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L’optimisme du vivant

Par Nicolas Bricas

Juillet 2024

Dans une ambiance nationale et internationale chargée d’incertitudes - c’est le moins que l’on puisse dire ! -quelques avancées scientifiques donnent de l’espoir. Non pas que ce soit la science qui apporte toutes les solutions aux défis du monde, mais certaines recherches ouvrent depuis quelques années des perspectives optimistes.

On pense ici à la multiplication des publications sur la sensibilité et l’intelligence des animaux, et pas seulement des mammifères, mais aussi des plantes, et pas seulement des arbres. Si certaines d’entre elles tentent, dans une approche anthropomorphiste, de comparer ces intelligences à celles des humains, bien d’autres, et c’est là leur intérêt, révèlent des formes différentes, singulières, incomparables de sensibilité et d’intelligence. On pense ici aux chercheurs comme Baptiste Morizot, Emmanuele Coccia, Vinciane Despret ou à notre collègue du Cirad Jacques Tassin.

On peut citer également les avancées sur le rôle joué par les microbes, tant dans les sols, les aliments, que dans nos ventres, comme nous l’avions abordé dans l’édition 2019 de notre colloque annuel (« Manger le vivant »). Toutes ces nouvelles approches sur notre position dans la biosphère invitent, chacune à leur manière, à penser autrement nos relations aux vivants non humains, mais aussi, par conséquent, nos relations entre humains.

Les études sur les intelligences humaines vont dans le même sens. Comme par exemple celles en neuroscience et sciences cognitives sur les états de transe, initiées par des scientifiques mobilisés par Corine Sombrun ; celles menées plus largement sur les états de conscience modifiée ; ou encore les travaux de l’anthropologue Charles Stépanoff sur les formes de mobilisation de l’imagination dans différentes cultures. Tous appellent à relégitimer les intelligences du sensible, par opposition aux intelligences du raisonnement, ouvrant la voie à mieux comprendre – ou plutôt « saisir », comme pourraient dire certains chasseurs qu’étudie C. Stépanoff – les vivants non humains.

Dans un cas comme dans l’autre, ces « découvertes » scientifiques conduisent à penser autrement nos relations dans la nature. Nous n’en sommes pas extraits, hors de la forêt et du sauvage, distincts par notre culture et nos « civilisations ». Renoncer aux impératifs écologiques contribue ni plus ni moins à scier la branche sur laquelle sont assis les agriculteurs et, par-delà, nous-mêmes : le vivant. Ne pas l’entretenir et chercher à s’en extraire est une impasse. Et il faut d’ailleurs s’interroger sur la façon dont les propositions de révolution alimentaire, celles de la génétique, du numérique et de la robotique, ou encore celles de l’alimentation sans agriculture traitent de la question du rapport au vivant. Nous n’en sommes qu’un élément, certes très perturbateur, qui ne peut avoir la prétention ni de l’exploiter à notre profit, ni de le protéger. Il s’agit plutôt d’apprendre à négocier notre place dans la biosphère. Et c’est bien là l’une des fonctions de l’alimentation : nous relier aux animaux, aux plantes, aux microbes, aux paysages. C’est ce que nous avions commencé à explorer lors d’un autre colloque annuel « Alimentation et biodiversité : se relier dans la nature ».

Et certes s’il y a reculades sur les politiques environnementales, ces résultats scientifiques constituent des avancées, à contre-courant, pour un avenir plus écologique, qu’on le veuille ou non. Et le pas de côté auquel ils invitent est une véritable bouffée d’oxygène dans une période où nous en avons bien besoin. C’est avec cet optimisme que la Chaire entamera sa rentrée. Profitez de la pause estivale pour vous ressourcer dans ces lectures ou ces vidéos. Bon été !