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Nicole Darmon, Inrae
Dominique Paturel, Inrae, Collectif Démocratie Alimentaire
- Mars 2021 -
Leclerc propose un panier alimentaire équilibré à 21€/semaine pour les personnes à petits budgets : réactivité et mise en œuvre concrète. Doit-on y voir une alternative crédible à un système d’aide alimentaire dépassé et aux atermoiements stériles de l’État en termes de lutte contre la précarité alimentaire ? Contrairement à l’aide alimentaire, l’offre promotionnelle de Leclerc est immédiatement accessible à tous, sans exigence administrative particulière, et en proximité. Cela semble bien être une réponse plus visible et plus lisible que celle des pouvoirs publics qui se résume à déléguer le problème de la précarité alimentaire au secteur caritatif à coups de subventions. Seuls petits détails : le colis est pré-pensé, les produits sont tous emballés, fruits et légumes compris.
Si nous pensions que la crise sanitaire allait permettre de changer la façon de penser les réponses aux inégalités flagrantes en matière de besoins essentiels, cette réponse emblématique d’un acteur de la grande distribution nous montre que oui, les choses vont changer, mais en pire. Nous pouvons comprendre que la période actuelle nécessite de trouver des solutions concrètes pour les familles et personnes qui sont privées de revenus. Mais comment comprendre qu’il n’y ait aucune écoute, aucune proposition qui reconnaisse que le problème de ces familles est d’abord et avant tout le manque de revenu et non l’incapacité à savoir se nourrir.
La France, pays qui devrait être celui des Droits Humains, a comme seule proposition face à la montée des inégalités d’accès à l’alimentation durable, celle de l’aide alimentaire et non la reconnaissance d’un droit garantissant un accès universel à une alimentation protectrice de la santé : celle des humains, celle des animaux et de la planète.
La caractéristique de cette inégalité est banalisée et rend opaque les rapports de classe. Elle devient visible dès que nous faisons un pas de côté en adoptant la position de « mangeur » en lieu et place de celle de « consommateur ». Les politiques sociales et sanitaires généralisent ces inégalités par la désignation d’une population dite vulnérable et à laquelle on destine des dispositifs assistanciels spécifiques. Le présupposé repose sur une conception libérale de la solidarité basée sur une approche néo-paternaliste. Les cadres de pensée qui ont servi à sortir la France de la faim d’après-guerre, sont les mêmes qui permettent aujourd’hui de s’accommoder d’une situation qui devrait révolter tout un chacun et chacune.
L’enjeu démocratique actuel est celui de discuter dans les arènes publiques de la définition des besoins : on ne peut accepter que ceux-ci soient construits uniquement par un des acteurs puissants du système alimentaire (la GMS) et un État qui soutient une solidarité caritative et non démocratique. Tant que ne seront pas reconnus d’une part les besoins des citoyens et d’autre part la nécessité d’un accès égalitaire, solidaire et libre, garanti par un droit à l’alimentation durable, on laissera libre cours à des réponses qui continueront à assigner une partie de la population à manger ce que les acteurs du système agro-alimentaire ont décidé à leur place : aujourd’hui ce sont les familles et personnes à revenus économiques faibles et très faibles, dont les étudiants et étudiantes, les personnes âgées mais aussi les salariés des secteurs sinistrés comme la restauration et le tourisme.
Un modèle de protection sociale avec un accès égalitaire et libre à une alimentation reconnectée aux conditions de sa production, s’impose. Il s’agit de reprendre la main sur le(s) système(s) alimentaire(s) par l’ensemble des habitants en France et d’être dans des conditions démocratiques pour le faire.
(Photo par Xavier Cabrera sur Unsplash)