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En fin de cycle de ce qui est aujourd’hui appelé les systèmes alimentaires, ce sont les biodéchets qui s’invitent à la table des débats. L’enjeu est réel : en plus des pertes générales entraînées par une surproduction continue des denrées, c’est une matière première, peu reconnue et pourtant pleine d’intérêt, qui se cache – et se gâche – à la fin de chaque repas. Afin d’encourager la réduction de ces pertes, de nombreux acteurs, enthousiastes et visionnaires, ont mis en place des systèmes alternatifs : les collectifs de compostage partagé, les associations de sensibilisation ou encore les entreprises de ramassage et de transformation. C’est au sein de cette dernière catégorie que s’épanouit un groupe de composteurs parisiens, poétiquement appelés les Alchimistes. Une entre-prise dont l’ambitieux projet est d’améliorer les services de récupération et de traitement des déchets alimentaires auprès des professionnels, le tout en œuvrant pour un fonctionnement écologiquement optimal, en plein centre urbain.
Au XIXe siècle, lorsque les terres agricoles dessinaient encore les contours de Paris, la gestion des déchets ne trouvait que peu de similitudes avec celle(s) que nous connaissons aujourd’hui. Après avoir été submergée d’immondices avec l’accumulation de déchets domestiques et de boues non évacuées, Paris devint l’objet d’une organisation progressivement basée sur la valorisation.
Les déchets furent alors ramassés quotidiennement avant d’être emmenés aux frontières de la ville (Figure 1). Les chiffonniers et ferrailleurs s’attelaient au tri, ne laissant que déchets orga-niques et boues qui, successivement, se transformaient en compost avant de servir d’agrément aux sols alentour. Plus de 10 000 m3 profitaient ainsi à l’agriculture urbaine, transformant la terre de Paris en sol à haute valeur agronomique. La valorisation de déchets était ainsi entraînée par une première forme, peu officielle, d’économie circulaire. Un modèle qui laissa progressivement place à d’autres, notamment à l’incinération, très vite apparue comme le moyen le plus efficient de traiter les quantités croissantes de déchets (Barbier, 1997).
Les biodéchets comprennent l’ensemble des restes de préparation de cuisine et de repas, formant la catégorie « DCT » : déchets de cuisine et de table. Parmi eux, les fruits et légumes dépassés ou leurs épluchures, les reliquats de viandes, poissons et d’aliments divers cuisinés. À l’heure actuelle, l’écrasante majorité de ce formidable mélange est collectée avec la poubelle tout venant, terminant ainsi son parcours en tant que déchets ultimes.
Avec une production annuelle de plus de 1,15 million de tonnes de déchets alimentaires, et une poubelle à 70 % remplie de biodéchets, la filière restauration constitue un enjeu primordial dans la réduction de ces restes et invite à se concentrer sur le renforcement de son système de tri des déchets (GNR et IDE Environnement, 2011). Le gouvernement introduit ainsi la loi Grenelle II du 12 juillet 2010, afin de rendre obligatoire le tri et la valorisation des déchets pour tout acteur dont la production atteint les 120 tonnes (Code de l’environnement, article L.541-21-1). Un seuil qui, à la suite de multiples arrêtés, est drastique-ment descendu jusqu’à être fixé à une limite de 10 tonnes, induisant un véritable bouleversement au sein des habitudes des restaurateurs.
Avec plus de 36 % de déchets ménagers gérés par enfouissement, ce dernier est le mode de traite-ment le plus répandu en France (ADEME, 2018). Bien que très réglementés, ces sites occasionnent encore, à l’heure actuelle, d’importantes nuisances. Parmi celles-ci se comptent les risques de pollution des ressources alentour, entraînés par le manque de place et l’agrandissement des sites qui en découle. Dans un même temps, l’accumulation et la stagnation de déchets urbains solides mélangés aux déchets organiques conduit à un processus de méthanisation. Le méthane (CH4) s’échappe ainsi et provoque des effets de serre vingt-cinq fois supérieurs à ceux du dioxyde de carbone (CO2) (Inra, 2015). Catégorisés « installations classées pour l’environnement », ces sites ont progressivement fait l’objet d’un cadre de réglementation et de contrôle plus strict, permettant, entre autres, à des mécanismes de récupération de méthane de voir le jour. Néanmoins et en dépit de la réduction des impacts, ces derniers restent conséquents.
