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Des alternatives agroécologiques se développent aujourd’hui à travers la France entière. Elles prônent des modèles basés sur une agriculture durable, à taille humaine, respectueuse des écosystèmes. Malheureusement, les populations les plus défavorisées ont difficilement accès aux produits de cette agriculture. En attendant un système alimentaire qui permettrait à toute la population d’avoir accès à une nourriture saine et de qualité, des projets se développent à travers la France pour tenter de remédier à ces inégalités sociales. C’est dans ce contexte qu’un groupement d’agriculteurs dans le Limousin a décidé d’utiliser la force d’un collectif pour approvisionner l’aide alimentaire en produits frais et locaux.
En 2015, une convention nationale est signée entre la Fédération française des banques alimentaires et l’Association des membres de l’ordre du mérite agricole. L’objectif de cette convention est de permettre la collecte de matières premières agricoles pour l’aide alimentaire. Un groupement d’agriculteurs situé dans le Limousin s’approprie la problématique et décide de développer un projet innovant. L’idée de ces agriculteurs : cultiver des terrains communaux abandonnés ou en attente de projet. Sur ces terrains, ils cultivent des céréales destinées à la vente, et avec les bénéfices de cette vente ils financent la mise en culture de produits frais locaux, pour les donner à la banque alimentaire [Figure 1].
À travers ce projet, les agriculteurs veulent à la fois valoriser des terres inutilisées, permettre aux personnes en précarité alimentaire de pouvoir consommer des produits sains et locaux, et recréer un lien entre les agriculteurs et les citoyens les plus défavorisés.
Pourquoi cultiver des céréales destinées à la vente sur les terrains communaux ? La volonté première du groupement d’agriculteurs était de planter directement les cultures destinées à la banque alimentaire sur les terrains communaux, en l’occurrence des pommes de terre. Cependant, les agriculteurs ont dû rapidement changer leur angle d’approche, les terrains mis à leur disposition étant trop dégradés pour assurer une bonne récolte de pommes de terre (présence de pierres, terrains pauvres). L’idée a donc consisté à mettre en valeur ces terrains par des cultures de vente en essayant de s’orienter vers des céréales peu exigeantes en intrants, couvrantes et résistantes aux adventices et aux maladies (exemples : sarrasin, avoine blanche ou noire). Les pommes de terre quant à elles restent locales et sont produites chez deux agriculteurs du groupement spécialisés dans cette culture.
Les prestataires qui assurent la mise en culture des communaux sont adhérents de Cendrecor Agro-Écologie, ce qui garantit une réalisation organisée et efficace des prestations. Le groupement est adhérent d’une coopérative (Océalia) pour l’achat des intrants et les contrats de récolte. L’objectif est que la vente des céréales permette de rembourser la mise en culture des pommes de terre sur les communaux. La commune d’Oradour-sur-Glane a été la première à prêter gratuitement un terrain de sa zone artisanale (terrain appartenant à la communauté de communes Porte Océane du Limousin). En 2016, 3 hectares ont été emblavés en avoine blanche destinée à la production de corn flakes, et 12 tonnes de pommes de terre ont pu être achetées et fournies à la banque alimentaire. En 2017, cette même parcelle a été emblavée en sarrasin.
L’agroécologie peut être définie comme un ensemble disciplinaire qui fait converger les sciences agronomiques, l’écologie des agroécosystèmes et les sciences humaines et sociales (Tomich et al., 2011). Elle peut s’adresser à différents niveaux d’organisation, de la parcelle à l’en-semble du système alimentaire.
Le groupement d’agriculteurs à l’origine du projet est labellisé groupement d’intérêt économique et environnemental (GIEE). Les GIEE sont basés sur la discipline de l’agroécologie. Reconnus et soute-nus par l’état, ils constituent l’un des outils structurants du projet agroécologique pour la France. Il en existe quatre cent soixante-dix-sept en France, et ils ont comme objectif la performance à la fois économique, environnementale et sociale.
