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Nos déchets de cuisine regorgent de nutriments, et pourtant, ces derniers ne sont pas valorisés et sont traités avec les ordures ménagères classiques. Le traitement des déchets étant une activité polluante, un des objectifs de la loi relative à la transition énergétique est de réduire les déchets ménagers de 10 % entre 2015 et 2020. Revaloriser les biodéchets des foyers par compostage est un des moyens pour atteindre cet objectif. À Nantes, un composteur collectif amélioré a été installé et cet équipement nous montre que ce type de projet peut permettre d’aller au-delà de la réduction de déchets. Les designers à l’origine de cette conception entendent également proposer toute une gamme de mobiliers urbains visant à favoriser l’intégration des flux d’aliments locaux à une économie circulaire à plus grande échelle.
Parlons peu, parlons déchets. Notre poubelle est constituée d’environ un tiers de déchets orga-niques (ADEME, 2016) que sont tous les résidus de cuisine, comme les pelures ou les restes de repas. D’après l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), la part des déchets putrescibles dans les ordures ménagères résiduelles (OMR, déchets restants après les différentes collectes sélectives, du verre, des plastiques par exemple) est d’environ 33 % (ADEME, 2016). Notons que l’on peut enregistrer des variations considérables concernant le calcul de cette part des déchets putrescibles d’une collectivité, voire même d’un quartier, à l’autre. À Nantes Métropole, entre 2004 et 2006, une étude sur la caractérisation des ordures ménagères avait mis en avant des écarts montrant que selon les quartiers, les biodéchets pouvaient représenter 23 à 39 % des déchets. Soit, par habitant et par an, entre 63 et 74 kg dans un quartier au passé ouvrier et entre 78 et 105 kg dans un quartier d’employés et de cadres.
Néanmoins, quels que soient les écarts entre les quartiers et collectivités, les déchets orga-niques représentent une part importante des ordures ménagères à traiter par les collectivités. Dans les foyers français, ces déchets organiques sont en général mélangés aux OMR, qui sont en majorité incinérées et enfouies : en 2013 environ 30 % des OMR ont été stockées (enfouies, mises en décharge), 62 % ont été incinérées avec récupération d’énergie [Figure 1].
En décharge, les biodéchets vont dégager du méthane nocif s’il n’est pas valorisé, et contribuer à la production de lixiviat (liquide résiduel issu de la percolation de l’eau à travers les déchets) qui concentre les polluants. Dans le cas de l’incinération, la valorisation énergétique n’est absolument pas optimale : les biodéchets étant composés essentiellement d’eau, leur pouvoir calorifique inférieur (PCI) est très faible. Leur combustion va donc générer peu d’énergie, « gêner » le procédé de combustion et engendrer de la pollution atmosphérique, notamment des dioxines.
Pourtant, plusieurs méthodes de valorisation de ces déchets existent, comme le compostage ou la valorisation énergétique par méthanisation.
Le compostage est un processus durant lequel la matière organique se dégrade sous l’action de bactéries, champignons et macroorganismes, pour obtenir du compost, riche en éléments nutritifs. Lors du processus de compostage, on cherche à avoir un mélange avec des proportions carbone-azote bien ajustées, l’aération doit être assurée et l’humidité contrôlée. Le compost peut être utilisé pour remplacer les engrais azotés en agriculture, dans les jardins ou les potagers et permet également un retour à la terre des nutriments que contiennent les biodéchets.
En milieu urbain, le compostage peut être fait de manière individuelle, en ayant un composteur dans son jardin, ou de manière centralisée, en passant par une collecte de déchets organisée par la collectivité. Il convient ici de différencier les biodéchets de cuisine des « déchets verts », qui regroupent les déchets de jardinage, de tonte de gazon, les feuilles, etc. Si l’on commence à voir des collectes sélectives qui s’organisent pour les biodéchets, ce type de collecte reste aujourd’hui très marginal : selon une étude de l’ADEME, en 2009 la collecte des biodéchets (déchets verts et déchets de cuisine) concernait seulement 9 % de la population, dont 6 % pour les déchets verts et 3 % pour les déchets de cuisine (Réseau Compostplus, 2015).
