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Auriane Lamy et Coline Philip 

Industries agroalimentaires en France et biodiversité

MOTS-CLÉS : BIODIVERSITÉ, INDUSTRIE AGROALIMENTAIRE, RSE, DURABILITÉ

Contraction de « biologique » et « diversité », le terme biodiversité est apparu en 1986. C’est un terme dit polysémique, c’est-à-dire qu’il existe des quantités de manières de concevoir la biodiversité, de s’en préoccuper et de la gérer. La définition retenue ici est « la variabilité des organismes vivants de toute origine […] et les complexes écologiques qui en font partie ; cela comprend la diversité au sein des espèces et entre espèces, ainsi que celle des écosystèmes ». Cette définition est celle de la Convention sur la diversité biologique signée lors du sommet de la Terre à Rio de Janeiro en 1992. L’extinction des espèces est un processus naturel, caractéristique de l’évolution du vivant. Cependant, le rythme d’extinction actuel est tellement rapide que les scientifiques parlent d’effondrement massif de la biodiversité. En effet, le taux de disparition des espèces est aujourd’hui 10 à 100 fois supérieur au taux d’extinction naturel (10 espèces perdues par an pour 1 million d’espèces) : la limite planétaire de l’érosion de la biodiversité a été dépassée (Rockström et al., 2009).

Neuf limites planétaires ont été définies par des chercheurs internationaux, conduits par le chercheur suédois Johan Rockström, du Stockholm resilience center. Si ces limites sont dépassées, le fonctionnement du « système Terre » est déstabilisé de manière irréversible (Figure 1). Ainsi, concernant la biodiversité, les auteurs affirment avec certitude que la Terre ne peut pas maintenir le rythme de perte actuel sans une dégradation significative de la résilience des écosystèmes compromettant in fine les activités et la vie humaines.

Le facteur direct ayant le plus fort impact néfaste sur la biodiversité est le changement d’utilisation des terres, suivi par l’exploitation directe (la surexploitation des animaux, des plantes et d’autres organismes) puis par le changement climatique. La forme la plus répandue de changement d’utilisation des terres est l’expansion agricole, suivie de l’exploitation forestière et de l’urbanisation, qui sont toutes associées à une pollution de l’air, de l’eau et des sols (Díaz et al., 2019). L’agriculture est la principale cause de la déforestation dans toutes les régions du monde, à l’exception de l’Europe, où l’urbanisation et le développement des infrastructures ont contribué de manière plus importante à ce phénomène

Quels sont les liens entre industries agroalimentaires (IAA) et biodiversité ? Quelles sont les initiatives mises en place par ces industries pour limiter leur impact ? Comment communiquer ces bonnes pratiques au consommateur ? Ce sont des questions auxquelles nous allons tenter de répondre dans cette synthèse.

LA BIODIVERSITÉ DANS LES SYSTÈMES ALIMENTAIRES

L’industrie agroalimentaire est le premier secteur industriel en France, aussi bien en termes d’emplois
que de chiffre d’affaires. Elle se caractérise par une grande diversité d’activités : collecte, stockage de produits agricoles et transformation. Au niveau de la transformation, elle réalise principalement deux types d’interventions. Le démontage, qui vise à décomposer la matière première, par exemple la meunerie qui donne de la farine, et l’assemblage, qui vise à fabriquer un produit fini à partir de plusieurs ingrédients, par exemple les biscuiteries. Les industries agroalimentaires françaises transforment 70 % de la production agricole française et produisent 80 % des produits alimentaires consommés en France (ANIA, 2021).

Les principaux impacts sur la biodiversité d’un produit alimentaire sont en lien avec les pratiques agricoles. En effet, d’après l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), l’étape de production agricole représente en moyenne 84 % des impacts environnementaux de la vie du produit fini (ADEME, 2022). De plus, la standardisation des procédés industriels nuit à la diversité des variétés végétales cultivées. Les outils de transformation exigent un calibrage précis des matières premières agricoles et des qualités sanitaires et nutritionnelles constantes.

