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Accéder à une alimentation saine et durable n’est pas à la portée de de toutes et tous. Améliorer l’accès physique et économique à des lieux de vente de produits bons pour la santé et pour l’environnement représente un enjeu politique majeur. Les choix alimentaires des ménages sont déterminés en premier lieu par des caractéristiques socioéconomiques.
Il existe par exemple une relation établie entre un haut niveau de revenus et des achats plus importants de produits bio (Méjean et al., 2023). Cependant, ces choix s’opèrent aussi dans la limite de ce que proposent les paysages alimentaires, définis comme l’ensemble des points de vente alimentaires situés autour du domicile, des lieux d’activités, ainsi que des trajets empruntés entre ces espaces de vie.
L’impact des paysages alimentaires sur les comportements suscite un intérêt scientifique et politique croissant. Est-ce que vivre à proximité d’une offre alimentaire saine joue sur la qualité de ce qu’un ménage achète pour manger ? Et l’influence de cette exposition est-elle la même pour tous, ou dépend-elle des caractéristiques socio-économiques des individus ? Un ménage à faibles revenus est par exemple estimé davantage dépendant de son paysage alimentaire, comparé à un ménage à hauts revenus (Recchia et al., 2022). Pour les groupes moins favorisés, les stratégies à déployer pour s’approvisionner loin de chez soi seraient plus coûteuses par rapport à des individus disposant de plus de moyens, qu’ils soient d’ordre financier, matériel ou immatériel (temps libre).
Comprendre les relations entre paysages et comportements alimentaires permettrait donc d’orienter les politiques d’aménagement du territoire vers un meilleur accès pour toutes et tous à une offre alimentaire saine et durable. C’était l’objectif de l’étude Mont’Panier pour les habitants du Grand Montpellier. Lors d’une première phase de caractérisation des paysages alimentaires, l’accès physique aux commerces alimentaires est apparu comme satisfaisant pour les enquêtés, à l’exception des marchés alimentaires (Recchia et al., 2021). Une seconde phase de travail s’est concentrée sur les relations entre l’exposition aux paysages alimentaires, la qualité nutritionnelle et la durabilité des approvisionnements des ménages. L’exposition a été évaluée par la proximité et la présence des magasins autour des lieux de résidence et des lieux d’activités professionnelles et non professionnelles (loisirs, écoles des enfants, etc.). La qualité nutritionnelle des paniers alimentaires, la part des dépenses en produits bio et les émissions de gaz à effet de serre liés aux déplacements des ménages pour leurs courses alimentaires ont également été évaluées. Les résultats sont novateurs en ce qu’ils établissent, pour la première fois, des relations entre le paysage alimentaire des ménages et la qualité nutritionnelle de leurs achats, indiquant que l’accès physique à une offre alimentaire saine joue effectivement un rôle dans les comportements d’achat.
L’influence positive des primeurs sur la qualité nutritionnelle des approvisionnements…
Les caractéristiques socio-économiques et démographiques des ménages sont des facteurs déterminants pour la qualité nutritionnelle des paniers. Par exemple, les ménages sans enfant, plus âgés ou à hauts revenus ont des achats de meilleure qualité nutritionnelle. Par ailleurs, l’étude Mont’Panier révèle des associations fortes entre la présence de primeurs autour du domicile des ménages et une meilleure qualité nutritionnelle des paniers, indépendamment
des caractéristiques sociales des ménages (Recchia et al., 2022a). Cette association positive est observée quand le commerce est proche soit du domicile soit des lieux d’activités, et n’existe pour aucun autre type de points de vente alimentaire. Cela pourrait indiquer que la présence de primeurs dans les lieux de vie favorise en particulier l’achat de fruits et légumes. L’enquête montre que cet effet est significatif pour les ménages à faibles revenus, quand les primeurs sont proches de leurs lieux d’activités.
Les populations à faibles revenus seraient donc davantage affectées par leur paysage alimentaire. Ces résultats devront être confirmés par d’autres enquêtes pour évaluer l’impact de l’ouverture ou de la fermeture de primeurs ou de magasins proposant une offre saine et durable, sur les approvisionnements des ménages. Néanmoins, les premières observations encouragent les politiques publiques à être attentives aux primeurs, tant du point de vue de leur localisation que de leurs horaires d’ouverture.
