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MOTS-CLÉS : DROIT À L’ALIMENTATION, EXPÉRIMENTATION, DÉMOCRATIE PARTICIPATIVE, PRÉCARITÉ, SOLIDARITÉ
Depuis une vingtaine d’années, la démocratie participative formalise un renouveau politique de nos sociétés occidentales. Sa promesse ? Remettre les citoyens au cœur de la décision politique pour qu’ils y aient un accès immédiat, en complémentarité avec le modèle actuel de la démocratie représentative, qui est la délégation du vote des citoyens par l’élection de représentants. Les théories de démocratie participative soutiennent que celle-ci permet aux citoyens de porter leurs voix (dont celles des minorités) de manière plus directe, en plus d’avoir une influence sur le processus décisionnel : ils sont inclus dans le processus politique. Par ailleurs, la participation engendrerait des compétences civiques chez les citoyens et conduirait à des décisions rationnelles basées sur un raisonnement public, ce qui renforcerait l’adhésion. Autant de vertus qui ont conduit la participation citoyenne à se répandre à travers le monde : en 2020, l’OCDE recense plus de deux cent cinquante expériences de démocratie participative (Blondiaux, 2021).
La démocratie participative peut prendre différentes formes : concertations, forums, jurys, référendums, budgétisations participatives, etc. En France, la genèse de la démocratie participative a eu lieu tout d’abord à l’échelle territoriale dans le domaine de l’aménagement urbain. Elle s’est plus récemment étendue au niveau national, en s’emparant de questions éthiques, à l’instar de la Convention citoyenne pour le climat. Depuis peu, la démocratie participative commence à aborder le sujet de la précarité alimentaire, pour repenser le système d’aide alimentaire français. En effet, ce dernier est dépassé par le nombre de personnes dans le besoin et propose une alimentation de qualité variable ne répondant pas toujours aux besoins ni à l’envie des personnes.
Dans l’idée de réfléchir à un système alimentaire plus équitable, l’expérimentation Territoires à VivreS (TàV) à Montpellier vise un accès digne à une alimentation de qualité pour tous, tout en soutenant des filières solidaires et durables. Pour ce faire, un comité citoyen composé d’une cinquantaine de volontaires, en situation de précarité ou non, se tient depuis octobre 2022. C’est le lieu de débat pour l’implémentation d’une caisse alimentaire commune. Chaque membre cotise à la caisse librement selon ses moyens et reçoit l’équivalent de 100 € en monnaie locale créée pour le projet, la MonA. Les membres du comité citoyen de l’alimentation passent un partenariat avec les commerces dans lesquels ils dépensent cette somme pour leurs courses alimentaires : c’est le conventionnement. À l’aune de cette expérimentation, nous cherchons à comprendre dans quelle mesure ces personnes peuvent être incluses dans les démarches de démocratie participative sur l’alimentation durable, tout en explorant ce que cela peut leur apporter.
Des personnes exclues de la participation citoyenne
L’organisation d’assemblées citoyennes pose deux problèmes fondamentaux. Un premier concerne les participants, leurs profils et la manière dont ils en sont venus à participer : qui sont-ils ? Comment ont-ils été intégrés à ces assemblées ? Un second, tout aussi important, concerne la forme des séances et la manière dont elles sont organisées : qui pose les questions à qui ? Comment ces questions sont-elles formulées ? Quel est le mode de prise en compte des interventions des citoyens ? Autant d’interrogations nécessitant un véritable travail de préparation et d’animation en amont des séances.
Gilli (2018) alerte sur le fait que de nombreuses démarches de participation citoyenne servent plutôt un marketing territorial, en excluant certaines catégories de la population. Par exemple, l’issue des débats est décidée à l’avance, la parole est monopolisée par les animateurs et experts qui définissent eux-mêmes les questions. Les participants sont bien souvent des personnes blanches, diplômées et de plus de 65 ans. Une telle organisation des débats ne rend pas accessible la participation citoyenne à des populations éloignées de la politique et de la prise de parole en public. Les personnes les plus vulnérables en sont souvent écartées, bien que citoyennes comme les autres. Comme Braconnier et Mayer (2015) le soulignent, « l’inégalité sociale génère une inégalité politique » : un capital social et culturel suffisant est nécessaire lorsque l’on souhaite exprimer son opinion. Mais les personnes en situation de précarité et les bénévoles des associations d’aide sociale peuvent parfois en manquer. Même si la précarité recouvre de multiples trajectoires, elle résulte bien souvent en un isolement social qui conduit à un éloignement de la vie politique. La précarité favorise ainsi l’abstention et la non-inscription sur les listes électorales (Braconnier et Mayer, 2015).