L’incinération, concernant 30 % des déchets municipaux, occupe la seconde place dans le classement des moyens de traitements les plus importants en France (ADEME, 2012). Or, l’incinération des déchets alimentaires est à l’origine d’une double atteinte environnementale. Constitués à 80 % d’eau, les biodéchets engendrent en effet une résistance dans le foyer, qui, afin de maintenir la chaleur, induit une élévation de la puissance, produisant in fine une augmentation de la consommation énergétique. Le processus occasionne également un rejet de dioxyde de carbone et contribue donc en partie à la destruction de la couche d’ozone (Institut national de l’économie circulaire, 2018).
Ainsi, l’enfouissement et l’incinération des déchets alimentaires non seulement entraînent un coût énergétique conséquent et l’émanation de pollutions, mais empêchent la logique des cycles biogéochimiques de s’effectuer. L’ensemble de ces constats suscite aujourd’hui une remise en cause significative de la durabilité de tels systèmes de traitement et de leur efficience.
Le compostage, mode opératoire historique de transformation des déchets organiques, est une pratique visant à réintroduire les biodéchets dans un cycle naturel. Le processus débute par la dégradation de tous les produits organiques – à savoir tout ce qui est issu du vivant – suivie de leur transformation en une matière riche en humus. À l’inverse de la méthanisation, cette transformation s’effectue en présence d’oxygène afin de favoriser la prolifération de bactéries, de champignons, et de l’ensemble des macro et microfaunes, acteurs de cette mutation.
Écologique du fait de la suppression des nuisances citées préalablement, le compostage s’avère aussi être un formidable outil pédagogique. À travers lui, c’est la quantité de déchets produits au sein de leur foyer que les consommateurs découvrent, ce qui engendre parfois une volonté de la réduire. Enfin, il s’agit d’un vecteur de (re)connexion avec la nature : c’est une pratique accessible permettant de comprendre la métamorphose physique de nos aliments et l’intérêt de son résultat pour les sols et les plantes. Une « recette » qui, bien appliquée, transforme de dits déchets en véritable ressource.
Motivés par les enjeux environnementaux de notre époque, les Alchimistes sont une entreprise de récupération et de traitement des déchets organiques en circuit court, proposant leurs services aux professionnels et en milieu urbain.
Situé dans l’espace des Grands Voisins, le siège des Alchimistes est à l’image de ce que l’équipe souhaite entretenir : convivialité, organisation et dynamisme. L’entreprise voit le jour à travers la rencontre des responsables de deux entreprises d’insertion professionnelle. Ensemble, ils ont souhaité développer un service de traitement des déchets issus de la filière restauration, en plaçant la création d’emploi et le respect environnemental au cœur de leur fonctionnement. L’objectif est donc le suivant : récupérer les déchets alimentaires des professionnels parisiens pour les transformer en compost et ainsi dépasser les incohérences des systèmes dominants de récupération et de traitement de déchets.
C’est alors à vélo-remorque, et conditionnés dans des bacs, que sont transportés les déchets alimentaires. Leur trajet aura nécessité un usage limité d’énergie, évitant, du même coup, les pollutions atmosphérique et sonore, importantes en milieu urbain.