Le GIEE de Cendrecor Agro-Écologie à l’origine du projet a été créé en 2015. Le groupement d’agriculteurs existait déjà depuis 2003 sous forme d’une association rassemblée autour de la valorisation de déchets industriels. Les agriculteurs récupèrent les cendres issues de la chaudière à écorces de l’usine International Paper. Ils les épandent sur leurs terres, qui sont réputées pour être très acides dans cette région de la France. En vingt ans, l’épandage des cendres a augmenté le pH des sols de plus de 1,5 point. Cela a permis la diminution de l’utilisation d’intrants, l’augmentation des rendements et la valorisation des prairies naturelles. Le redressement de l’état calcique a également permis l’introduction de cultures fourragères protéiques dans les rotations (luzerne, trèfle, etc.).
Celles-ci contribuent à l’autonomie alimentaire des élevages. Elles ont également la particularité d’avoir des systèmes racinaires très développés qui favorisent un important stockage de carbone. Elles participent ainsi au projet agronomique des agriculteurs en favorisant la remontée des taux de matière organique dans les sols.
À travers la valorisation des cendres, l’augmentation de la fertilité des sols et le stockage du carbone, la centaine d’agriculteurs de Cendrecor s’est orientée vers une démarche agroécologique, basée sur des performances économiques, environnementales et sociétales. Afin de structurer les actions et répondre aux enjeux agricoles, il a été décidé de créer en 2015 le GIEE. C’est sur les bases de la triple performance agroécologique, et plus particulièrement du volet sociétal, que le projet « De la terre à l’assiette » a été initié.
Dans les années 1950, grâce aux efforts consentis après-guerre dans l’agriculture, la production alimentaire mondiale explose. Des excédents apparaissent, notamment sur le marché des céréales. Pourtant, les inégalités se creusent entre les pays du Nord et du Sud et le paradoxe excédents / famines subsiste. L’aide alimentaire a été mise en place dans les pays européens et nord-américains afin d’apporter une solution à ce paradoxe. Elle a comme principal objectif d’écouler les surplus de stocks agricoles des pays du Nord et de répondre à des situations d’urgence. Puis dans les années 1980, suite au choc pétrolier et à la crise économique, le taux de population en situation de précarité augmente. L’aide alimentaire œuvre alors pour récupérer les invendus des industries et des supermarchés pour les redistribuer aux pauvres. Depuis, les inégalités sociales persistent. En 2015, 14,1 % de la population est en situation de précarité, soit près de 9 millions de personnes, et 4 millions de personnes ont bénéficié de l’aide alimentaire.
Au fil des années, l’aide alimentaire est devenue un mouvement national de solidarité. Elle est sortie de la simple redistribution ponctuelle des surplus pour devenir la principale source d’alimentation d’une partie de la population. Ainsi, l’aide alimentaire doit prendre en compte les besoins nutritionnels des personnes, tout en offrant une alimentation diversifiée de qualité, en quantité suffisante. Dans un même temps, elle doit constituer un outil d’inclusion sociale, voire économique, et aider les bénéficiaires à sortir de la précarité.
Il est intéressant de prendre un peu de recul sur l’acte de manger. Comment cet acte s’inscrit-il au sein d’un complexe social, et comment la précarité peut-elle avoir un impact sur lui ?
Manger, un acte culturel, social…
Si l’acte de manger est avant tout un besoin bio-logique, c’est aussi un acte culturel et social. Le sociologue Jean-Pierre Corbeau définit l’acte de manger comme la rencontre entre un individu socialement identifié, un aliment et la situation dans laquelle la rencontre a lieu (Corbeau et Poulain, 2002). On peut donc en conclure que selon son éducation, son groupe d’appartenance social, sa culture, ses interactions avec les autres, l’individu se comportera différemment vis-à-vis de son alimentation. Si une personne n’a jamais appris à se nourrir sainement, ou qu’elle vit seule et n’a personne pour qui cuisiner ou avec qui partager ses repas, la qualité de son alimentation en sera altérée.
… mais aussi un acte politique
Aujourd’hui, l’acte de manger dépasse même la sphère culturelle et sociale pour entrer dans une dimension politique ou engagée. Pour donner suite à la déshumanisation et aux impacts néfastes des systèmes alimentaires agro-industriels sur les écosystèmes, de nombreux consommateurs décident de changer leur alimentation non pas uniquement pour des raisons liées à leur santé, mais aussi pour des raisons environnementales et sociales.