… contrairement aux supermarchés
Les ménages qui effectuent plus des trois quarts de leurs courses alimentaires mensuelles en supermarché résident souvent plus loin des commerces de proximité (Recchia et al., 2023). Ils sont en revanche susceptibles de disposer de supermarchés en drive dans leurs espaces d’activités. Des résultats additionnels indiquent que ces ménages ont tendance à faire des courses conséquentes en peu de fois, tandis que les ménages exposés à un paysage alimentaire plus diversifié font des courses en plus petites quantités et plus régulièrement (Vonthron et al., 2022). Les ménages qui dépensent une grande partie de leurs achats en supermarché ont aussi des paniers de plus faible qualité nutritionnelle, comparés à ceux qui
ont des pratiques d’approvisionnement plus diversifiées (Recchia et al., 2022b).
Effets de la proximité avec des magasins bio
La présence ou la proximité de magasins vendant exclusivement des produits bio autour du domicile ou dans l’espace d’activité des ménages est systématiquement associée à davantage d’achats en bio, indépendamment du revenu, du niveau d’études, de l’âge ou de la composition des ménages. Les résultats sont constants pour l’ensemble des ménages, même pour les plus faibles revenus. De la même manière que pour les primeurs, des études longitudinales sont nécessaires pour confirmer ces relations.
L’accès aux produits bio pour les habitants du Grand Montpellier pourrait donc être amélioré en facilitant l’installation de ces magasins, aussi bien dans les quartiers de résidence qu’autour des lieux d’activités. En revanche, et même si ces associations positives ont aussi été observées pour les ménages à faibles revenus, l’accessibilité économique au bio reste une question en suspens : l’étude n’a pas inclus la variabilité des prix au sein des magasins recensés.
Les bienfaits des transports publics ou des mobilités douces
Comparés aux habitants du centre-ville, les ménages des quartiers et zones périphériques de Montpellier ont un usage plus fréquent de la voiture. Leurs émissions de gaz à effet de serre liées aux déplacements pour les courses alimentaires sont donc plus importantes. L’enquête révèle cependant qu’au sein des ménages des espaces périphériques, certains ont des émissions de gaz à effet de serre plus faibles : ils résident à proximité d’un supermarché ou d’une ligne de tramway. Même constat lorsqu’ils prennent régulièrement le vélo ou les transports en commun pour effectuer leurs courses alimentaires.
Ainsi, la répartition de l’offre alimentaire et l’organisation des transports ont un impact sur la durabilité des déplacements lors d’approvisionnements alimentaires.
Ces résultats sont notamment à prendre en compte dans les zones où de nouvelles offres de transport (en commun, piste cyclable) sont en cours de développement. Des études seront menées dans les prochaines années pour suivre l’évolution des paysages alimentaires en lien avec le développement du réseau de transports en commun.
Ces premiers résultats confirment que les paysages alimentaires influencent la composition des paniers alimentaires. La présence de primeurs autour du domicile serait un facteur impactant positivement la qualité nutritionnelle des paniers. Pour les populations défavorisées, cet effet est significatif lorsque les primeurs sont situés dans leurs espaces d’activités.
L’exposition à des magasins ne vendant que des produits bio favoriserait également leur achat. En revanche, avoir un supermarché drive dans son espace d’activité semble engendrer une grande partie des dépenses en supermarchés, ce qui est associé à une moindre qualité nutritionnelle des approvisionnements.
Dans une optique d’améliorer la durabilité des approvisionnements des ménages, les politiques d’aménagement du territoire pourraient donc miser sur des commerces spécialisés de type bio et primeurs, tout en pensant conjointement l’offre en transports publics pour faciliter l’accès à ces commerces et encourager des mobilités plus durables. Davantage de recherches sont nécessaires pour consolider ces résultats et éclairer les décisions publiques, notamment des études de long cours afin d’analyser l’impact des changements des paysages alimentaires sur les approvisionnements. En outre, les premières phases de l’étude Mont’Panier n’ont pas pu mesurer les prix pratiqués dans les magasins de Montpellier. Or l’accès économique à une alimentation saine et durable reste le premier facteur limitant pour une majorité de ménages. Les futures études devraient donc également intégrer le prix des produits alimentaires.