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N° 26 / Légumeries territoriales : regards croisés sur les leviers de leur pérennité

  • Marguerite Bardin-Wood, chargée de mission événementiel, Montpellier Méditerranée Métropole, France.
  • Morgane Laurens, coordinatrice des études et du conseil, Cité de l’Agriculture, Marseille, France.
  • Célia Magnier, stage compagnonnage Passerelles Paysannes, Occitanie, France.
  • Coline Philip, chargée d’étude filière, Bio en Hauts-de-France, Phalempin, France.

Les points clés de ce So What ?

  • Le diagnostic territorial permet aux porteurs de projets de légumeries de partager collectivement un bilan, qui doit intégrer les flux alimentaires et les acteurs existants. Les pouvoirs publics peuvent faciliter cette étape grâce à des soutiens financiers, matériels et ou immatériels.
  • Une planification prudente et évolutive permet la stabilisation progressive du modèle
    économique et l’adaptation de l’activité des légumeries au contexte. D’autres leviers opérationnels existent, comme des compétences internes ajustées au niveau de complexité des procédés et un maintien de liens de confiance avec les producteurs.
  • La diversification est une stratégie clé pour renforcer la résilience économique des structures. Elle peut s’établir au niveau de la gamme de produits transformés et/ou des débouchés.

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En renforçant les interactions entre acteurs d’un même territoire, la reterritorialisation vise à inverser le processus d’allongement des chaînes d’approvisionnement. Elle s’appuie sur des principes de gouvernance partagée, participative et inclusive. Reterritorialiser nécessite la mobilisation d’outils de transformation et logistiques de taille intermédiaire, correspondants à la capacité de production agricole et de consommation d’un territoire donné. Ces outils sont souvent en nombre insuffisant sur les territoires où la production agricole est spécialisée et où les volumes sont adaptés à des échelles nationales à internationales. Les légumeries, outils de transformation de fruits et légumes, ne font pas exception.

Les récentes lois Egalim et Plan Climat Énergie ont poussé les territoires à s’équiper, afin de faciliter l’émergence de filières territorialisées à destination de la restauration collective. Les initiatives peinent cependant à être rentables et à répondre aux besoins de soutenabilité du territoire.

Quatre mémoires de fin d’études, menés sur la base d’enquêtes et d’entretiens, sont synthétisés ici pour explorer les facteurs de pérennité des légumeries territoriales. Les freins rencontrés par les structures existantes sont rapportés, ainsi que les recommandations issues de leurs expériences.

Méthodologie

Cette synthèse tire les enseignements communs de quatre études menées dans le cadre du Mastère Spécialisé® Innovations et politiques pour une alimentation durable, sur la base d’enquêtes auprès de multiples légumeries et leurs parties prenantes. Au total, 27 légumeries, 13 structures amont, 7 structures aval et 9 collectivités ont été interrogées. La diversité des commanditaires atteste de l’intérêt pour les légumeries en tant qu’outils de reterritorialisation et des questions que pose leur déploiement.

Si le sujet est commun, chaque étude a proposé une approche singulière :

  • la première, portée par la Maison des Sciences de l’Homme Sud, dans le cadre du projet Filières en Communs, explore les clés de succès et écueils à éviter, à destination des collectivités locales voulant territorialiser leur alimentation par une approche filière ;
  • la seconde analyse la pérennisation des outils de proximité, par la mise en réseau pour mutualiser les compétences. Ce projet est porté par l’entreprise Cuisinons nos Paysages ;
  • la troisième étude, portée par l’association La Cité de l’Agriculture à Marseille, pose des éléments de diagnostic pour interroger la pertinence d’un nouvel outil de transformation sur le territoire de la métropole Aix-Marseille-Provence et à identifier les conditions de pérennité de cet outil ;
  • la dernière étude décrit les besoins et difficultés rencontrés par les outils de transformation du territoire montpelliérain, dans le cadre du projet de démonstrateur territorial, TerrAsol, coordonné par la FR CIVAM sur l’axe « approvisionnements durable ».