Agriculture et biodiversité, une forte interdépendance

En France, plus de 50 % du territoire est consacré à l’agriculture (OFB, 2023). En agriculture, la
biodiversité désigne à la fois ce qui entoure les cultures (mares, haies, forêts, prairies, air, eau, etc.) et les cultures elles-mêmes. La biodiversité n’est pas seulement quelque chose d’extérieur aux systèmes agricoles, elle concerne ce qui est cultivé et ce grâce à quoi c’est cultivé (pollinisateurs par exemple). Ces deux notions trop souvent distinguées se regroupent dans la biodiversité. L’intégration de la biodiversité dans les modes de production consiste donc à analyser la diversité du vivant qui dépend de l’agriculture ainsi que la diversité du vivant dont dépend l’agriculture (Parlos et De Gabrielli, 2023). Ces relations d’interdépendance fortes sont représentées sur la figure 2.

Les méthodes de production agricoles, un facteur clé pour la biodiversité

En fonction des méthodes de production, l’agriculture est susceptible d’avoir des effets bénéfiques ou néfastes sur la biodiversité. Les petites exploitations (moins de 2 hectares) aident généralement
à conserver une riche agrobiodiversité2. Elles occupent un quart des terres agricoles et représentent environ 30 % de la production végétale et de l’approvisionnement mondial en termes caloriques. À l’inverse, l’agriculture intensive dite conventionnelle – le modèle dominant en Europe – a fait augmenter la production alimentaire au détriment des contributions régulatrices de la nature (Díaz et al., 2019). Cette méthode de production est basée sur le recours massif aux intrants (engrais et pesticides de synthèse), l’intensification et la spécialisation des territoires
(Mamy et al., 2022).

Des visions différentes à l’échelle du paysage agricole

Des débats existent sur les actions à mettre en place dans le milieu agricole pour préserver la biodiversité, et trois logiques sont proposées :

  • la séparation entre terres cultivées et biodiversité naturelle, appelée land sparing. Cette logique prône une agriculture intensive avec une biodiversité réduite dans les parcelles
    cultivées. L’avantage est d’augmenter le rendement à l’hectare : cette agriculture permet d’occuper moins de surface et donc de préserver de plus vastes espaces naturels. Cette conception sous-entend un antagonisme entre biodiversité et agriculture, chacune ne pouvant se développer que dans des espaces séparés ;
  • le concept dit de land sharing, la « conciliation » entre terres cultivées et biodiversité naturelle. Dans ce cas, l’agriculture dite extensive est prônée, les parcelles cultivées sont partagées entre la culture, la flore et la faune locale (Stoop et al., 2022)
  • l’intensification des rendements à l’hectare en maximisant les services écosystémiques rendus. Cette proposition se trouve à la croisée des chemins entre la « séparation » et la « conciliation ». Selon ce concept, l’intensification est indispensable, car sans elle, davantage de surfaces agricoles sont nécessaires pour nourrir le même nombre de personnes, à régime alimentaire équivalent. L’agriculture extensive améliore la biodiversité au sein des parcelles cultivées mais laisse aussi moins de place aux espaces naturels, qui hébergent une faune et une flore plus riches que toute parcelle cultivée, même en extensif. Néanmoins, l’intensification ne doit plus être associée à l’emploi d’intrants (engrais et pesticides de synthèse), ni à une simplification des paysages agricoles. Cette logique cherche donc à promouvoir des pratiques agricoles qui limitent les impacts sur la biodiversité en maximisant les services écosystémiques et qui soient économiquement acceptables pour les agriculteurs. Une cohabitation doit être gérée et des compromis négociés entre objectifs de production agricole et objectifs de préservation de la biodiversité. Cette troisième approche associe une vision de protection et une vision utilitariste de la biodiversité. Elle fait donc le pari que des synergies entre biodiversité et agriculture peuvent être valorisées et développées (Barbault et al., 2009).

Des solutions pour la biodiversité à l’échelle de l’exploitation agricole

L’agriculture conventionnelle est l’une des principales contributrices à l’érosion de la biodiversité en France, pour trois raisons majeures. La première est l’usage des pesticides et des engrais de synthèse. L’utilisation des pesticides dans les zones agricoles est l’une des causes principales du déclin des invertébrés terrestres, dont des insectes pollinisateurs et des prédateurs de ravageurs (par exemple, les coccinelles), ainsi que des oiseaux.

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