L’efficacité d’une telle entreprise et de fait, sa viabilité, reposent avant tout sur une organisation adaptée à son contexte. C’est au travers de nombreux essais que les Alchimistes ont finalement statué sur la combinaison actuelle. Ainsi, de courageux salariés partent à vélo-remorque électrique récupérer les déchets alimentaires de leurs clients – épiceries, restaurants, cantines scolaires, etc. – échangeant les bacs vides et nettoyés contre des bacs pleins. De retour sur le site de traitement, les bacs, tous équipés d’un code-barres inhérent à chaque client, sont pesés et scannés. La traçabilité est ainsi assurée et permet de facturer les professionnels en fonction de leur volume produit ainsi que de la qualité du tri. Les déchets sont en effet manuellement triés afin de retirer tout élément non organique qui ne peut être composté. Chaque bac est alors noté d’une à trois étoiles suivant la qualité du tri ; si les étoiles manquent au compteur, la facture est augmentée dans le but d’encourager les clients à davantage de rigueur. Les étapes suivantes sont celles du broyage et du versement des déchets dans le composteur électromécanique, déchets auxquels sont ajoutés des copeaux de bois issus de palettes broyées, faisant office de structurant et d’apport en carbone. Cette mixture restera dans la cuve isolée (Figure 2) durant une dizaine de jours au cours desquels la matière sera brassée par des pales, toutes les trente minutes. Ainsi, la matière étant régulièrement retournée et exposée à une aération continue grâce à un petit ventilateur, la prolifération de bactéries est optimisée et la matière efficacement dégradée. Tout au long du processus, la température est contrôlée à l’aide de quatre sondes disposées sous le composteur. De cette manière, l’équipe vérifie le bon déroulement du compostage mais, surtout, que l’hygiénisation de la matière a bien été effectuée. Un compost qualifié de frais, encore immature mais dont les éléments initiaux sont néanmoins méconnaissables, résulte de cette courte période. Il sera ensuite déposé en tas à l’extérieur, régulièrement arrosé et remué, afin de favoriser la maturation. Au bout de 3 à 4 semaines, l’étape finale du criblage est effectuée, éliminant les quelques copeaux de bois plus longs à la décomposition, et donnant le compost fin prêt à la vente.
À travers la mise au point d’un procédé réduisant à 6 semaines le temps de maturation traditionnellement obtenu au bout de 9 à 12 mois, les Alchimistes ont permis d’accélérer le roulement et d’augmenter leur capacité de récupération et de traitement de déchets, dans un espace aux sols aussi occupés que ceux de Paris. Néanmoins, la capacité de stockage n’est pas la seule limite à l’installation de cette activité en centre urbain et l’élaboration de cet itinéraire technique présente donc d’autres avantages qu’il est nécessaire de souligner.
La contrainte réglementaire représente un obstacle considérable et oblige à adapter l’organisation et les matériaux afin de permettre à un tel service de voir le jour au cœur d’une métropole. C’est donc avec habileté que les Alchimistes sont parvenus à adapter leur organisation aux cadres réglementaires relatifs à cette activité et aux contraintes liées au contexte urbain. Trois sites de trans-formation de déchets alimentaires en compost ont finalement pris place au sein de Paris, alors même que ces services étaient définitivement extraits de nos villes. Ainsi et à travers une vraie relocalisation, l’entreprise souligne sa logique environnementale.
Pour y parvenir, les Alchimistes se sont pré-occupés de la norme ICPE, qui comprend un ensemble de règles strictes réservées aux « installations classées pour la protection de l’environnement ». Les sites de traitement dépassant le seuil de 2 tonnes de déchets traités par jour sont compris dans cette catégorie. Pour échapper à ces règles, les experts composteurs ont donc cantonné la quantité de déchets collectée en dessous des 2 tonnes journalières. Ils évitent, entre autres, d’être concernés par la nécessité d’une distance minimale de 250 mètres entre le site de traite-ment et les zones d’habitation alentour. Ainsi, situé aux Grands Voisins, le plus petit des sites des Alchimistes réceptionne jusqu’à 150 kg de déchets par jour, soit environ 30 tonnes par an. Celui de La Caverne, équipé de deux petits composteurs, peut, quant à lui, en traiter le double. Finalement, le plus gros site, installé à l’Île-Saint-Denis, permet de transformer 1,7 tonne de déchets journaliers, soit une moyenne de 600 tonnes à l’année (Figure 3).
L’objectif des Alchimistes serait de créer un maillage recouvrant le territoire parisien. Cette multiplicité de sites permettrait de collecter les déchets organiques dans un rayon de 3 à 4 km et de les traiter en circuit court. Le compost serait alors réutilisé au sein même de la ville, auprès de particuliers, de projets d’agriculture urbaine ou d’espaces publics. Néanmoins, pour accéder à cet « idéal », l’équipe a dû et devra considérer d’autres normes.