L’enquête épidémiologique nationale sur le surpoids et l’obésité (Inserm et al., 2012) a démontré une relation directe et linéaire entre l’obésité et le revenu mensuel, aussi appelée « gradient social de l’obésité » [Figure 2]. L’enquête montre que plus le revenu est élevé, plus les risques d’obésité sont bas.
Les facteurs directs
La prévalence du tabagisme et de l’obésité est plus élevée chez les populations plus pauvres (ORS et al., 2013). Les enfants sont plus sédentaires, passent beaucoup de temps devant la télé-vision, consomment moins de fruits et légumes et plus de boissons sucrées que les jeunes issus des milieux aisés. L’alimentation des populations défavorisées se caractérise par sa faible densité nutritionnelle et sa forte densité énergétique (Darmon, 2008).
Les facteurs indirects
Les comportements de santé (alimentation, tabac, activité physique) sont eux-mêmes sous l’influence de facteurs structurels, physiques et socioéconomiques. Tout d’abord, les préoccupations immédiates comme se remplir l’estomac ou se loger sont prioritaires. Il y a un réel manque d’intérêt pour la nutrition et la santé sur le long terme.
S’approvisionner dans des supermarchés demande souvent un moyen de transport pour accéder au magasin, une capacité de stockage minimale au domicile et un frigo pour stocker les produits frais. Ce qui n’est pas tout le temps à la disposition des personnes en situation de précarité. De plus, d’autres barrières impactent la santé des familles pauvres. Le manque d’infrastructures sportives au sein des quartiers défavorisés, le coût des activités sportives ou culturelles, mais aussi l’insécurité dans les quartiers sont des facteurs qui impactent directement la santé.
Comment expliquer que des personnes qui ont le souhait d’améliorer leur qualité de vie et de changer leurs habitudes n’y arrivent pas tout le temps ? La théorie des installations de Saadi Lahlou (2018), psychosociologue et professeur à la London School of Economics, tente d’apporter une justification à cela. Celui-ci dit que le comportement des personnes est principalement guidé par les installations culturelles et matérielles dans lesquelles elles évoluent. L’existence de « déserts alimentaires » (territoires où une grande proportion des habitants est en situation de précarité matérielle et où il est difficile de trouver des points de vente distribuant des aliments sains à des prix abordables), l’affluence de produits gras, sucrés, à bas prix, les publicités qui poussent à la consommation, l’aménagement des villes… toutes ces installations influencent le comportement alimentaire des personnes. La théorie des installations défend que si l’on veut modifier un comportement, il vaut mieux changer le monde plutôt que les gens. La solution pour une modification des comportements est peut-être simplement dans le remanie-ment des installations, comme l’aménagement des villes et des quartiers, les affiches publicitaires, les magasins de distribution d’aliments, et non dans le remaniement des pensées.
Comme exemple, on peut citer l’aménagement des villes et des quartiers pauvres qui n’aide pas la population à modifier ses habitudes alimentaires. En effet, les quartiers défavorisés manquent de supermarchés et sont souvent qualifiés de « déserts alimentaires ». Les magasins d’alimentation rapide qui s’y trouvent sont pour la plupart des fast food et des kebabs, et les petits magasins d’alimentation proposent peu de diversité de produits à des prix élevés.
Dans un contexte où le poids des dépenses liées au logement représente près de 42 % des dépenses des ménages les plus modestes (Insee, 2013), c’est souvent l’alimentation qui devient la variable d’ajustement.
Malgré une réelle baisse ressentie du niveau de vie des français au cours des six dernières années, 75 % des ménages disposant des revenus les plus faibles déclarent faire davantage attention à la qualité des produits qu’ils mangent. Il y a donc une réelle volonté des populations défavorisées de mieux manger. Cependant, ils ont du mal à accéder aux aliments de qualité (agriculture biologique, produits labellisés) qui restent chers et peu présents dans les supermarchés habituels. La question des prix est également centrale pour l’accession aux circuits court ou locaux. Il est donc difficile pour les personnes en situation de précarité de pouvoir vraiment choisir leur alimentation, à la fois en rai-son de difficultés financières mais aussi à cause du cadre social qui n’encourage pas un réel change-ment des habitudes alimentaires (ORS et al., 2013).
