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Par Damien Conaré, Secrétaire général de la Chaire
Janvier 2024
Nous vous donnons rendez-vous le vendredi 02 février prochain à L’Institut Agro Montpellier pour la 13e édition de notre colloque annuel qui sera consacré aux rapports qu’entretiennent les jeunes générations (15-30 ans) à l’alimentation. Incursion dans un monde mystérieux, peuplé de clichés et d’idées-reçues, dont nous jouons d’ailleurs allègrement sur l’affiche du colloque…
Nous nous intéresserons dans un premier temps aux comportements alimentaires adoptés par les jeunes et en quoi ils sont ou non spécifiques de cette période de la vie. En particulier, nous mesurerons l’influence des réseaux sociaux sur les habitudes d’achat et de consommation ; envisagerons comment l’alimentation est constitutive de la construction de l’identité et du rapport au corps (avec ses troubles associés) et discuterons des supposées tendances à l’œuvre : individualisation des régimes alimentaires, perte de repères face à la multiplication des discours et injonctions sur l’alimentation, internationalisation et métissage des goûts, etc.
Ensuite, en écho à notre précédent colloque, nous discuterons des valeurs et du sens que des jeunes recherchent dans le travail agricole ou alimentaire, à travers deux destins singuliers : une entrepreneuse sénégalaise dans l’industrie agroalimentaire et un vigneron nouvellement installé dans les Cévennes.
Enfin, nous verrons comment les nouvelles générations perpétuent ou réinventent des formes d’engagement et de solidarité à travers l’alimentation : la formation de jeunes ambassadeurs du commerce équitable, la constitution de groupements d’achats sur les campus étudiants proposant des produits de qualité à prix raisonnable ou encore le lancement d’une Convention étudiante de l’alimentation durable.
Bien évidemment, « les jeunes » ne constituent pas une catégorie homogène : les attributs socio-culturels, de classe, de genre, etc., peuvent être aussi - sinon plus - importants que la simple classe d’âge. De même, les nouvelles générations sont inscrites dans une société en prise à des évolutions qui nous concernent en fait toutes et tous : nouveaux rapports au travail ; éco-anxiété ; accélération du rythme de vie ; accélération des changements sociaux (structures familiales, styles de vie, fluidité des genres, etc.) ; nouvelle condition numérique à travers des supports médiatiques qui portent en eux-mêmes un autre rapport au monde ; etc. Mais ces changements rapides et radicaux, qui doivent être assimilés prioritairement (ou touchent particulièrement) les jeunes générations, creusent peut-être encore plus un certain fossé entre générations.
Hasard des actualités, à l’heure où nous nous préparons à débattre de l’alimentation des jeunes, un constat implacable est venu redonner un sens premier au titre décalé de notre colloque (« Mangez jeunesse ! ») : un étudiant sur cinq ne mangerait pas à sa faim… C’est le résultat de l’étude « Bouge ton CROUS » menée par la Fédération des associations générales étudiantes (Fage), principal syndicat étudiant, publiée le 10 janvier dernier. Cette consultation réalisée au second semestre 2023 auprès de plus de 7500 étudiants en France métropolitaine révèle que près d’un sondé sur deux a déjà sauté un repas, faute d’argent. Plus largement, cette étude s’intéresse aux conditions de vie étudiante (logement, transport, salariat, vie sociale, culturelle et sportive) et là encore, le constat est sans appel : la précarité progresse, en lien notamment avec l’augmentation du coût de la vie étudiante.
Hasard du calendrier bis, cette étude paraît au moment même où vient d’être nommé « le plus jeune premier ministre du plus jeune président de la Ve république ». Une nomination qui, au moins symboliquement, porterait à croire au mirage d’une jeunesse qui aurait pris le pouvoir de nos institutions. Mais le vrai pouvoir émancipateur est celui d’être en capacité de se projeter dans l’avenir, de le sentir à portée de main ; alors même que cet avenir est peut-être devenu plus imprévisible que jamais. Dès lors, comment investir sur l’avenir avec une trop grande partie des étudiants qui connaissent la difficulté du quotidien ? Un vrai problème de concordance des temps où le présent ne nourrirait plus l’avenir…