Pourtant, le compostage permet de réduire la masse de nos OMR : autant de biodéchets compostés, c’est autant de déchets non incinérés ou non enfouis. Nous avons vu plus haut que ces types de traitements sont polluants et que les biodéchets peuvent même gêner certains processus. De plus, ce procédé permet d’obtenir du compost, qui peut être ensuite utilisé comme amendement organique au sol (fertilisant, matériau permettant d’améliorer la productivité du sol) par exemple. La qualité du compost doit répondre à certaines exigences pour être utilisé en agriculture, c’est pourquoi de nombreux questionnements persistent quant à l’utilisation du compost issu des milieux urbains pour l’agriculture. D’autres débouchés sont possibles comme dans les espaces verts de la ville ou dans les jardins d’ornement des particuliers.
Depuis quelques années on assiste à un essor du compostage collectif, une nouvelle manière de composter ses déchets, plus adaptée pour les logements qui n’ont pas assez d’espace pour accueillir un composteur individuel, et qui ne dépend pas d’une collecte organisée par les villes. Ainsi, les citoyens prennent en main l’installation de composteurs en s’organisant à plusieurs foyers pour valoriser leurs déchets de cuisine. C’est le projet qu’a porté le groupement Idéelles dans le quartier Malakoff à Nantes.
Situé à proximité du centre-ville de Nantes, le quartier Malakoff a été conçu en 1967 pour répondre à un fort besoin en logements sociaux. Depuis 2014, ce quartier défavorisé s’est doté d’un composteur partagé, grâce à la rencontre des Idéelles et de l’agence Faltazi avec son projet Les Ekovores, avec l’aide de l’association Compostri [1].
D’un côté, les Idéelles souhaitent se réapproprier l’espace urbain et faire vivre le quartier en installant un composteur partagé entre les barres d’immeubles de la cité. De l’autre, les designers Victor Massip et Laurent Lebot de l’agence Faltazi conçoivent du mobilier urbain, dont ce composteur 2.0.
Partis du principe que nos biodéchets pouvaient être des ressources, Victor Massip et Laurent Lebot ont souhaité concevoir un composteur qui permettrait de répandre la pratique du compostage. Leur constat ? Le compostage, et plus particulièrement le compostage partagé aujourd’hui n’est pas assez facilité pour être démocratisé : les opérations de retournement peuvent être pénibles, les outils sont souvent perdus, une météo peu clémente peut rebuter les composteurs en herbe qui préfèreront rester dans leur canapé, etc. Il faudrait un réel changement dans la pratique pour la rendre plus acceptable socialement. De plus, les composteurs d’aujourd’hui ne s’intègrent pas facilement à un paysage très urbain. Un composteur en bois de construction simple aura tendance à s’user plus rapidement ou être vandalisé. Les défis de la gestion de nos biodéchets seraient donc, d’une part d’inciter une population non « écolo-sensible » à composter ses déchets, et d’autre part d’adapter cette pratique à un milieu urbain.
C’est après une analyse approfondie des besoins des utilisateurs qu’ils inventent le composteur Ekovore, un mobilier doté de multiples fonctionnalités [Figure 2] :
→ un ascenseur à compost permet un retournement plus facile ;
→ un bac de stockage pour la matière sèche est prévu autour du composteur ;
→ les portes du composteur permettent aussi de s’abriter par temps de pluie ;
→ un réservoir à eaux pluviales, doté d’une vanne, d’un tuyau d’arrosage et d’une douchette permet l’humidification du compost et le lavage des outils avec l’eau collectée ;
→ la toiture est végétalisable ;
→ un espace de rangement est prévu pour les outils ;
→ les consignes et informations pratiques sont affichées ;
→ le composteur peut être fermé à clé ;
→ une protection contre les rongeurs est proposée ;
→ un dispositif de stabilisation permet d’installer le composteur sans terrassement préalable, sans fondation et en toute facilité sur l’asphalte ou sur tout autre revêtement étanche.
Conçu pour un compostage plus simple et optimal, il se compose de trois compartiments pour composter en deux étapes (deux bacs de dépôt et un bac de maturation) et possède une double peau pour l’isolation thermique (Agence Faltazi, 2015).
Aujourd’hui le « Vore’koff » est en autogestion complète. Tous les samedis à 11 heures, les habitants du quartier qui le souhaitent et sont inscrits se réunissent pour déposer leurs biodéchets, des animations sont organisées au cours de l’année et toute une ambiance s’organise autour du composteur et du groupement Idéelles.