Ainsi, de nombreuses personnes en précarité font appel à l’aide alimentaire, et la demande est en constante hausse ces dernières années. Quatre millions de personnes ont bénéficié de l’aide alimentaire en 2016, soit cinq cent mille personnes de plus qu’en 2015.
Les premières banques alimentaires ont été créées en France en 1984 pour compléter les systèmes d’aide sociale d’urgence. Cette aide ponctuelle aux plus pauvres s’est ensuite étendue dans le temps, devenant régulière pour certains. De plus, le public s’est élargi des individus en situation de pauvreté installée aux individus en situation de précarité.
Les banques alimentaires font partie des quatre grands acteurs de l’aide alimentaire avec les Restos du Cœur, le Secours populaire et la Croix-Rouge. Les banques alimentaires récupèrent les denrées auprès de l’industrie agroalimentaire et de la distribution, mais aussi à partir de dons agricoles et venant des particuliers à l’occasion des grandes collectes nationales. Elles redistribuent les denrées localement aux personnes en situation de précarité à travers des paniers repas, des repas partagés et des épiceries sociales. En 2016, les banques alimentaires ont collecté plus de 106 000 tonnes de produits et distribué des repas à plus de 2 millions de personnes.
Les épiceries sociales sont des associations créées par des centres communaux d’action sociale (CCAS). Les municipalités mettent des locaux à leur disposition, dans lesquels sont présentés, comme dans une épicerie ou une supérette, les produits disponibles. Les clients des épiceries sont de catégories très diversifiées : familles, jeunes sans emplois, foyers monoparentaux, retraités, etc., avec pour tous un budget qui ne va pas au-delà de 8 € par personne et par jour pour se nourrir.
Il y a au sein des épiceries sociales une dimension de participation et de choix. Les clients payent leurs denrées à hauteur de 10 % de leur valeur. Cette petite participation permet de rendre une certaine dignité aux bénéficiaires en les sortant de l’assistanat pur et simple. Demander de l’aide est une démarche difficile, qui peut être ressentie comme une profonde humiliation, tout particulièrement lorsque cette demande porte sur l’alimentation : elle atteste en effet de l’incapacité de la personne à se nourrir elle-même et à nourrir les siens, c’est-à-dire à satisfaire un des besoins humains les plus fondamentaux (Serres, 2014).
Au-delà de l’aide alimentaire, les épiceries sociales proposent aussi d’accompagner les bénéficiaires dans leur quotidien. Elles proposent par exemple des ateliers pour apprendre à réparer sa voiture ou aménager son logement afin de faire faire des économies aux usagers. Certaines épiceries proposent des cours de cuisine ou des activités de sensibilisation au bien-manger pour informer, redonner aux personnes du plaisir à manger et favoriser l’établissement de liens sociaux et le partage (Birlouez, 2009).
Malgré les efforts faits par les banques alimentaires pour diversifier les aliments proposés, les produits distribués sont à l’image des surplus de la société. Ainsi, on retrouve dans la plupart des cas des produits industriels de basse qualité, des boîtes de conserves, cannettes, sodas, pâtes, semoules, les chocolats au lendemain des fêtes, etc. Pour des raisons de production, de logistique et de stockage, les fruits et les légumes manquent. Comment permettre aux personnes en précarité d’avoir accès elles aussi à une alimentation de qualité, locale et diversifiée ?
C’est dans le but de répondre à ce besoin que le GIEE Cendrecor Agro-Écologie a décidé de monter un projet afin d’approvisionner en produits frais et locaux les habitants en précarité alimentaire des communes auxquelles les agriculteurs appartiennent.
La grande force de ce projet est l’utilisation de terrains communaux inexploités. D’après la loi, ces terrains appartiennent aux habitants des communes à titre d’acquisition ou de concession, et sont destinés à être employés aux besoins de la commune. Ils couvriraient environ 10 % du territoire français. Certains communaux inexploitables sont classés en réserves naturelles, tandis que d’autres sont laissés en friche en attendant d’être exploités pour des constructions ou plus rarement pour l’agriculture.
