agroécologie. D’autres démarches sont apparues encore plus récemment, comme la marque du consommateur « C’est qui le patron », dont le cahier des charges met l’accent sur la rémunération du producteur, la marque Soy de l’entreprise Nutrition et Nature qui valorise une production de soja bio et local, etc.
Ces produits rencontrent une forte demande de la part des consommateurs français, qui sont de plus en plus nombreux à s’interroger sur le « vrai prix » de l’alimentation et souhaitent réintroduire du sens et des valeurs dans l’acte de consommation. Ainsi, selon un sondage réalisé par OpinionWay [4] pour Max Havelaar, 79 % des Français « voient dans le fait de consommer responsable un acte citoyen » et 94 % des français « trouvent important que leurs achats garantissent un prix juste pour le producteur ».
Le développement du commerce équitable « origine France » devait a priori permettre de renforcer les dynamiques que nous avons pu identifier dans la partie précédente, à savoir une meilleure rémunération des producteurs partenaires et l’accompagnement vers une transition agroécologique.
On peut néanmoins s’interroger sur les risques d’apparition d’un phénomène de concurrence si les démarches se multiplient. Cet effet de concurrence pourrait d’un côté avoir des effets positifs en conduisant les acteurs à étoffer leur cahier des charges pour offrir davantage que la seule promesse de rémunération au prix juste, en intégrant des critères environnementaux ou sur les conditions de travail des salariés. Mais d’un autre côté, la concurrence peut conduire à tirer les prix à la baisse, ce qui serait en contradiction avec les valeurs portées par les acteurs de ces démarches. En parallèle, la multiplication des marques et des labels privés générée par l’apparition d’un nombre croissant d’entreprises engagées dans des démarches de commerce équitable « origine France » risque d’entraîner de la confusion pour le consommateur.
Face à ces limites, il pourrait être intéressant d’envisager la création d’une norme unique, éventuellement publique, permettant d’identifier tous les produits issus d’une démarche de commerce équitable « origine France ». Néanmoins, l’histoire montre qu’une telle norme est difficile à définir et à imposer : elle n’a ainsi jamais pu être mise en place dans le cadre du commerce équitable Nord / Sud.
Une première étape a tout de même été franchie en 2014. La Plateforme pour le commerce équitable (PFCE) [5], le réseau Initiatives pour une agriculture citoyenne et territoriale (InPACT) et la fédération nationale de l’agriculture biologique (FNAB) ont élaboré une « charte du commerce équitable local ». Celle-ci permet de fixer un cadre rassemblant toutes les initiatives relevant du commerce équitable « origine France » apparaissant sur le territoire et leur donne davantage de lisibilité.
Cette charte s’appuie sur trois points fondamentaux :
→ un engagement entre les parties au contrat sur une durée qui ne peut être inférieure à trois ans,
→ le paiement par l’acheteur d’un prix rémunérateur pour les travailleurs, établi sur la base des coûts de production et d’une négociation équilibrée entre les parties au contrat,
→ et l’octroi par l’acheteur d’un montant supplémentaire obligatoire destiné aux pro-jets collectifs (généralement appelé « prime de développement »), en complément du prix d’achat ou intégré dans le prix, visant à renforcer les capacités et l’autonomisation des travailleurs et de leur organisation.
Ces trois points sont repris dans la définition donnée par la loi relative à l’économie sociale et solidaire promulguée en 2014, qui autorise les acteurs économiques à utiliser la mention « commerce équitable » sur des produits français.
La crise agricole que nous vivons montre que les agriculteurs français ont besoin de prix rémunérateurs, de partenariats commerciaux pérennes, de reconnaissance et de soutien aux productions de qualité.
Sur ces aspects, le commerce équitable « origine France » est un exemple de voie possible pour un renouveau des pratiques commerciales entre agriculteurs, industriels et distributeurs. Il permet de recréer de la valeur à l’amont des filières alimentaires et de redonner du sens à la production agricole.
Une coordination efficace des acteurs à l’origine des multiples initiatives innovantes de commerce équitable « origine France » permettra d’en préserver les valeurs dans les années à venir et de continuer à placer les producteurs au centre de ces filières d’avenir.
« Le commerce équitable est un modèle dont il faut s’inspirer. Il bénéficie aux petits producteurs et, de fait, contribue de manière significative à la réduction de la pauvreté et au développement rural. C’est une vraie source d’espoir » (Olivier De Schutter [6]).
Auteur : Mary-Anne Bassoleil
[1] Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement.
[2] Biocoop est le premier distributeur de produits biologiques en France. Il s’agit à l’origine d’associations de consommateurs engagés, souhaitant s’approvisionner en produits biologiques.
[3] Société coopérative de production.
[4] Étude OpinionWay pour Max Havelaar France réalisée selon la méthode des questionnaires auto-administrés en ligne, les 13 et 14 avril 2016 auprès de 1005 personnes âgées de 18 ans et plus, https://www.economie.gouv.fr/particuliers/commerce-equitable
[5] Plateforme pour le commerce équitable (aujourd’hui Commerce Equitable France) : collectif national de représentation créé en 1997, dont l’objectif est de « défendre et promouvoir le développement de relations commerciales plus justes et équilibrées permettant aux producteurs d’améliorer leurs conditions de vie et aux consommateurs d’être mieux informés sur leurs actes d’achat ».
[6] Rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à l’alimenta-tion, de 2008 à 2014.