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Points clés
INTRODUCTION
La participation des personnes concernées par les difficultés d’accès à l’alimentation est une préoccupation croissante dans le champ des solidarités alimentaires. Elle permet de mieux comprendre la diversité des besoins afin de concevoir des dispositifs pertinents qui répondent aux contraintes et aux attentes des personnes. En leur donnant une voix et un rôle actif, les démarches participatives contribuent aussi à restaurer un pouvoir d’agir parfois mis à mal par les trajectoires de vie. Comme la mise en œuvre de cette participation est complexe, une journée dédiée à cette question a été organisée par la Fédération des Acteurs de la Solidarité Occitanie et la Chaire Unesco Alimentations du monde en mai 2023 dans le cadre du projet d’Observatoire des Solidarités Alimentaires dans l’Hérault (Obsoalim34). Cette journée a rassemblé une cinquantaine de personnes engagées pour l’amélioration de l’accès à une alimentation de qualité pour toutes et tous dans le département et a permis, à partir de témoignages et d’ateliers, de réfléchir collectivement aux enjeux de la participation dans les projets de solidarité alimentaire. Ce numéro de En Bref fait état des conclusions tirées de cette rencontre.
Définition et enjeux de la participation citoyenne
La notion de participation peut être abordée suivant la définition de l’Observatoire européen de la participation citoyenne, qui stipule que « la participation citoyenne correspond au processus d’engagement de citoyens lambda, agissant seuls ou collectivement, afin d’influer sur leur vie communautaire. Elle se manifeste au travers des tentatives d’influence sur les prises de décision et d’initiatives citoyennes visant à renforcer le « bien-vivre ensemble ». Elle peut s’inscrire dans une approche ascendante ou s’intégrer dans un cadre institutionnalisé et, ainsi, être organisée à l’initiative des membres de la société civile ou des décideurs politiques. »
En pratique, la participation répond à des modalités et intentions diverses. Elle peut avoir lieu à différents moments d’une démarche et accorder plus ou moins de pouvoir aux habitant·e·s. Le degré de participation peut être appréhendé au travers d’outils tels que l’échelle d’Arnstein (voir Figure), qui distingue huit niveaux de participation citoyenne, allant de la manipulation (considérée comme de la non-participation) au contrôle citoyen (qui constitue une délégation de pouvoir totale).
Pour s’inscrire dans une véritable ambition démocratique, la participation doit permettre aux citoyen·ne·s, et en particulier à celles et ceux qui vivent des situations d’exclusion, de renforcer leur capacité d’action et de faire valoir leurs besoins et attentes dans la mise en oeuvre d’actions qui leur sont destinées. La co-construction et la co-décision avec les citoyen·ne·s favorisent ainsi l’expression de leur pouvoir d’agir.
La participation des personnes concernées est un enjeu politique qui prend une place centrale dans les projets qui revendiquent la mise en oeuvre d’une « démocratie alimentaire ». En effet, ces projets cherchent à développer un système alimentaire plus juste et durable pour toutes et tous, ce qui ne peut se faire qu’en partant de l’expérience de vie des plus fragiles. Favoriser la participation des personnes touchées par la précarité alimentaire implique donc une redéfinition des places de chacun, où l’enjeu majeur est le partage des pouvoirs.
Dans la suite de ce En Bref, nous allons explorer la façon dont la participation des personnes concernées par la précarité alimentaire peut se concrétiser au sein de trois espaces particuliers que sont une association, un comité citoyen et une instance consultative sur l’élaboration des politiques publiques.
Différents espaces de participation à partir desquels repenser l’alimentation
Les projets associatifs autour des solidarités alimentaires
Les associations sont des espaces de rencontre entre bénévoles, salarié·e·s, adhérent·e·s et citoyen·ne·s de tous horizons et de fait, constituent des lieux d’échanges, de relai d’informations et d’élaboration collective de projets. La participation des personnes concernées par la précarité alimentaire peut y prendre différentes formes, telles que la participation à des ateliers et l’implication bénévole dans la mise en œuvre de projets ou dans la gouvernance. Prendre part à un projet associatif permet bien souvent de sortir de l’isolement et d’obtenir du soutien grâce à la création de liens sociaux, mais peut aussi favoriser l’acquisition de connaissances, de compétences et de confiance en soi qui, in fine, contribuent au développement du pouvoir d’agir.