Parmi elles, les normes relatives aux déchets de sous-produits animaux de catégorie 3, autrement appelés SPAn-3 et dont le traitement implique l’obtention d’un agrément sanitaire. Pour acquérir cet agrément, les Alchimistes ont suivi le règlement européen n°1069/2009 et son décret d’application de 2011, introduisant notamment l’étape d’hygiénisation – une phase de réchauffe-ment des déchets à 70 °C d’une durée d’une heure – dans le processus de traitement (Parlement européen et Conseil, 2009). L’avantage de cet agrément sanitaire est de permettre le traitement de l’ensemble des déchets de cuisine et de table : les DCT cités préalablement. Par ce biais, il est possible non seulement d’offrir aux professionnels un service complet, en évitant la séparation des restes animaux et végétaux, mais également de réduire une quantité plus massive de déchets.
Enfin, pour que la boucle soit vertueusement bouclée, il est attendu que le compost soit réutilisé. Pour cela, des échantillons sont régulièrement prélevés et envoyés en laboratoire afin d’en certifier l’intérêt organique – soit sa richesse de nutriments – et de prouver la non-dangerosité du compost. Chacun de ces éléments étant garanti, le compost des Alchimiste est normé NF U44-051 et peut ainsi être commercialisé.
La production de compost en centre urbain et en circuit court ne peut atteindre sa pleine logique qu’en participant à la végétalisation de la ville. C’est donc au sein de celle-ci que le compost sera finalement vendu et utilisé. Pour cela, différents points de vente permettent l’achat en vrac de petites quantités. Les commandes plus importantes sont directement effectuées auprès des Alchimistes, notamment à l’occasion de projets d’agriculture urbaine tels que la Safranière au sein de Paris, mais aussi d’aménagements d’espaces verts publics ou encore de copropriétés. À ce titre, l’ancien site industriel renommé Lil’O, sur lequel est implanté le plus gros électro-composteur des Alchimistes, fait l’objet d’un projet de végétalisation. Dégradés et pollués par les anciennes activités du lieu, les sols profiteront de l’humus apporté par le compost afin d’être amen-dés et régénérés, ouvrant ainsi la voie à de futurs projets d’agriculture.
Étroitement rattachée aux enjeux écologiques, la question de la valorisation sociale est un maillon essentiel des rouages de l’entreprise (Figure 4). Les fondateurs des Alchimistes, Stéphane Berdoulet et Myriam Dauphin, sont chacun responsable d’une association d’insertion professionnelle. Ces dernières, respectivement nommées Halage et Études et chantiers, tendent à faciliter l’insertion professionnelle de personnes non diplômées ou en difficulté d’intégration dans le marché du travail, notamment par un accompagnement adapté. En se rencontrant dans l’objectif de proposer un service de récupération et de traitement de biodéchets en ville, le duo fait des Alchimistes une entreprise certifiée ESUS : entreprise solidaire d’utilité sociale. L’objectif est alors de créer un métier de « super concierge » de quartier valorisant. Un défi difficile au regard de la réputation dont jouit le domaine et des risques encourus par une potentielle mauvaise gestion de biodéchets. Pour pallier cela et muer ce travail en métier appréciable, les Alchimistes commencent par proposer un CDI aux personnes en difficulté d’insertion. Les salariés profitent alors d’une réelle intégration au sein de l’équipe et d’un accompagnement professionnel estimé complet et attentif. Plus encore, les « super concierges » sont formés à un ensemble de tâches plurielles et complémentaires, acquérant ainsi un véritable savoir-faire. Ils réalisent une multitude d’étapes depuis la collecte jusqu‘à la gestion des baies de maturation, en passant par la mise en compostage. Ce sont eux, finalement, qui permettent aux Alchimistes d’exister.