Quand on écoute les témoignages à Malakoff et les promoteurs du compostage collectif, on se rend très vite compte que cette pratique va bien au-delà de la réduction des déchets. L’installation de ces dispositifs permet la création de lien social dans des voisinages où l’on a peu l’occasion de se parler. C’est parfois un prétexte pour se rencontrer et rester discuter entre voisins lors de l’ouverture du composteur ou de la distribution de compost. Si les personnes qui installent un composteur collectif souhaitent réduire leurs déchets, c’est aussi sou-vent un bon moyen de créer une vie de voisinage.
Cette démarche permet aussi de faire un travail de sensibilisation aux enjeux de la durabilité. L’installation du composteur s’est accompagnée de formations et de sensibilisation auprès des futurs utilisateurs. En faisant entrer le sujet du déchet alimentaire dans leur vie quotidienne, les utilisateurs peuvent alors prendre connaissance des enjeux environnementaux et avoir plus envie d’améliorer leur impact. Les sujets relatifs à l’environnement, au changement climatique pouvant être assez éloignés de la réalité dans nos vies quotidiennes, une telle sensibilisation les rend plus proches de nous et génère une meilleure prise de conscience. D’autres personnes que les utilisateurs du composteur de Malakoff bénéficient de cette sensibilisation, au travers d’animations comme des visites et ateliers découverte pour les enfants.
Faire entrer les déchets dans le quotidien des foyers responsabilise ces derniers. Le développe-ment du traitement industriel des déchets semble avoir infantilisé les usagers au sujet de leur production. De par l’externalisation des déchets, l’acte d’abandon d’un objet est devenu plus facile. En effet, aujourd’hui en France rien n’est plus simple que de jeter. Nos déchets ne nous encombrent pas, du moins, nous ne sommes pas affectés directement puisqu’il suffit de sortir sa poubelle sur le trottoir et les déchets disparaissent comme par magie. Il s’agit donc, comme avec le compostage collectif, de réinternaliser les déchets dans nos circuits de production, de « compter avec » pour pousser à la réduction des déchets. « L’internalisation est censée renverser l’externalisation, c’est-à-dire l’abandon. Sans abandon, pas de déchets, pas de multiplication des déchets » (Hurand, 2014).
Le design du composteur Ekovore permet de faciliter les bonnes pratiques, de les rendre plus attrayantes et ludiques. La visibilité du composteur, son design travaillé peuvent donner envie aux habitants de s’impliquer pour un mode de vie plus durable et donne à l’écologie un visage de modernité [Figure 3].
Enfin, le compost profite aux utilisateurs pour leurs plantes, ou pour le jardin potager installé par le groupement Idéelles juste à côté. Avec la valorisation des déchets alimentaires, c’est un réel écosystème autour de l’alimentation qui peut se mettre en place !
Récapitulons. Le tri de nos biodéchets pourrait améliorer l’impact de la gestion de nos déchets alimentaires puisqu’on pourrait réduire nos OMR de presque un tiers, moins polluer et changer le statut des biodéchets en ressources. Le compostage collectif permet également de faire vivre les quartiers, de créer du lien social et de sensibiliser les habitants.
Il peut y avoir un fort a priori sur les composteurs collectifs : ces derniers représenteraient une réelle contrainte. La nécessité de conserver ses biodéchets chez soi, d’être présent pour le dépôt un jour par semaine dans une fenêtre horaire restreinte représenteraient des contraintes trop fortes pour participer et pour qu’un tel système se mette en place. En réalité, on observe que ce système à Malakoff fonctionne très bien. L’aspect collectif, l’intérêt du faire-ensemble, de se rencontrer, est motivant pour de nombreux foyers. Dans ce contexte, la création de lien social était aussi très importante.
Néanmoins, si l’on pense à la diffusion de ce système, il faut réfléchir à son adaptabilité à d’autres contextes. Il ne faut pas écarter les autres solutions comme les composteurs individuels, adéquats pour des foyers ayant des logements plus grands. La collecte individuelle de biodéchets est également intéressante et complémentaire d’autres alternatives, puisqu’elle permet de procéder à d’autres traitements comme la méthanisation, ou d’alimenter de plus gros équipements produisant du compost qui répond à des normes de qualité pour être utilisé en agriculture. En revanche, composter sur place, c’est éviter une collecte par camion, plus coûteuse, nécessitant l’utilisation d’énergie fossile et plus difficile à optimiser en termes logistiques. Finalement, chaque contexte et environnement doit trouver une solution adaptée pour améliorer le système de gestion des biodéchets.
