Accueil> Rencontres> Colloques annuels> 2020/ Alimentations et biodiversité : se relier dans la nature > Conférence inaugurale
Pierre-Henri Gouyon, généticien, Muséum national d’histoire naturelle
Pierre-Henri Gouyon nous explique dans cette conférence "Pourquoi on s’occupe mal de biodiversité ?"
En 1992 l’UCS lance un appel au 1er Sommet de la Terre à Rio sur le besoin de préserver la biodiversité, appel qui reste inaudible à cause de « l’appel de Heidelberg ». Celui-ci présente les écologistes comme dangereux car irrationnels et soutient que seul le progrès technique sauvera l’humanité. C’est la mise en doute des écologistes par « les marchands de doute », vecteurs de désinformation en faveur des positions des industriels.
La biodiversité, la nature sont alors vues comme des ennemis du progrès fondé sur la technique et la négation de la nature. Cette vision remonte au XVIIIe siècle mais est toujours d’actualité, sauf qu’on dit moins « progrès » et plus « innovation ». Pour Rousseau l’harmonie est dans la nature alors que l’homme est mauvais. À l’inverse, Buffon déteste la nature et l’homme seul peut la rendre belle. C’est une ode à l’asservissement de la nature sauvage.
Plus de deux siècles plus tard, on retrouve les mêmes problèmes idéologiques, écologiques/politiques. La biodiversité : ce n’est pas que des trucs jolis, avec un aspect manipulatoire, présentée comme une collection de timbres.
Linné regroupe les espèces en genres, familles, etc. : tout est fixé, les espèces sont le fruit de la création, elles sont éternelles et immuables. La systématique organise alors la biodiversité. Nos structures mentales sont basées ainsi sur un monde fixe, où la biodiversité est quelque chose de stable. On parle aujourd’hui d’érosion de la biodiversité.
Le schéma de l’évolution de Darwin est fondamental ! La nature produit des variations, des lignées qui pour la plupart s’éteignent par effet de compétition. Celles qui ont le moins de chance de s’éteindre sont celles qui divergent. Les espèces ne sont pas des entités définies. La biodiversité est un équilibre, un processus dynamique, où constamment apparaissent des formes nouvelles et d’autres disparaissent.
Or, la science a aujourd’hui une vision encore pré-darwinienne de la biodiversité. On ne peut conserver la biodiversité telle qu’elle. Nous sommes en équilibre dynamique avec notre environnement, la biodiversité est un système dynamique vivant. On risque de la tuer en la mettant « au frigo ».
Le problème actuel de la biodiversité c’est que l’équilibre est rompu : il y a plus d’extinctions et on a enlevé la capacité dynamique des systèmes vivants (rapport de l’IPBES montrant le ralentissement de la biodiversité par exemple).
Au sujet de l’agriculture :
Il y a eu une volonté de produire plus à l’hectare, avec comme enjeu de vider les campagnes pour alimenter les usines des villes en ouvriers. Aujourd’hui on aurait plutôt tendance à devoir inverser le mouvement. On a homogénéisé les cultures avec même génotype cultivé sur des millions d’hectares. Avec les brevets liés aux semences, les producteurs perdent la propriété de leurs graines.
Cette homogénéisation est dangereuse car besoin de mettre de la diversité dans les champs ! La solution n’est pas de faire des banques de semences (exploitables dans dix ans uniquement par les boîtes de biotechnologie) mais de remettre en œuvre des systèmes produisant de la diversité dans les champs.