Utiliser ces terrains à des fins sociales permet à tous les habitants de se sentir concernés et responsables. De plus, chaque année en France 60 000 hectares de terres agricoles disparaissent sous le béton. À l’heure de la préservation des écosystèmes et du développement de l’agriculture locale, utiliser ces terrains communaux permet de maintenir des espaces naturels et agricoles.
Les deux premières années ont permis de définir le projet avec une vraie logique de territoire et de travail partenarial. Cependant, pour pouvoir payer les prestataires et mettre assez de pommes terre en culture, le groupement d’agriculteurs a fait appel à une part importante de subventions publiques et privées. En plus de ces aides, le projet est financé par la cotisation des agriculteurs au GIEE et par les recettes des cultures de céréales sur le communal d’Oradour-Sur-Glane.
L’objectif est de démarcher de nouvelles communes pour obtenir plus de terrains communaux, et ainsi augmenter les bénéfices des ventes de céréales, et devenir viable financière-ment. La culture de terrains communaux est à la fois une force et une limite à la durabilité si elle n’est pas stabilisée.
En permettant à des personnes défavorisées de consommer des produits frais locaux, et en mettant en place des rencontres entre bénéficiaires et agriculteurs, des ateliers culinaires autour du produit, le projet se veut, au-delà de l’aide alimentaire, un outil de reconstruction sociale.
Les salariés de l’épicerie sociale de la ville de Saint-Junien se réjouissent du projet : « C’est une action nouvelle qui va permettre aux bénéficiaires de s’alimenter différemment, avec des produits de qualité qu’ils n’ont pas la possibilité d’acheter compte tenu du coût des produits locaux de qua-lité dans les supermarchés. »
En contribuant à l’achat de produits frais locaux par les personnes en précarité et à l’établissement de nouveaux liens sociaux à travers des activités de cuisine, le projet contribue à réduire l’isolement et à donner un sentiment de reconnaissance aux bénéficiaires à travers la prise en charge de leur santé et de celle de leurs proches.
Le projet « De la terre à l’assiette » permet à de nombreux acteurs du territoire de se rencontrer et de travailler ensemble : agriculteurs, industriels, politiques, épiceries sociales, banque alimentaire, ordre du mérite agricole, bénéficiaires, etc. Le projet s’inscrit dans une réelle dynamique de développement de territoire.
De plus, à travers la diffusion du projet, les agriculteurs peuvent communiquer sur leurs bonnes pratiques culturales. En favorisant le dialogue et en permettant des rencontres entre les acteurs d’un même territoire, une réelle synergie interdisciplinaire s’est développée, ouvrant les portes à la création de nouveaux projets.
La mise à disposition du premier terrain communal repose sur une convention signée entre le GIEE et la mairie. Cette convention laisse libre cours aux agriculteurs d’exploiter la terre, mais à tout moment la commune peut récupérer son terrain. Le terrain exploité aujourd’hui à Oradour-Sur-Glane se trouve sur une zone industrielle et l’implantation d’une entreprise à cet endroit est en train d’être discutée avec la mairie. Le GIEE risque donc de perdre la terre qu’il exploite. Cette volatilité du foncier cultivé par le GIEE pourrait rendre difficile l’approvisionnement régulier des banques alimentaire en fragilisant l’autofinancement de l’action.
L’idéal serait de conventionner avec les collectivités sur des durées de quatre ou cinq ans. Mais la garantie apportée aux communes de pouvoir résilier le commodat à tout moment est une des clés d’entrée pour s’assurer l’adhésion des élus qui pourraient craindre les contraintes d’un bail agricole.
Une solution pour atteindre plus de durabilité serait d’éviter la concurrence de l’emprise des terres avec d’autres projets en utilisant des terrains communaux non urbanisables. Il serait aussi possible de s’allier avec un projet d’économie sociale et solidaire, comme la mise en place de chantiers d’insertion à travers l’agriculture. Cela permettrait dans un même temps de participer à la conservation d’espaces agricoles, d’apporter des aliments à l’aide alimentaire et de lutter contre le chômage et l’exclusion.