Ce prototype du composteur Ekovore coûte-rait 50 000 €. Pour comparaison avec d’autres mobiliers urbains, il faut savoir que des toilettes Decaux coûtent 80 000 €, un conteneur enterré pour le verre, 20 000 €. Pour ce prix, considérant quarante foyers produisant 5 tonnes de déchets par an et compte tenu des économies faites sur la collecte et le traitement des déchets, le composteur pourrait être amorti sur vingt ans. Ce prix a été estimé sur un prototype et n’est donc pas significatif : industrialisé, le prix et l’amortissement du composteur pourraient encore être réduits. De plus, d’autres modèles moins coûteux ont été conçus (dont une version à moins de 10 000 €) et le prix peut varier selon les choix de formes, de modules additionnels et de matériaux.
Mieux encore, des politiques de redevance incitative comme celles mises en place à Besançon depuis 2012 permettraient de diminuer considérablement le tonnage de déchets traités et d’amortir un Ekovore en sept ans. Comment fonctionne la redevance incitative ? Les frais de collecte et traitement ne sont plus payés par les habitants, « dissimulés » dans les impôts, mais sont plus clairement affichés et adaptés aux déchets des foyers. Une puce est installée dans les poubelles de la commune afin de peser automatiquement les poubelles lors de la collecte : ainsi chaque habitant paie sa contribution à la gestion des déchets en fonction du poids de sa poubelle. Ils sont donc économiquement incités à réduire leurs déchets et prennent conscience du coût de la gestion des déchets. Une nuance est à apporter sur ce type de mesure : la redevance incitative reste complexe et coûteuse à mettre en place.
Le coût de ce composteur reste tout de même plus élevé qu’un composteur collectif classique, dont les coûts d’installation varient entre 75 € pour des bacs de compostage individuels fournis à prix réduits par la collectivité et 4 250 € pour un pavillon de 20 m3 (Demolles et al., 2012). L’écart de prix peut impressionner au premier abord. Il faut néanmoins conduire une comparaison plus poussée puisque la durée de vie de l’Ekovore, construit en acier galvanisé, devrait être bien plus longue que celle d’un composteur de conception plus simple.
Seulement la politique de gestion des déchets doit pouvoir suivre pour s’accorder au fonctionnement décrit ci-dessus. En effet, les collectivités ont des contrats à long terme avec de grands groupes pour l’enlèvement et l’incinération basés sur des tonnages annuels négociés à l’avance. Certaines villes misent de plus sur l’incinération des déchets pour le chauffage des villes.
Avec la loi relative à la transition énergétique de 2015, qui oblige les collectivités à mettre en place un tri à la source des biodéchets d’ici 2025, on peut s’attendre à voir de plus en plus de composteurs dans nos villes. Néanmoins, l’investisse-ment que représente le composteur Ekovore par rapport à un composteur classique peut refroidir les collectivités, même si ce dernier pourrait être plus adapté dans certains quartiers très urbains, avec un risque de vandalisme, et un fort intérêt à la sensibilisation au geste écologique et à la création de lien social.
Le changement de politique n’est donc pas si évident et peut varier d’une ville à l’autre. Si l’incitation par les politiques publiques est un élément clé pour la diffusion du compostage partagé, pour le moment ce sont les citoyens qui décident du sort de leurs déchets, se responsabilisent et prennent en main leurs projets.
La partie « déchets » est un des enjeux de l’alimentation durable, mais il est loin d’être le seul.
Les modes de production de nos aliments, intensifs, basés sur l’utilisation des énergies fossiles et demandant des intrants chimiques, impactent le climat, appauvrissent les sols.