S’approprier son territoire : diagnostic et interconnaissance entre les acteurs

Le premier constat commun est la méconnaissance qu’ont certains porteurs de projet de leur territoire d’implantation. Connaître et comprendre les acteurs en présence, les équipements existants et les flux liés à la production agricole, à la distribution, la commercialisation et la consommation des fruits et légumes transformés, sont des préalables essentiels à l’émergence de solutions adaptées aux besoins et aux caractéristiques du territoire. Négliger cette étape compromet la robustesse économique et opérationnelle des outils. La réalisation de ce diagnostic peut être appuyée par une
collectivité territoriale, à l’aide de financements et/ou la mise à disposition de données et de ressources.

En parallèle, former un collectif et établir des objectifs partagés peut permettre d’éviter des formes de gouvernance trop centralisées. Cela favorise également l’engagement des parties prenantes et la prise en considération des objectifs plus larges du territoire. Le collectif doit rassembler les acteurs clés, incluant les différents échelons des collectivités, des entreprises privées, des producteurs, ainsi que des associations de la société civile. La dynamique de collaboration doit se traduire par une approche participative et concertée, plutôt que descendante. Inclure les collectivités dans la réflexion permet de mettre le projet en cohérence avec une vision partagée du territoire à moyen et long terme. La collaboration entre acteurs peut aussi être facilitée par des processus d’interconnaissance développés grâce à des événements formels ou informels.

La définition du projet qui découle du diagnostic soulève plusieurs questions opérationnelles, notamment : les lacunes de production que la reterritorialisation cherche à combler ; la capacité des producteurs à fournir les matières premières ; leur motivation en fonction des prix et des volumes proposés et les éventuelles contraintes. Cette phase de réflexion doit permettre d’aborder les questions d’approvisionnement, de contraintes logistiques, du modèle économique, de la polyvalence requise et, enfin, des débouchés potentiels de la légumerie ainsi que leur saisonnalité. Traiter ces questions complexes allonge la phase de conception de la réponse adaptée aux besoins, mais permet d’éviter des erreurs majeures qui impacteraient la robustesse du projet.

Enfin, l’échelle d’action et de réflexion doit être définie par les flux de produits et les jeux d’acteurs, et non par les limites administratives. Cela peut mener à collaborer avec des territoires environnants disposant de solutions complémentaires. C’est l’approche choisie dans le cadre du projet Feltracco : une filière de fruits et légumes transformés à destination de la restauration hors domicile, structurée grâce à l’accompagnement de trois légumeries sur le territoire de la métropole d’Aix-Marseille-Provence et sur celui du Pays d’Arles. Cette collaboration est facilitée par l’existence d’un projet alimentaire territorial commun à ces deux collectivités.

Dimensionner un atelier évolutif, exploité par une équipe connectée à des producteurs engagés

Un diagnostic initial imprécis peut amener à surévaluer les volumes que les producteurs choisiront de transformer, ainsi que la demande potentielle, et donc à surdimensionner les outils. De plus, afin de limiter le coût de revient, les financeurs privilégient souvent un outil de taille importante qui permettra des économies d’échelle. En résultent des investissements dans des légumeries avec une capacité de transformation élevée (1 000 à 2 000 tonnes par an) et des équipements coûteux. Les charges liées à l’amortissement de l’investissement et d’exploitation, comme l’énergie, vont alors fortement peser sur l’activité et compromettre son équilibre économique.

Par ailleurs, les conditions de marché ne correspondent pas toujours à la projection initiale et peuvent évoluer dans le temps. Ainsi, prévoir une augmentation graduelle de capacité et de la flexibilité est un gage de pérennité. La Coopérative du Born (Landes), par exemple, a démarré par un test d’activité de quelques mois, en recourant à l’outil et aux ressources humaines d’un traiteur. Assurée de la viabilité de l’activité, elle a pu sereinement compléter l’outillage, internaliser la main-d’oeuvre et prévoir d’investir dans ses propres locaux. Cette adaptabilité est d’autant plus fondamentale que la légumerie valorise les productions locales sans débouchés (hors calibre, pic de production, etc.), avec des volumes et une
qualité fluctuants, pour fournir le marché de la restauration collective, très sensible aux prix et ce, à un niveau de service fiable.