Si l’esprit novateur des Alchimistes s’épanouit pleinement grâce à la qualité de leur organisation, il se définit également à travers le caractère reproductible du modèle construit. L’aménagement actuel est en effet le résultat d’une succession de tentatives des Alchimistes de Paris pour optimiser le fonctionnement global de l’entreprise. Néanmoins et bien qu’étant en perpétuelle évolution, l’entre-prise jouit aujourd’hui d’un procédé suffisamment efficient pour que son activité puisse être menée vers l’expansion au sein d’espaces densément occupés. L’équipe peut ainsi proposer et commercialiser son modèle auprès de tout acteur souhaitant monter un projet de transformation locale de biodéchets. En plus de créer un tiers-service générateur de fonds, cette commercialisation permet aux Alchimistes d’étendre l’image de leur entreprise à l’échelle nationale. Le logo et les couleurs de l’entreprise se retrouvent ainsi à Toulon, à Toulouse, à Marseille ou encore à Lyon.
En échange d’une rétribution monétaire, ces jeunes entreprises et associations reçoivent donc un accompagnement technique, réglementaire et opérationnel lors duquel ils apprendront, entre autres, la contenance des bacs la plus adaptée à l’usage qui est le leur, le modèle de vélo électrique le plus performant, la méthode de facturation optimale… De même, alors que la création d’un partenariat offre à l’entreprise à la fois visibilité et reconnaissance de son travail, il ne survient généralement qu’à l’issue de nombreux efforts fournis par les entrepreneurs dans le but de prouver aux potentiels partenaires l’intérêt que représente pour eux cette coopération. Or, le modèle économique vendu par les Alchimistes comprend également les partenariats créés. Les clients de cet accompagnement gagnent donc, notamment, des contrats d’exclusivité avec le distributeur de composteurs Tidy Planet, et économisent ainsi le temps et l’énergie nécessaires à la négociation et à la recherche de matériel fiable.
Enfin, l’innovation, dans sa globalité, induit un important investissement de départ qu’il est important de considérer. Dans ce cadre, le droit d’utiliser le logo de l’entreprise et son dispositif facilite vivement la visibilité. La réussite des Alchimistes de Paris, et désormais des acteurs qui les ont suivis, augmente les chances d’obtention de financements, et constitue un avantage supplémentaire pour la diffusion du modèle.
La production de déchets concerne l’ensemble des citoyens et entraîne des conséquences néfastes à l’échelle planétaire (ADEME, 2017). L’action de collecte et de traitement de restes alimentaires peut donc être vraisemblablement qualifiée d’activité d’intérêt général. La prise en charge de celle-ci par des acteurs du secteur privé peut, en ce sens, apparaître surprenante et éveiller des questionnements. Cette fonction ne revient-elle pas aux collectivités ? La prise en charge de ces tâches par les services publics n’encouragerait-elle pas le renforcement de l’égalité de services, de l’homogénéisation entre les territoires ?
Bien qu’elles soient légitimes, il est important, en réponse à ces questions, de souligner la réelle contribution des acteurs privés dans ce domaine et la complémentarité qui se construit entre les deux secteurs. Les entreprises et les associations permettent à l’activité de valorisation de déchets d’adapter ses méthodes aux besoins actuels. La réactivité nécessaire à leur viabilité économique implique en effet une acclimatation rapide et contribue indéniablement à la progression du secteur.
De même, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) semble considérer le recours à d’autres services comme étant primordial. Lors des évaluations des collectivités effectuées par l’ADEME, les démarches de contractualisation avec des prestataires extérieurs sont en effet observées comme critère d’efficacité. Les communes, responsables de la collecte et du traitement des déchets ne sont pas toujours équipées pour offrir aux professionnels la possibilité de valoriser les déchets alimentaires. Elles peuvent alors déléguer cette fonction à un établissement public de coopération intercommunale qui, à son tour, s’il ne peut répondre à la demande, confie ces tâches aux acteurs privés. Ces derniers sont, par ail-leurs, déjà très présents dans cette activité, et comptent parmi eux des groupes nationalement connus.
Cependant, les collectivités ont une fonction primordiale, notamment dans la mise en place et l’ajustement de réglementations. À titre d’exemple, la fixation d’un seuil de production de 10 tonnes de déchets, rendant obligatoire le tri et la valorisation des déchets organiques pour tous les producteurs dépassant cette quantité, a pu contribuer aux changements de pratiques de nombreux acteurs. De même, les collectivités peuvent contribuer financièrement et sont, en ce sens, un soutien indispensable à la dynamisation du secteur. Pour voir le jour, les Alchimistes ont été en partie financés par la mairie de Paris, puis par la Région, à hauteur de 20 % de l’investissement total. En somme, si l’économie verte connaît actuellement une importante expansion (Commissariat général au développement durable, 2014), les collectivités constituent une aide à son essor loin d’être négligeable. Les secteurs privés et publics se montrent ainsi davantage complémentaires que concurrents.