De plus, et en ville en particulier, on constate une distanciation multiple entre les citoyens et leur alimentation : des produits venant des quatre coins du monde, des chaînes logistiques de plus en plus longues, des produits transformés. Cette combinaison de facteurs donne aux habitants une sensation d’incertitude et de perte de contrôle vis-à-vis de leur alimentation et génère aussi une méconnaissance des chaînes alimentaires et de la manière dont ils doivent se nourrir. La perte de perception de ce qui constitue le « bien manger », ou le « manger sain », et la perte de lien avec l’origine de nos produits nous égarent dans nos choix alimentaires et dirigent les mangeurs vers des choix de produits plus transformés, avec de fortes teneurs en sucres et en matières grasses. Selon l’OCDE, en 2015, la France comptait 15 % d’obèses (pour la population de plus de 15 ans), ratio en constante hausse qui pourrait atteindre 21 % d’ici 2030. Les consommateurs sont aussi de plus en plus défiants vis-à-vis de leur alimentation. Les crises alimentaires, sanitaires, l’insurmontabilité apparente des défis environnementaux et l’incompréhension des circuits alimentaires engendrent une démoralisation des mangeurs.
Il est donc urgent pour les citoyens de renouer avec une alimentation saine, durable, transparente et apaisée. Pourrait-on rassurer les mangeurs, les inciter à mieux consommer en remettant la nature au cœur de l’alimentation en relocalisant et en raccourcissant les circuits d’alimentation ? Savoir d’où vient notre nourriture et faire entrer le circuit dans notre quotidien pourraient faire prendre conscience de l’importance de ce que l’on mange et représenter un premier pas vers une alimentation plus saine et durable.
Pour répondre aux enjeux de la durabilité, il faudrait s’intéresser au système global et ne pas se contenter d’une valorisation en bout de chaîne. Le composteur partagé serait donc d’autant plus intéressant s’il s’inscrivait dans un système vertueux et durable. Tout cela, l’agence Faltazi l’a bien compris, et a réfléchi en conséquence à un moyen de créer un système d’alimentation résilient et local dans les villes, sur tout le cycle de vie d’un aliment.
Le projet « Les Ekovores » ne se résume pas à l’installation de composteurs. C’est un projet plus global d’économie circulaire qui permettrait aux villes de renouer avec une production locale, biologique, de saison en instaurant une dynamique de « quartiers fermiers », dynamique basée sur la gestion des flux d’aliments. Cette gestion reposerait sur l’intégration de solutions de valorisation à chaque étape du cycle de vie d’un aliment afin de reboucler les flux [Figure 4]. Ces étapes sont mises en œuvre grâce au mobilier urbain inventé par les deux designers de l’Agence Faltazi, dont l’optique reste d’accompagner l’utilisateur dans ses bonnes pratiques en améliorant les fonctionnalités des éléments par le design [Figure 5]. L’exemple est pris pour la ville de Nantes mais ce mobilier est tout à fait adaptable à d’autres villes (Agence Faltazi, 2011 ; Massip et Lebot, 2012).
Dans ce système, les aliments pourraient être produits dans les campagnes péri-urbaines, transportés de manière propre vers les villes où ils seraient distribués aux mangeurs et aux collectivités. Les produits pourraient être transformés et les pertes et déchets valorisés. Les déchets orga-niques valorisés (compost, urine transformée) pourraient être ensuite réutilisés comme fertilisants en agriculture dans les campagnes, dans les potagers de villes ou dans les jardins et espaces verts.
Un panel de mobiliers urbains vient soutenir ce changement de paradigme et cette nouvelle manière de penser les différentes étapes de la vie d’un aliment dans un système circulaire :
→ Produire en ceinture verte : des bâtiments modulables pour y installer des fermes facile-ment, afin de valoriser les friches en bordure de ville ; des serres maraîchères pouvant s’ouvrir et se fermer pour ventiler la production ; des modules de poulailler, etc.
→ Cultiver en ville : des jardins flottants imaginés pour être posés sur les fleuves et qui pourraient se combiner et se juxtaposer les uns aux autres le long des rives ; des ruches de ville, etc.
→ Distribuer : des équipements pour faciliter la distribution des associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (AMAP) ne disposant souvent pas de locaux pour la distribution ; des barges-marchés pour transporter, au fil de l’eau, les productions maraîchères des territoires agricoles qui bordent la rivière en amont de la ville jusqu’à cette dernière, et s’arrêter au cours de son périple pour vendre ses denrées.