Une autre difficulté rencontrée a trait aux compétences requises, spécifiques à la transformation, pour garantir la qualité organoleptique et la sécurité sanitaire des produits. Dans un atelier de capacité intermédiaire, une équipe réduite doit assumer une grande variété de tâches, ce qui nécessite des profils polyvalents pas toujours disponibles sur le marché du travail. Certaines légumeries, comme Agriviva (Hérault), ont recours à du personnel en insertion, peu qualifié et tournant : cela nécessite un encadrement renforcé et beaucoup de flexibilité dans l’organisation du travail. Former les employés et adapter la complexité du catalogue des produits aux compétences disponibles sont deux moyens à déployer pour pallier cette difficulté.

Les enquêtes ont également montré l’importance d’entretenir un lien privilégié et de confiance avec les producteurs. À cet effet, plusieurs stratégies sont mises en œuvre par les structures étudiées. Certaines ont développé une offre logistique en amont, qui répond au besoin des producteurs de limiter leur temps passé sur la route. Pour les ateliers d’insertion comme Ameli Provence à Fos-sur-Mer, c’est également l’opportunité de former les salariés volontaires aux métiers du transport et de la livraison. D’autres s’activent sur le terrain relationnel et dédient une large partie de leur temps à des déplacements physiques sur les exploitations pour des discussions informelles. Lezsaisons, par exemple, a structuré son offre de carottes grâce à une discussion informelle avec un producteur qui peinait à valoriser ses carottes hors calibres. Ils nouent ainsi des liens interpersonnels, au-delà de la seule relation commerciale. Ces temps sont aussi l’occasion d’initier des projets collaboratifs entre producteurs et légumerie, comme par exemple le développement d’une gamme de légumes dédiée à une nouvelle recette. Dans certains cas, l’implication des producteurs dans la gouvernance du projet via des statuts coopératifs (société coopérative d’intérêt collectif, comme la Coopérative du Born, ou société d’intérêt collectif agricole, comme Trans Farm Earth près de Rennes) peut permettre de formaliser et d’encadrer la démarche dans la durée. Dans d’autres cas, c’est plutôt l’informalité des liens et des partenariats qui conditionne l’implication des producteurs.

Les légumeries de territoire requièrent de nouveaux modèles économiques

Une entreprise rentable optimise son bénéfice en négociant les prix de ses fournisseurs (ici, les producteurs), en poursuivant les économies d’échelle grâce à l’augmentation des volumes et l’amélioration de la productivité et, au bout de la chaîne, en maximisant le prix de vente. Les contraintes opérationnelles et techniques liées à une échelle intermédiaire et aux demandes du territoire appellent une autre logique. Les légumeries territoriales requièrent de nouveaux modèles économiques. Au cours des enquêtes, des stratégies visant à se diversifier et à combiner les activités et les débouchés ont été identifiées.

Différents types de transformation peuvent être conjugués pour s’adapter à la saisonnalité et élargir la gamme proposée. Par exemple, ajouter une activité de conserverie à la production de légumes de 4e et 5e gammes permet de répondre au pic de production estival, tout en stockant les produits transformés pour qu’ils puissent être commercialisés le reste de l’année. En complément, les légumes d’hiver tels que les choux, les carottes ou les courges se prêtent particulièrement à la réalisation de recettes de lactofermentation, un marché de niche à haute valeur ajoutée. De la même manière, diversifier les recettes et donc les produits travaillés est intéressant. Ainsi, Terra Douceurs (Ain) transforme les légumineuses et les céréales et Ameli Provence est sollicitée par ses clients pour développer une gamme de pickles destinée aux activités de traiteur.

La location des infrastructures à des acteurs extérieurs ou bien le travail à façon peuvent ouvrir des opportunités avec des clients comme les producteurs eux-mêmes, les traiteurs, entrepreneurs, associations, etc. Cela exige une conception initiale adaptée. Alter Ego, un Établissement et service d’accompagnement par le travail (ESAT) du Morbihan parvient ainsi à louer son atelier cinq semaines par an, lors des périodes creuses. La diversification des débouchés peut également être accompagnée par les collectivités en catalysant des partenariats (hôpitaux, EHPAD) ou en animant des espaces de coopération et d’interconnaissance entre acteurs.

