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Cet article est le deuxième volet d’une série constituant "Les Chroniques Démocratie Alimentaire". Retrouvez le premier volet "Démocratie alimentaire : de quoi parle-t-on ?"
Par Dominique Paturel, Sciences de Gestion, HDR, INRA, UMR 951 Innovation.
- Avril 2019 -
Pour les familles et personnes à petits budgets, l’aide alimentaire reste une réponse importante. Une partie des 5,5 millions de personnes ayant recours à l’aide alimentaire demeure captive de cette façon d’accéder à l’alimentation. Au milieu des années 1990, une nouvelle offre dans l’aide alimentaire s’est mise en place à partir des épiceries sociales. À côté de la traditionnelle distribution du colis, elles amènent un autre discours : ces familles et personnes conservent leur statut de citoyen parce qu’elles achètent leurs produits alimentaires. Le statut de citoyen est alors accolé à celui de consommateur.
À la suite de l’arrêté de la Cour européenne de justice en 2011, le financement européen de l’aide alimentaire se déplace de la Politique Agricole commune (PAC) vers le Fonds Social Européen (FSE). Cet arrêté laisse chaque État gérer cette aide. En France, la profession agricole, absolument silencieuse sur l’alimentation populaire, va revendiquer l’aide alimentaire comme une activité agricole et en 2010, la loi d’avenir pour l’agriculture inscrit celle-ci dans le Code rural. Au final, cela rend visible le rôle de l’aide alimentaire comme filière assignée à gérer les surplus d’une agriculture productiviste. La loi Garot de 2016 sur la lutte contre le gaspillage renforce cette filière dans son rôle. Aucune de ces lois ne vient remettre en question la provenance de ce surplus, et encore moins suggérer un mode de production plus économe des ressources des humains et de la planète.
Une démocratie alimentaire à multi-vitesse
Des franges de la population se sont engagées dans des actions de reprise en main de leur alimentation par le biais des AMAP, des groupements d’achats, des jardins participatifs citoyens , etc. Mais ces initiatives sont dans le registre militant. Du côté des quartiers populaires, depuis 2010, nous assistons à une explosion des expérimentations en direction des quartiers populaires et pour autant, l’enjeu démocratique n’est pas au rendez-vous. Ces initiatives sont portées par des intermédiaires associatifs et publics, pas toujours au clair sur ce qu’est un système alimentaire : à savoir l’ensemble des acteurs concourant à l’alimentation, de la production et la transformation à la distribution (Malassis, 1994). Même si ces intermédiaires se réclament d’une intention de durabilité, on constate des injonctions en direction de ces populations sur ce qui serait le « bon et juste modèle alimentaire ».
Les messages de santé autour de l’obésité, des maladies liées à l’alimentation, la nécessité du lien social par le fait de manger ensemble, de jardiner ensemble, etc., mettent aux oubliettes 40 années de contrat social basé sur la consommation de masse et l’élaboration de cultures et de solidarités socioéconomiques pour résister à l’agressivité de la société contemporaine, régulée par « le tout-marché ». De surcroît, le modèle de développement actuel est basé sur la participation de la population à créer de nouveaux segments de marché. De nouvelles coopérations se fabriquent entre des entreprises de l’économie sociale et solidaire, des associations issues des mouvements d’éducation populaire, des collectivités publiques, des associations caritatives et des entreprises traditionnelles. Ces relations sont souvent le résultat d’alliances qui ont l’intention d’instaurer un nouveau rapport de force face à la puissance des industries agroalimentaires et de la grande distribution à travers des stratégies de contournement ou d’évitement du rapport frontal, perdu d’avance.
Pour autant, il s’agit bien d’un segment de marché à partir duquel est élaboré une « marchandise » en direction des quartiers populaires, basé sur :
– des études concernant les pratiques alimentaires des familles et personnes habitant ces quartiers, leur santé, etc. ;
– du conseil via de l’intermédiation (travail social, éducation populaire, etc.), par exemple pour tenir un budget, apprendre à faire la cuisine, s’approvisionner auprès de producteurs, etc. ;
– des actions (jardinage, atelier cuisine, visite à la ferme, etc.).
La participation de la population est alors un moyen de structuration de ce segment, notamment en entretenant une confusion entre l’autonomie et l’émancipation. Le système productiviste a besoin de la participation de tous pour fabriquer les nouveaux produits alimentaires.
Du paternalisme au pater-nariat
Si l’analyse de ces nouvelles formes socioéconomiques montre la façon dont est en train de se mettre en œuvre la transition alimentaire, elles ne garantissent en aucun cas que la démocratie soit au cœur du processus. Les financements de ces expérimentations sont assurés en grande partie par des subventions publiques morcelées, en provenance de différents ministères et collectivités territoriales, qui financent l’amorçage des projets et jamais leur durabilité et leur viabilité : l’injonction du modèle économique qui doit s’autonomiser est un leitmotiv récurrent.
Les fondations d’entreprises et privées interviennent de façon importante dans l’accompagnement de ces projets et participent au façonnage du modèle de développement en cours. Là encore, les discours basés sur la durabilité de l’alimentation et l’accès à tous sont omniprésents. Du côté de l’aide alimentaire, la diversification des modes d’approvisionnement et des modes de distribution est encouragée en ayant en ligne de mire la baisse des subventions publiques, renvoyant ainsi à la sphère caritative, la gestion de plus en plus normée des flux de personnes aidées et de marchandises.
Nous avons là tous les ingrédients d’une philanthropie modernisée, soutenant un néo-paternalisme en direction des quartiers populaires que nous appelons « pater-nariat » : on est bien loin de la démocratie alimentaire s’appuyant sur des espaces délibératifs à l’échelle des territoires de vie, se préoccupant des liens entre les villes et les territoires ruraux, de la solidarité entre les pays du Nord et du Sud, acceptant la pluralité des composantes de la société et ouvrant sur la déconstruction des rapports de genre et des cadres de pensée qui ont construit le modèle de développement actuel. Il est encore trop tôt pour faire un bilan plus étayé des changements en cours mais pour l’instant, force est de constater qu’il n’y a pas vraiment d’alternative au marché, ni de projet utopique comme un accès à une alimentation gratuite et égalitaire, intégrant le souci des générations futures, équitable pour les acteurs du système alimentaire : une sécurité sociale de l’alimentation.
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Dominique Paturel