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Marguerite Bardin-Wood 

L’agriculture contractuelle de la Compagnie des amandes

Alors que la relocalisation est vue comme l’une des solutions pour améliorer la durabilité de notre système alimentaire – à condition de viser l’amélioration de l’empreinte environnementale et sociale (Bricas et al., 2021) –, de nombreux freins s’opposent à sa généralisation. Lier agriculteurs et industriels dans une relation contractuelle est un moyen de sécuriser les débouchés d’une part et les approvisionnements d’autre part, ce qui facilite l’investissement et la prise de risque. Nous étudierons l’exemple de la Compagnie des Amandes (LCA), qui présente des spécificités innovantes, et analyserons la pertinence du modèle développé dans le cas particulier de la filière amande en France.

LES FILIÈRES AGROALIMENTAIRES PEINENT À S’ADAPTER AUX CHANGEMENTS

L’agriculture moderne française est fortement spécialisée, caractéristique d’un âge agro-industriel abouti (Malassis, 1997). Des filières répondent à la demande nationale et exportent une large part de leur production : la moitié du blé produit est exporté, par exemple. D’autres ont fortement décliné, suite à la disparition de tout ou partie de la chaîne de production, et ont été supplantées par des importations. Les filières dominantes bénéficient d’un écosystème complet : fournisseurs d’intrants, organisations de producteurs, coopératives ou entreprises transformatrices, négociants, etc. Chaque maillon, après le maillon agricole, est concentré entre les mains de quelques acteurs seulement. Cette organisation permet d’obtenir productivité et économies d’échelle mais induit une importante inertie. Des verrouillages sociotechniques freinent ainsi des adaptations rapides aux changements du contexte environnemental, social et économique.

Or, les filières agroalimentaires doivent s’adapter, tout d’abord face aux risques environnementaux. L’agriculture offre certes des solutions aux enjeux climatiques, notamment la captation du carbone et la production de biomasse, alternative aux ressources fossiles, mais une évolution des pratiques techniques est nécessaire. Ensuite, cette adaptation est nécessaire au regard des impacts environnementaux et socioéconomiques négatifs générés par l’agro-industrialisation, de l’évolution des habitudes alimentaires, ainsi que de la recherche d’une plus grande « souveraineté alimentaire ». Ces nécessaires évolutions doivent amener à penser différemment les filières agricoles et à les réorganiser, à l’échelle locale, régionale ou nationale. La relocalisation des productions aujourd’hui importées pourrait réduire l’empreinte environnementale et améliorer la traçabilité et la qualité des produits. Elle peut aussi soutenir la diversification des productions agricoles, les rotations de cultures et une alimentation variée et équilibrée.

Pourtant, développer une filière agricole en partant de rien ou presque est un défi à de nombreux égards. Une culture peu développée manque de connaissances, de compétences, de semences, de machines dédiées. L’installation ou la conversion d’agriculteurs est particulièrement complexe. Des investissements importants et risqués sont requis à tous les niveaux de la chaîne. Dans ce contexte, émergent des initiatives parfois très novatrices pour dépasser les freins.

LA FILIÈRE AMANDE EN FRANCE : UNE OPPORTUNITÉ DE RELOCALISATION

L’amandier est une culture méditerranéenne millénaire ancrée dans le paysage et la cuisine provençaux.
Pourtant, cette culture a été peu à peu délaissée en France, remplacée par d’autres, plus rentables. Le déficit entre la consommation et la production se creuse depuis les années 1970. Entre 2011 et 2021, la France ne produisait que 3 % de sa demande (Figure 1).

Les amandiers ont vieilli et les outils traditionnels de casse, dépassés, ont disparu. Les rendements sont limités (autour de 500 kg/ha) et seuls quelques outils de transformation existent. Les amandes françaises sont destinées à la vente directe et à la confiserie artisanale. La demande en France a cependant crû de 5 % par an entre 2011 et 2021 : l’amande est un aliment nutritif et gourmand qui répond à la tendance du « snacking » et à la recherche d’une alimentation plus saine et plus variée.

C’est la Californie qui a développé une production industrielle et compétitive et fourni
un marché mondial en expansion, surtout depuis les années 1990. Elle a exporté plus de 700 000 tonnes en 2020 et 2021, ce qui représente dix fois le volume du second exportateur, l’Australie ; sa production continue d’augmenter de 2 % par an entre 2011 et 2021. En Europe, l’Espagne est également un producteur significatif, mais exporte peu.

La production californienne soulève de nombreuses inquiétudes environnementales. Les vergers sont conduits en monoculture intensive sur de très grandes surfaces, gourmandes en eau et en intrants chimiques, alors que la région souffre d’une diminution de ses ressources en eau douce. Cette problématique pourrait bientôt affecter la production. La croissance de la demande et le plafonnement de la production californienne pourraient soutenir le cours mondial de l’amande.

Il y a une opportunité de marché à haute valeur ajoutée, qui recherche une amande d’origine France, traçable, aux impacts minimisés et d’une bonne qualité (calibre, régularité, sécurité sanitaire, goût). Le sud de la France présente des conditions favorables à l’amandiculture. Le réchauffement climatique réduit les risques de fort gel en hiver (mais il a l’inconvénient d’encourager une floraison précoce, exposant les fleurs à des gels tardifs, en mars et avril). La culture de l’amandier, pérenne, ligneuse et relativement peu exigeante, est intéressante dans un contexte d’efforts de captation de carbone, à condition d’éviter les excès des méthodes de culture américaines. Elle pourrait partiellement remplacer des cultures en difficultés, commela viticulture et la culture du cerisier. Sa récolte tardive et la relative simplicité de récolte, de stockage et de transformation sont également des atouts. C’est un fruit sec : une récolte mécanisée de la totalité de la production d’un arbre peut être faite en un passage et les amandes une fois séchées peuvent être conservées longtemps.

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