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MOTS-CLÉS : COMITÉ CITOYEN, CAISSE ALIMENTAIRE COMMUNE, DÉMOCRATIE ALIMENTAIRE, PRATIQUES ALIMENTAIRES
L’expérimentation sociale Territoires à VivreS Montpellier (TàV) vise un accès digne à une alimentation de qualité pour tous tout en soutenant des filières solidaires et durables. Pour ce faire, un comité citoyen composé d’une cinquantaine de volontaires, en situation de précarité ou non, se tient depuis octobre 2022. C’est un lieu de débat pour l’implémentation d’une caisse alimentaire commune. Chaque membre cotise à la caisse librement et selon ses moyens et reçoit l’équivalent de 100 € par mois en monnaie locale créée pour le projet, la MonA. Les membres du comité citoyen de l’alimentation passent un partenariat avec les commerces dans lesquels ils dépensent cette somme pour leurs courses alimentaires : c’est le conventionnement.
En instaurant un comité citoyen de l’alimentation et une caisse alimentaire commune, TàV s’inscrit comme un projet de démocratie alimentaire. Les participants orientent le système alimentaire grâce à leurs décisions, au-delà de l’acte d’achat.
Il s’agit donc dans cette synthèse de s’intéresser à ce que projettent les participants de TàV en termes de changement de pratiques alimentaires à des échelles individuelle et globale. Pour ce faire, nous nous appuyons sur l’observation du comité citoyen, sur des entretiens semi-directifs menés auprès de 13 de ses membres et sur les résultats d’un questionnaire réalisé auprès de 44 membres.
Des membres déjà sensibilisés à la durabilité
Des visions communes autour de l’alimentation
Pour les membres du comité citoyen, l’alimentation évoque tout d’abord l’action physiologique de se nourrir, très souvent associée au plaisir : « J’adore manger, je trouve que c’est important et puis c’est un plaisir, surtout ». Cela recouvre aussi la préparation du repas (80 % utilisent des produits bruts) et le bonheur associé à son partage : « J’aime faire à manger, le temps convivial des repas ». Toutefois, ce temps n’est pas vécu de la même façon chez certaines personnes seules : « J’aime beaucoup cuisiner quand j’ai du monde autour de moi, le quotidien, c’est souvent un plateau repas devant la télé ». En outre, les membres établissent un lien direct entre alimentation et santé : « On m’a appris à bien regarder ce que je mange et faire attention pour ma santé ».
Leur conception de l’alimentation dépasse la dimension purement nutritionnelle et ils y voient un moyen de défendre des valeurs : respect de l’environnement, fonctionnement de l’économie locale. Ainsi, 73 % sont attentifs à la composition des produits et à la présence d’un label bio ou « sans résidu de pesticides ». Pour certains, la socialisation autour de l’alimentation durable s’est réalisée dès l’enfance du fait de leur origine paysanne ou lors de leur parcours professionnel. Chez d’autres, elle s’est imposée comme une évidence avec l’arrivée des enfants
L’alimentation au cœur de l’engagement personnel des membres du comité
Particulièrement engagés dans le secteur associatif, 56 % des membres sont investis dans une ou plusieurs associations contre 40,8 % en moyenne au niveau national (Insee, 2016). Les associations à caractère social sont les plus prisées, suivies des associations environnementales ; certaines sont en lien avec l’alimentation. Qu’ils soient en situation de précarité ou pas, leur vie associative reflète un sens de l’engagement.
Les participants sont en quête de justice sociale « face à la dégringolade du commun, des services publics, de l’accroissement des inégalités. Territoires à VivreS est un projet qui se déploie à contre-sens pour sauver ce qui reste à sauver. Il représente un combat pour moins d’injustice ». La majorité souhaite changer le système alimentaire, « lutter contre la grande distribution qui fait beaucoup de mal » et aider des personnes en situation de précarité alimentaire. Ils veulent construire et expérimenter une nouvelle manière de reprendre le contrôle sur leur alimentation car « une alimentation choisie, équilibrée, doit être accessible à tout le monde ». D’autres avaient déjà un « intérêt existant pour le principe de sécurité sociale alimentaire ».
Circuits de consommation et achats choisis ou imposés par les ressources économiques
Des circuits de consommation différenciés
Les magasins spécialisés et alternatifs (bio, vrac, coopératifs, etc.), qui ne sont pas l’apanage des personnes dotées d’un capital économique élevé, sont les plus fréquentés pour l’essentiel des achats de denrées alimentaires (34 %), suivi des magasins discount (32 %). Pour les fruits et légumes, ce sont les marchés et halles qui l’emportent. De plus, 27 % délaissent les supermarchés et 23 % les commerces de proximité.
Si la majorité des membres partagent des idéaux alimentaires, on peut déceler différents profils de consommation en fonction de critères socioéconomiques. Ainsi, 44 % d’entre eux rencontrent des difficultés pour finir le mois. L’analyse de la situation alimentaire vécue révèle que 42 % des membres ont assez à manger mais pas les aliments de leur choix, 4,5 % n’ont pas assez à manger « souvent », et 4,5 % « parfois ». Et 28 % des membres ont également recours à l’aide alimentaire, dont 16 % de manière hebdomadaire. Pour certains, l’alimentation relève d’un arbitrage délicat : « Je vais dans des Lidl pour certaines choses, après je fais un peu de récup et je bénéficie aussi de l’aide alimentaire ».
La dissonance cognitive causée par la discordance entre un désir de consommation particulier, les lieux fréquentés et les achats réellement accessibles génère parfois un sentiment d’inconfort psychologique (Festinger, 1957) : « J’ai pas le choix ; moi je tendrais à moins fréquenter les supermarchés ».
Des achats alimentaires différenciés
Si les circuits de distribution fréquentés diffèrent selon la situation vécue, il en va de même pour le type de produits consommés, en particulier les produits frais. Alors que 82 % n’éprouvent pas
de difficultés pour accéder à tous les aliments souhaités et consomment quotidiennement des légumes frais, ils ne sont que 44 % à en consommer parmi ceux qui ont assez à manger mais pas de tous les aliments souhaités : « Même si je cours dans toutes les associations, ils donnent presque la même chose : le riz, le couscous, les boîtes de conserves. Alors faut penser à aller sur le marché solidaire, et si on se réveille pas le matin tôt, on trouve rien du tout comme légumes, rien que des périmés ».
Il en va de même pour la consommation de produits issus de l’agriculture biologique : 90 %
des personnes qui peuvent manger tous les aliments souhaités achètent du bio chaque fois qu’elles font leurs courses contre seulement 25 % des personnes qui ne peuvent pas manger tous les aliments souhaités. Un constat similaire peut être réalisé concernant les fréquences d’achat des produits locaux (Figure 1).
Des changements de pratiques alimentaires facilités par l’accès à la caisse alimentaire commune
D’un changement du paysage alimentaire…
Grâce au conventionnement, les membres découvrent de nouveaux lieux d’approvisionnement qui peu à peu se substituent ou complètent les leurs. Ceci modifie alors leur paysage alimentaire, entendu comme ce qui « rassemble les lieux géographiques permettant l’approvisionnement alimentaire des habitants d’un territoire donné : marché, restaurants, commerces, points de vente, etc. » (Urban Food Future, 2020).
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