Exemple de l’association Terre Contact. Roul’contact, imaginé par l’association Terre’Contact, est un camion modulable et itinérant, qui propose un espace d’animation et d’alimentation de qualité pour toutes et tous avec une boutique solidaire (produits locaux). Cet espace d’accueil « vit » avec les habitants en s’installant au plus près d’eux (place de village, hameau, etc.) et en leur laissant le choix sur les activités à proposer sur cet espace : des ateliers cuisine, du jardinage, des balades à vélo, etc. Grâce à ces activités, qui lui ont « donné l’impression d’être utile », une participante a exprimé avoir pu « sortir rapidement de l’isolement ».
Les projets de territoire
On entend ici les projets de territoire comme des prises d’initiatives collectives visant à répondre aux besoins d’une population sur un territoire donné. Ces projets sont, le plus souvent, mis en oeuvre par des partenaires et acteurs locaux comme des collectivités territoriales, des associations ou des entreprises. L’inclusion des citoyen·ne·s concerné·e·s par la précarité alimentaire dans les processus de décision de ces projets gagne à être renforcée : en faisant valoir leur expérience de vie, ces personnes influent en effet positivement sur les décisions qui les concernent et contribuent à la mise en oeuvre de projets collectifs inclusifs adaptés au plus grand nombre. À l’échelle individuelle, les démarches participatives contribuent aussi au développement du pouvoir d’agir.
Exemple du Comité citoyen de la Caisse alimentaire commune. Les partenaires de Territoires à VivreS Montpellier ont lancé une expérimentation de Caisse alimentaire commune, inspirée du projet politique de Sécurité sociale de l’alimentation, pour réduire les inégalités alimentaires et promouvoir une alimentation de qualité et respectueuse de l’environnement. Un Comité citoyen de l’alimentation, composé de 61 habitant·e·s de la Métropole de Montpellier dont la moitié est concernée par la précarité alimentaire, est l’instance de gouvernance de la Caisse. C’est un espace d’éducation populaire où les citoyen·ne·s viennent partager leurs expériences et leurs connaissances, mais aussi un véritable lieu de prise de décision sur les orientations du projet de Caisse. Avec ce comité s’est développé un enjeu fort de politiser le projet, de faire changer le pouvoir de décision et de revendiquer le droit à l’alimentation.
La fabrique des politiques publiques
Les politiques publiques se construisent dans un cadre plus formel et ont une portée plus large que les projets de territoire. En effet, elles touchent souvent des politiques sectorielles (santé, éducation, environnement) et ce, au niveau local, régional ou national. La participation des personnes concernées par la précarité alimentaire à la fabrique des politiques publiques prend le plus souvent la forme de consultations ponctuelles via des réunions publiques, des sondages, des consultations en ligne et parfois des consultations de panels. Les politiques publiques peuvent également être co-construites avec l’aide des citoyen·ne·s concerné·e·s, ce qui permet à ces derniers de mieux comprendre l’élaboration des politiques et de s’approprier des enjeux complexes comme ceux ayant trait aux questions d’alimentation durable.
Exemple des CRPA. Les Conseils régionaux des personnes accueillies/accompagnées (CRPA) sont des instances participatives inter-associatives dédiées aux personnes en situation de précarité, de pauvreté et d’exclusion sociale. Ce sont des lieux d’échange, de réflexion, de construction collective et d’alerte des pouvoirs publics. En 2021, le Conseil national de l’alimentation (CNA) a lancé une réflexion sur la prévention et la lutte contre la précarité alimentaire. En 2022, un panel citoyen incluant des personnes en situation de précarité alimentaire a participé à cette concertation et a formulé 24 propositions, dont 21 ont été retenues par le CNA. Une personne, membre du CRPA Occitanie ayant participé à la démarche, souligne que « cette expérience humaine et citoyenne a été très positive sur de nombreux de points, surtout en ce qui concerne la participation des personnes accompagnées ».