Or, selon Rosanvallon, tout un pan de la population se sent victime d’une « mal-représentation », la démocratie actuelle ne permettant pas de les représenter (Dogan, 2014). Cette distanciation de la politique provoque une certaine désillusion et de la défiance envers celle-ci. Ce phénomène encourage alors la mise à distance des personnes en situation de précarité de la participation citoyenne. La fracture sociale entre les classes se creuse encore un peu plus, entre les plus aisées qui sont en capacité de prendre part aux débats citoyens et les plus précaires qui ne s’y sentent pas bienvenues.
Des représentations faussées de la précarité alimentaire
Par ailleurs, des représentations faussées qui stigmatisent les personnes vivant une situation de précarité circulent dans la société. La seule chose qui les intéresserait par rapport à l’alimentation serait le prix des produits, afin qu’il soit le plus bas possible. La qualité, l’impact environnemental et social de l’alimentation ne les préoccuperaient pas. Avec ces préjugés, vient la conviction que ces personnes « ne savent pas » comment s’alimenter sainement et durablement, et que les classes plus aisées sauraient mieux qu’elles. Cette approche élitiste sous-entend une hiérarchie des besoins : on remplit son ventre peu importe comment, sans regarder la qualité des produits, pourvu que l’on mange. Or, les connaissances alimentaires de ces publics ne sont pas différentes de celles des autres classes sociales. Brocard et al., (2022) mettent en exergue que les classes populaires aspirent à une alimentation saine, de qualité et durable, comme les autres. Au
sein du comité citoyen de TàV, les citoyens, toutes classes confondues, ont déclaré vouloir manger des produits frais et bio pour prendre soin de leur santé et de l’environnement. Cependant, ils sont parfois fortement contraints par l’aide alimentaire, qui ne leur laisse pas le choix de leur alimentation, comme témoigne cette femme qui en dépend : « Oui, je pense que je m’alimente pas très bien. Pas suffisamment de légumes, c’est sûr […]. J’aimerais manger mieux que ça ».
Enfin, les personnes vivant des situations de précarité sont souvent vues comme subissant passivement leur précarité, comme des bénéficiaires de dons et d’aides sociales ou encore comme des « assistés ». Ces représentations les enferment dans un rôle dans lequel elles sont perçues comme impuissantes, spectatrices et dépendantes du bon vouloir de l’État, des associations ou de classes plus aisées. Ces préjugés sont tellement diffus dans la société que les personnes en situation de précarité elles-mêmes peuvent aller jusqu’à intégrer ces jugements. Ne voulant pas y être associées, cela peut les conduire à ne pas recourir aux aides sociales auxquelles elles ont droit. Ces représentations sont par ailleurs criantes dans l’organisation même de l’aide alimentaire : les personnes n’ont pas accès
à une alimentation choisie mais contrainte, ce qui porte atteinte à leur dignité. Bonzi (2019) caractérise ce phénomène par le terme de violences alimentaires, qui englobe toutes « les atteintes physiques et morales faites à celle ou celui qui doit faire la queue pour pouvoir se nourrir dans un pays où la nourriture est abondante ». De fait, la structure même de l’aide alimentaire traditionnelle dépossède les personnes de leur pouvoir d’action et de leur parole.
Au préalable : une organisation pratique mais cruciale
Instaurer une démarche claire et transparente
L’intention démocratique de la démarche doit être posée dès le début de sa mise en place. Les règles du débat ainsi que ses objectifs doivent être clairs pour tous et les participants doivent savoir à l’avance à quoi ils vont contribuer. À l’inverse des processus de participation citoyenne évoqués précédemment, l’issue des débats ne peut être prédéfinie. Les citoyens doivent donc être assurés que leur travail sera pris en compte et aura un impact sur l’issue du processus : c’est la reddition des comptes. Enfin, une fois les débats commencés, les personnes doivent recevoir un retour au fur et à mesure de l’avancée de leur travail, de même qu’à la fin de la démarche.
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