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Marion Treboux 

La société coopérative d’intérêt collectif Graines Équitables

MOTS-CLÉS : ACTION COLLECTIVE, DIVERSIFICATION, GRANDES CULTURES, FRICHES, TERRITOIRE

La spécialisation agricole des territoires a été un élément clé de la politique agricole après la seconde guerre mondiale, permettant un gain global de productivité et une alimentation accessible au plus grand nombre. Ce modèle montre à présent ses limites, notamment pour les territoires viticoles du Languedoc-Roussillon : fragilité accrue aux aléas du marché et aux aléas climatiques, pression peu soutenable sur l’eau et la biodiversité. Face à ce constat, une piste est la diversification des cultures. La démarche de la société coopérative d’intérêt collectif Graines Équitables constitue une expérience précieuse pour appréhender les possibilités et contraintes d’une telle diversification.

LA DÉPRISE AGRICOLE DANS UN TERRITOIRE VITICOLE : FAIRE ÉMERGER DES ALTERNATIVES POUR LUTTER CONTRE LES FRICHES

Le Minervois, un espace viticole méditerranéen qui se transforme

Le Minervois, région naturelle située à cheval entre l’Aude et l’Hérault en Occitanie, se caractérise par un sol argilo-limoneux peu profond et pauvre en matière organique, ainsi qu’un climat méditerranéen sec. Le paysage est structuré par l’agriculture qui constitue le cœur de l’activité économique. L’essentiel des exploitations agricoles ont pour activité principale la viticulture.

Depuis le début des années 2000, le territoire est marqué par une crise viticole qui a conduit à l’arrachage de plus de 20 % des vignes initialement présentes en 1970 dans le Languedoc. Dans le même temps, le secteur s’est transformé et près d’un tiers des exploitations viticoles sont passées en production biologique. Cette crise s’est aussi traduite par la perte de la moitié des exploitations entre 1990 et 2010. La transformation du secteur viticole reste d’actualité en 2023 avec des difficultés à écouler le vin, l’offre excédant la demande du marché (Girard, 2023).

L’arrachage définitif des vignes entraîne un essor des friches agricoles. Stigmates de la perte de dynamisme économique, celles-ci sont aussi perçues comme une atteinte au patrimoine paysager et à l’attractivité touristique. Enfin, dans un contexte de changement climatique, la multiplication des friches est un facteur de vulnérabilité au risque incendie (Arnal et al., 2013).

Des agriculteurs engagés dans l’expérimentation collective de systèmes de cultures céréaliers diversifiés en agriculture biologique

Dans ce contexte, un collectif d’agriculteurs se constitue au début des années 2010 pour imaginer comment remobiliser une partie de ces friches, d’abord en cultivant des céréales. Or, au regard du sol pauvre et du climat aride, la culture conventionnelle de céréales présente un rendement trop faible pour assurer une viabilité économique. Il s’agit donc de trouver un système de cultures adapté aux contraintes du milieu avec des productions offrant un débouché rémunérateur pour compenser les faibles rendements. Ce collectif explore alors les options de systèmes de grandes cultures diversifiées en agriculture biologique avec pour principes clés l’adaptation au contexte local et l’autonomie en intrants. Le premier principe est de connaître au mieux le sol mais aussi les conditions climatiques et d’adapterles cultures et les pratiques. Ce groupe d’agriculteurs expérimente donc des systèmes de grandes cultures diversifiées avec des rotations longues, caractérisés par un assolement de légumineuses (principalement la luzerne), ainsi que par une large gamme de céréales dites mineures (petit épeautre, sarrasin, khorasan, orge, blés de population, etc.). Enfin, le groupe développe aussi les cultures en mélange. Elles favorisent la protection des cultures contre les ravageurs et maladies et garantissent de meilleurs rendements (Li et al., 2023). Les agriculteurs se rencontrent sur un mode informel et convivial, échangent sur leurs « gamelles » et leurs succès. L’approche est évolutive et pragmatique : des principes mais pas de modèle standard ! Cette démarche d’expérimentation constitue l’un des ferments du groupe. Le second principe consiste à réduire les charges de mise en culture, notamment l’achat d’intrants (semences commerciales, engrais, produits de traitement), mais aussi le temps de travail et les coûts de mécanisation : « On optimise tout », témoigne l’un des agriculteurs.

LA STRUCTURATION DE FILIÈRES LOCALES EN AGRICULTURE BIOLOGIQUE COMME PROJET COOPÉRATIF ET DE TERRITOIRE

Ces nouveaux modèles de cultures sont particulièrement diversifiés, intégrant des variétés anciennes et certaines productions récoltées en mélange. Leur déploiement implique cependant de repenser l’ensemble du système agricole, y compris l’aval. La structuration de l’aval doit dépasser les contraintes suivantes : le triage des productions récoltées en mélange, le conditionnement, le stockage en petits lots de productions diversifiées ; et elle doit garantir la sécurisation de débouchés rémunérateurs.

Une société coopérative d’intérêt collectif pour structurer les acteurs autour d’un projet de transformation du territoire

En 2014, pour répondre au besoin de structuration de l’aval du système agricole, ce groupe d’agriculteurs engagés dans la diversification en grandes cultures et le Biocivam de l’Aude (le Biocivam 11 est l’association des producteurs bio de l’Aude) créent une société coopérative d’intérêt collectif (Scic). C’est un format de société coopérative dont la spécificité est de servir un projet collectif doté d’une utilité sociale. En pratique, différentes catégories d’acteurs qui ont des intérêts convergents construisent un projet de territoire ou de filière. L’intérêt collectif se traduit par un sociétariat hétérogène (c’est-à-dire au moins trois collèges de sociétaires représentant chacune des parties prenantes du projet) et une lucrativité limitée (le statut de la Scic obligeant à réinvestir ou mettre en réserve l’essentiel des excédents). Enfin, le respect des règles coopératives (une personne = une voix) s’applique au sein de chaque collège.

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