En 2018, le GIEE a fait le choix de travailler sur un territoire élargi (vingt communes) et de réaliser un inventaire des surfaces disponibles. L’idée est d’évaluer la réserve foncière mobilisable pour le projet et de la caractériser sur des critères de potentiel agronomique. C’est notamment sur la base de ce diagnostic que la durabilité du projet sera évaluée.
L’alimentation des personnes défavorisées se caractérise souvent par une faible densité nutritionnelle et une forte densité énergétique. Les féculents raffinés sont consommés en plus grande quantité, alors que les aliments recommandés pour la santé, tels que les fruits et légumes, sont sous-consommés dans ces populations (Darmon, 2008).
Si disposer d’une pomme de terre fraîche issue d’une production locale est un réel apport pour les personnes ayant un faible pouvoir d’achat et qui sont en dehors des circuits de distribution locaux, il serait néanmoins intéressant que les agriculteurs travaillent sur l’opportunité de mettre en culture d’autres légumes de plein champ pour diversifier l’offre pour les bénéficiaires. La région du Limousin est spécialisée en élevages bovins, mais c’est aussi une région riche en maraîchage : pommes, poires, betteraves, choux, épinards, oignons, etc. Cet angle d’entrée pourrait être approfondi à l’issu du diagnostic de territoire, notamment si des opportunités se présentaient (terres typées maraîchage).
L’aide alimentaire ne peut se résoudre à être seulement un outil qui limite le gaspillage et répond à des situations d’urgence. Elle doit prendre en compte la dignité et la santé des personnes et agir dans l’objectif de rendre aux personnes défavorisées le pouvoir de choisir leur alimentation, au même titre que le reste de la population. Pour que la lutte contre l’exclusion ne soit pas synonyme d’assistanat, l’aide alimentaire doit inclure dans son concept l’insertion sociale (Birlouez, 2009).
Une première piste dans ce sens consisterait à élargir les champs du projet « De la terre à l’assiette » en alliant la production de produits frais à un projet d’économie sociale et solidaire, comme par exemple la mise en place de chantiers d’insertion pour les personnes qui s’occuperaient de la culture des champs.
Dans le prolongement de cette action, il serait également possible d’utiliser une partie des communaux pour créer des jardins partagés ouvert à tous. Ainsi, adultes comme enfants pourraient découvrir comment fonctionne l’agriculture, faire pousser leurs propres légumes, et recréer un lien direct avec les aliments qu’ils consomment.
Il serait également sans doute intéressant d’adjoindre au projet une action d’éducation à la nutrition et des ateliers culinaires. Ces ateliers permettent aux personnes de créer du lien avec des étrangers ou entre les parents et les enfants, de ressentir à nouveau l’envie de cuisiner et du plaisir à manger. Par ailleurs, cet apprentissage de l’alimentation saine par la pratique a, auprès de personnes ayant peu fréquenté l’institution scolaire ou ne maîtrisant pas la langue française, un impact bien supérieur à celui des messages et supports courants d’éducation nutritionnelle (Birlouez, 2009). Ce point pourrait être travaillé avec les acteurs locaux de l’aide alimentaire.
Enfin, le projet gagnerait peut-être en solidité si une démarche de concertation entre habitants, acteurs, bénéficiaires du projet était engagée. Cela permettrait de partager les objectifs de l’action et les enjeux actuels de l’aide alimentaire sur le territoire. Les besoins et les attentes au niveau de l’alimentation seraient mieux appréhendés et la concertation permettrait aux bénéficiaires de s’approprier l’initiative.
Ce projet a permis de prouver qu’à partir d’une dynamique agroécologique, un collectif d’agriculteurs a su se mobiliser et réussir à mettre en place un projet social et solidaire en collaboration avec les pouvoirs publics et des acteurs privés. Le projet a comme grande force la fédération d’un territoire et la valorisation de terrains communaux abandonnés. Cependant, la viabilité financière reste encore à démontrer. Il y a un réel travail à réaliser avec les communes pour engager une mise à disposition durable des terrains communaux. De plus, les porteurs du projet accordent beaucoup d’importance au rapprochement des agriculteurs avec la population. Pour que ce rapprochement fonctionne, il faut que les intérêts des bénéficiaires soient remis au centre des objectifs, afin qu’il y ait un réel impact positif au sein de leur vie.
Auteur : Lara Brion