→ Transformer : des modules de conserveries de quartier à installer à proximité des marchés permettant de préparer des bocaux avec les fruits et légumes abîmés ou les surplus en fin de marché ; des légumeries modulables pouvant être installées à proximité des cantines d’écoles ou de maison de retraites pour qu’elles disposent de stockage réfrigéré et d’une unité de transformation opérationnelle.
→ Valoriser : des composteurs de quartiers comme celui présenté dans cet article, des toilettes sèches publiques, des poulaillers de quartier.
Ces éléments urbains ont été pensés comme des « enzymes » pouvant faciliter et accélérer la mise en œuvre d’un système alimentaire durable. Dans ce système de type économie circulaire, les relations entre mangeurs et producteurs sont renforcées, les déchets deviennent des ressources, les distances parcourues se raccourcissent. Un système moins polluant est construit, au sein duquel le mangeur se responsabilise et peut reprendre son alimentation en main pour la rendre plus saine grâce aux éléments urbains mis à disposition. Ce mode d’alimentation de la ville n’exclut pas pour autant les échanges avec l’extérieur, mais est pensé pour améliorer la résilience d’une collectivité, replacer les habitants au cœur du système et valoriser les déchets alimentaires en ressources. Tel qu’il a été pensé, il permet aussi de créer de nouveaux métiers qui prennent en charge une partie du fonctionnement de ce cycle, comme des « maîtres composteurs » et « AMAPeurs » par exemple.
Ces nouveaux équipements n’ont pas encore été installés et doivent encore faire leurs preuves. Cependant, ce type de réflexion est encourageant et nous montre une possibilité de changer les modes de consommation et d’alimentation en reconsidérant les infrastructures des villes. Si l’on pense que notre manière de nous alimenter façonne nos villes (Steel, 2008), on peut aussi penser que, réciproquement, la manière dont sont construites nos villes et les éléments mis à notre disposition peuvent façonner nos manières de nous alimenter, et donc constituer un levier pour la construction de systèmes alimentaires plus durables. Par l’utilisation de mobilier urbain, on peut rendre visibles les enjeux de l’alimentation pour aider à la prise de conscience, mais aussi faciliter les opérations pour modeler un système alimentaire. De la même manière que le fait le composteur Ekovore, les autres éléments du système peuvent rendre le circuit alimentaire plus transparent et remotiver les aux citoyens quant à leur alimentation.
Comme le propose Carolyn Steel dans son ouvrage Ville affamée avec son concept de sitopie (espace où l’alimentation retrouve sa vraie valeur) : « Une ville sitopique entretiendrait des liens forts avec son hinterland local grâce à un réseau en treillis avec des marchés actifs, des boutiques de proximité et un sens aigu de l’identité alimentaire […]. Ainsi, comme c’était le cas jadis, la ville serait en partie façonnée par la nourriture » (Steel, 2008).
L’installation du composteur collectif Ekovore a permis aux citoyens d’un quartier nantais de réduire ses biodéchets en les valorisant. D’un point de vue environnemental, cette démarche, surtout si elle venait à se généraliser, participe concrètement à la diminution des volumes de déchets à transporter et à traiter par la collectivité et contribue ainsi à la réduction des gaz à effet de serre. D’un point de vue social, la démarche collective a contribué à la création de lien social, ce qui est d’autant plus important dans un quartier socialement défavorisé comme celui de Malakoff. Le composteur tel qu’il a été imaginé présente aussi l’intérêt de favoriser l’acceptabilité et la pérennisation des bonnes pratiques. Néanmoins, l’installation de composteurs reste à l’initiative des citoyens. Dans un objectif de diffusion, le compostage collectif ou l’installation de composteurs améliorés devraient être soutenus et accompagnés de réels changements de société et par des politiques de gestion des déchets adaptées. Sous l’impulsion de politiques publiques, l’installation de composteurs voire d’autres équipements imaginés par les Ekovores pourrait aider à repenser des systèmes alimentaires plus locaux. Repenser la ville et installer du mobilier urbain pourraient être des « catalyseurs » pour une alimentation plus durable.
Auteur : Fanny Ocler
[1] Depuis 2007, Compostri promeut le compostage collectif à Nantes Métropole. Sa mission est de développer cette pratique, d’accompagner et former les groupements souhaitant installer un composteur et de pérenniser ces projets.