Bonnes pratiques de mise en œuvre de la participation
Les démarches participatives ne sauraient être improvisées. Dans le champ des solidarités alimentaires, un certain nombre de recommandations guident leur mise en oeuvre. Elles ont notamment pu être recensées dans le cadre des travaux du Comité national de coordination de la lutte contre la précarité alimentaire (Cocolupa), une instance mise en place par l’Etat et qui regroupe sous la présidence de la direction générale de la cohésion sociale une cinquantaine de parties prenantes (associations d’aide alimentaire, collectivités territoriales, administrations et institutions, organismes du secteur privé, de la protection sociale, de la recherche publique, fondations privées et représentant·e·s des personnes concernées). Nous mettons ici l’accent sur quelques bonnes pratiques discutées dans le cadre de la journée inter-acteurs d’Obsoalim34.
Garantir la transparence de la démarche
Afin de ne pas tomber dans le piège de la « fausse participation », il est important de définir dès le début de la démarche un certain nombre d’objectifs : quelle est la plus-value de la participation ? Qui participe, et avec quel souci de représentativité ? À quel moment seront associées les personnes et à quelles étapes : conception, mise en oeuvre, évaluation ? Comment les contributions des personnes seront-elles prises en compte ? Qui décide in fine ? L’information systématique des acteurs du projet sur le niveau attendu de leur participation et sur la manière dont seront prises en compte leurs contributions est indispensable, de même que le respect du cadre de participation collectivement défini.
Créer un cadre sécurisant pour les participant·e·s
Les personnes vivant des situations d’exclusion peuvent ne pas se sentir légitimes pour prendre part à une démarche participative, ou craindre d’être stigmatisées. Aussi, il est indispensable d’instaurer des espaces de confiance dans lesquels les personnes pourront s’exprimer librement et sans crainte de jugement. En pratique, il s’agira de travailler sur la circulation de la parole, sur l’agencement des espaces de discussion ou encore sur la manière dont seront formé·e·s les professionnel·le·s qui accompagneront les participant·e·s durant leur pratique de la participation. Les outils et méthodes d’animation issues de l’éducation populaire (débats mouvants, échanges en « tête à tête » avant les travaux de groupe, écoute active, règles de respect de la parole, etc.) sont à ce titre particulièrement intéressants à mobiliser. Mettre les personnes concernées en confiance passe aussi par la création de liens avec elles. En amont d’une démarche participative, « aller vers » les personnes concernées sur leur lieu de vie favorise ainsi une interconnaissance qui offrira un cadre sécurisant pour une future participation, tout en limitant le risque de ne débattre qu’au sein d’un groupe déjà très conscientisé sur les questions d’alimentation.
Lever les contraintes matérielles à la participation
Pour faciliter la participation des personnes concernées, il faut également prendre en compte leurs contraintes matérielles. En effet, les préoccupations quotidiennes de personnes en situation de précarité (mobilité, santé, logement, papiers, etc.) peuvent constituer un frein à leur participation. La rémunération des personnes pour leur participation doit notamment être considérée, car elle peut permettre de lever des barrières financières. Attention toutefois car elle peut également entraîner la perte de droits sociaux. En dehors de l’aspect financier, la démarche peut être aménagée dans son organisation pour répondre aux différentes contraintes des participant·e·s : horaires compatibles avec leurs emplois du temps, garde d’enfants, repas offerts, présence de traducteurs, etc.
CONCLUSION
La participation des personnes vulnérables dans le cadre des solidarités alimentaires peut prendre des formes diverses, de par ses modalités de mise en œuvre, les instances dans lesquelles elle s’organise ou les effets qu’elle produit. Le dénominateur commun de cette participation reste son objectif, le renforcement du pouvoir d’agir des personnes, qui permet d’asseoir la légitimité et la pertinence des actions issues des démarches participatives.
Cependant, mettre en place de telles démarches demande du temps, des compétences et des moyens financiers. Convaincre les décideurs et financeurs de la plus-value des démarches participatives est nécessaire pour pouvoir constituer des instances de travail, de décision et de suivi permettant par exemple de former les participant·e·s à la maîtrise d’outils et de procédures ou à la prise de parole ; d’organiser la co-construction d’une parole citoyenne dans de bonnes conditions ou encore d’évaluer les effets de la participation sur les citoyen·ne·s et les institutions.