Les derniers points abordés dans la partie précédente conduisent nécessairement à la question du prix et à révéler la limite que celui-ci représente. Si les Alchimistes de Paris ont été financés à hauteur de 20 % et ont pu couvrir le reste des besoins de l’investissement de départ, ce n’est pas le cas de tous les acteurs souhaitant se lancer dans ce même type de projet. Le composteur électromécanique constitue un coût important, dont l’élévation entraîne parfois jusqu’à l’empêchement de son installation. Certaines entreprises reprenant le modèle des Alchimistes, comme à Toulouse ou encore à Marseille, démarrent donc leur activité sans ce matériel et opèrent grâce au compostage traditionnel. Or, cette absence compromet une partie des intérêts du modèle : le temps gagné, les quantités traitées, la suppression de nuisances non tolérées en ville telles que les effluves, les volatiles ou les rongeurs.
La perte de ces intérêts est d’autant plus conséquente au regard des piliers économiques de l’entreprise. La vente du compost apporte une faible contribution financière, le principal revenu provenant, finalement, du service de récupération en lui-même. De fait, un certain nombre de clients sont nécessaires pour rendre le modèle économique viable. Mais ce nombre dépend, en partie, de la capacité de collecte de l’entreprise, et, dans le cas d’un composteur « traditionnel », il dépend également d’une plus grande capacité de stockage, d’une localisation plus éloignée des habitations ou d’une limite de tonnages annuels, afin de répondre aux principales conditions sanitaires. Des éléments majeurs viennent donc questionner les limites de ce modèle dans le cas où le matériel principal ne peut être acheté, comme l’acquisition de l’agrément sanitaire ou la viabilité en centre urbain, relevant ainsi l’importance de la limite financière. Une majorité des Alchimistes ont lancé des appels à contribution à partir de plateformes de financement participatif. Néanmoins, bien que relativement efficaces et permettant à de nombreux projets de voir le jour, ces moyens ne peuvent être qualifiés de stables.
Enfin, et bien que la vente de compost ne contribue pas à la viabilité économique de l’entreprise, le prix demandé par les Alchimistes est particulièrement élevé. Le compost est vendu à 0,80 € le kilo auprès du revendeur, qui en demandera 1,40 € le kilo in fine, pour les petites quantités, et autour de 350 à 400 € la tonne pour les grandes quantités, ce qui peut paraître un prix excessif. Conscients de cet aspect, les membres soulignent la qualité et l’avantage de la distribution en circuit court, mais cette différence notable avec le prix du compost de campagne, d’environ 30 € la tonne, soulève des interrogations sur la légitimité du fait qu’un tel prix puisse être proposé aux citoyens et agriculteurs urbains.
L’objectif premier des Alchimistes fût d’implanter un service de valorisation de biodéchets capable de répondre aux professionnels de la restauration et dans un contexte réglementaire exigeant. En ce sens, la démarche est louable et les enjeux sont relevés. Au travers de contraintes multiples, les Alchimistes ont en effet su construire un modèle efficient et reproductible. Qu’importent les difficultés de l’intra-muros parisien et de ses 21 067 habitants au km2, c’est progressivement, et avec ingéniosité, qu’ils sont parvenus à réintroduire cette activité d’antan, modernisée et rigoureuse, au sein d’une métropole actuellement en chasse aux espaces étendus et aux risques sanitaires. Malgré des limites effectives, il est encourageant de voir se développer des techniques de valorisation des déchets, qui ne pourront qu’encourager un nombre croissant d’individus à trier et valoriser leurs déchets, mais aussi et pourquoi pas, comme l’impliquera probablement l’obligation du tri à la source prévue en 2025, à en réduire, in fine, la quantité.
Auteur : Gladys Legallois