Enfin, faire porter l’outil de transformation par une structure existante qui a déjà développé d’autres activités économiques est une autre façon d’aborder le projet. En France, les établissements de formation agricole constituent des candidats idéaux. Leur implantation historique et leur vaste réseau de producteurs et d’acteurs, y compris les futurs agriculteurs, permettent de diversifier les usages de leurs installations, notamment en proposant un support pédagogique, la mise à disposition d’équipements et diverses prestations. De plus, leur capacité à mobiliser des financements est renforcée grâce à leur collaboration avec différents échelons de collectivités, particulièrement en exploitant leur volet pédagogique. L’Établissement public local d’enseignement et de formation professionnelle agricoles (EPLEFPA) de Florac (Lozère) et le lycée agricole La Provence verte à Saint- Maximim-la-Sainte-Baume (Var) mettent ainsi leurs ateliers de transformation à la disposition des apprenants, des producteurs et même des particuliers.

Conclusion

Si les enquêtes confirment les difficultés récurrentes des outils de transformation intermédiaires, elles permettent de dégager un ensemble de pistes pour contribuer à les pérenniser. C’est lors de la définition du projet initial que des éléments déterminants doivent être envisagés. En premier lieu, un outil de territoire ne peut remplir son rôle que s’il a été pensé comme un maillon d’un système alimentaire au périmètre défini, cartographié dans un diagnostic initial qui recense acteurs et motivations, volumes et flux. En deuxième lieu, une gouvernance partagée par les parties prenantes et reposant sur des liens de confiance durables est une clef de réussite, et ce, en début de projet comme en phase de gestion opérationnelle. En troisième lieu, les choix techniques doivent correspondre au diagnostic et se concentrer sur la flexibilité et l’adaptabilité, plutôt que sur la recherche d’économies d’échelle qui poussent au surdimensionnement.

Ces recommandations rappellent le caractère territorial des légumeries : il s’agit de réduire les externalités négatives, sociales et environnementales, des systèmes
alimentaires. On peut donc interroger l’injonction à la rentabilité et chercher à mesurer la résilience face aux crises ainsi que les impacts sur les territoires. L’association Resolis a analysé 107 initiatives de transformation. Les résultats montrent que 40 % d’entre elles ont un impact fort sur la structuration ou le maintien de filières locales, ainsi que sur le maintien ou la création d’emplois et sur la synergie entre acteurs d’un territoire donné.

Références

  • Bardin-Wood M. 2023. Le rôle des collectivités dans
    l’émergence et le développement de filières alimentaires territorialisées. Mémoire de mission professionnelle, Mastère Spécialisé® Innovations et politiques pour une alimentation durable, L’Institut Agro Montpellier. 64 p.
  • Laurens M. 2023. Une filière de transformation des fruits et légumes issus de l’agriculture urbaine : besoins, opportunités et scénarios pour la Métropole Aix-Marseille. Mémoire de mission professionnelle, Mastère Spécialisé® Innovations et politiques pour une alimentation durable, L’Institut Agro Montpellier. 89 p.
  • Magnier C. 2023. Outils de transformation paysans
    et solidaires : quels leviers pour renforcer l’accès à une alimentation durable au plus grand nombre et reconnecter la métropole de Montpellier avec ses territoires nourriciers ? Mémoire de mission professionnelle, Mastère Spécialisé® Innovations et politiques pour une alimentation durable, L’Institut Agro Montpellier. 97 p.
  • Philip C. 2023. Soutenir la pérennisation économique des outils de transformation de proximité : cas appliqué des légumeries. Mastère Spécialisé® Innovations et politiques pour une alimentation durable, L’Institut Agro Montpellier. 33 p.
  • FNCUMA 2024. Des légumeries engagées dans la transition agricole et alimentaire. 20 p.

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