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De l’aide alimentaire à l’aide humanitaire, récit d’un dérapage social (Dominique Paturel)

Dominique Paturel est chercheuse en Sciences de gestion à l’INRAE à l’UMR Innovation, membre du Laboratoire d’Innovation Sociale par la Recherche-Action (LISRA) et membre du Collectif Démocratie Alimentaire.

- Mai 2020 -

Les données de cet article reposent essentiellement sur les informations dans la presse nationale, régionale accessibles sur internet. Ces informations ont été triangulées par des interviews auprès d’associations et les sites officiels soit des institutions, soit du Ministère de l’agriculture et de l’alimentation, soit du Ministère de la solidarité et de la santé.

Cet article a également été publié sur le site utaa.fr

La décision de confinement annoncée le lundi 16 mars 2020 en soirée est mise en place à partir du mardi 17 mars à midi. Les activités s’arrêtent immédiatement et l’ensemble de la population, en état de sidération, s’exécute. Des files d’attente se forment devant les supermarchés. Rien de tout cela n’appartient à notre mémoire depuis 70 ans.

La décision de fermer les marchés de plein vent met en difficulté, d’une part, les agriculteurs dont la voie de commercialisation essentielle est le circuit direct, et d’autre part, une partie des habitants ayant l’habitude de s’approvisionner via ce moyen, dont un certain nombre de quartiers populaires urbains et des habitants ruraux.

En outre, les services publics ferment et il faudra une quinzaine de jours (voire trois semaines dans certains quartiers des grandes villes) avant qu’ils trouvent une organisation.

L’accès à l’alimentation des familles à petit budget

La question de l’accès à l’alimentation se pose rapidement pour plusieurs raisons :

  • la première est double : il y a très vite une rupture de stock pour les produits alimentaires dits de première nécessité (pâtes, riz, farine) vendus dans les grandes et moyennes surfaces au premier prix, et la seule solution est de s’approvisionner avec des produits plus chers. Soit les familles les achètent quand même, par peur de manquer, et ainsi vont se retrouver sans ressource plus tôt dans le mois. Soit elles ne peuvent pas les acheter et elles vont se retourner vers la distribution de l’aide alimentaire alors que pour certaines familles, cela ne faisait pas ou peu partie de leur façon d’accéder à l’alimentation.
  • la deuxième est la fermeture de centres de distribution de l’aide alimentaire : les bénévoles étant pour la plupart des retraités, souvent de plus de 65 ans, dans ce climat de sidération et de risque sanitaire, ils vont rester chez eux. Les associations et opérateurs habituels suspendent les distributions par manque de « bras ». Le travail bénévole manquant ainsi au rendez-vous de la distribution met un coup d’arrêt à la filière.
  • la troisième raison est liée à la fermeture des associations et services publics d’action sociale : ils « s’absentent » du terrain. Les petites associations, plus souples et plus agiles dans leur capacité d’adaptation se retrouvent en première ligne. Même si leur objet n’est pas celui de l’alimentation, elles sont obligées de s’y mettre. Des habitants commencent à s’organiser pour aller faire des courses pour les plus âgés, les femmes seules avec de jeunes enfants, les personnes à mobilité réduite, etc. Ces petites associations deviennent des points d’appui en terme d’auto-organisation de la solidarité.

L’AN 02, 3e arrondissement de Marseille
Petite association de sept personnes au début du confinement, habituée à intervenir sur le modèle du travail social communautaire, elle est présente dès le début du confinement. Ils font ce qu’ils savent faire : mettre en contact des personnes avec des demandes avec des bénévoles pouvant répondre. Ils mettent en place une plateforme téléphonique où l’objectif est de rapprocher les demandes de certains avec les réponses pouvant être apportées par d’autres. Leur réactivité amène vers eux un nombre important de demandes mais aussi de réponses solidaires. Lors de l’interview de Jonas (4e semaine) 260 personnes ont/avaient participé au dispositif. Face au manque de réponse publique, ils prennent en charge la distribution alimentaire  : dans un premier temps, ils cherchent des sources d’approvisionnement et dans un deuxième temps, lorsque l’aide alimentaire se réorganisera, ils assureront la distribution.
Retrouvez l’interview de Jonas : https://www.facebook.com/watch/?v=155410305774744

 la quatrième raison est liée à la fragilité des ressources liées à des activités à temps partiel et des activités informelles qui sont suspendues. La présence de tous les membres de la famille au foyer dont en particulier les enfants normalement inscrits à la cantine de leur école ou collège, et les denrées alimentaires à bas prix en rupture de stock font exploser les budgets. De plus, comme pour une partie de la population, le grignotage est présent comme façon de lutter contre le stress ambiant.

L’organisation de l’aide alimentaire

Dès la fin de la première semaine de confinement, des banques alimentaires, des fédérations du Secours populaire, des centres des Restos du Cœur s’organisent pour reprendre les distributions. Mais ils ne seront pas présents sur l’ensemble du territoire car il leur faut résoudre plusieurs difficultés :

  • la disponibilité des bénévoles : les associations ayant des activités autre que l’aide alimentaire lancent des appels et leurs bénévoles, plus jeunes, qui habituellement sont au travail, répondent présent. Des étudiants rejoignent également ces associations.
  • l’approvisionnement : dans la première semaine, la fermeture de la restauration hors foyer permet de distribuer toutes ces denrées qui ne sont pas consommées et une partie de l’approvisionnement qui était prévu pour la semaine suivante. Puis dans un deuxième temps, ce stock est épuisé et la grande distribution, habituellement pourvoyeuse de l’aide alimentaire, n’a pas beaucoup de choses à proposer.
  • une fois réglées les questions de la disponibilité des bénévoles et de l’approvisionnement de produits à distribuer, la réorganisation administrative est aussi à revoir : la plupart des salariés des conseils départementaux, des mairies, des services sociaux est pour partie en télétravail ou en absence de service autorisée. Les conditions d’accueil sont très inégalitaires selon les territoires.
  • la distribution doit se faire sous forme de colis de produits secs et pour une durée minimum de deux semaines de façon à éviter aux personnes concernées de sortir.

L’exemple de la plateforme de Montpellier
Le Secours populaire de l’Hérault maintient l’ouverture de sa distribution alimentaire et arrive à stocker des produits d’hygiène en particulier juste avant le début du confinement. Les associations habituées à intervenir auprès du public en grande précarité se demandent comment répondre à l’urgence alimentaire puisque toutes les autres distributions s’arrêtent. Une coordination de plusieurs associations se met en place et se tourne vers le Secours populaire pour les aider à s’organiser. Le secrétaire général départemental a à son actif plusieurs missions humanitaires pour le Secours populaire. Il a, d’une part, utilisé les quelque temps avant la mise en confinement pour acheter des produits d’urgence, et d’autre part, fait appel aux comités locaux pour que des bénévoles plus jeunes viennent renforcer la logistique. Il propose aux bénévoles du Bus Solidarité qui intervient auprès des étudiants de venir les rejoindre. De son côté le Secours Catholique, présent depuis le début, propose avec la présence du salarié et de quelques bénévoles de prendre en charge l’accueil de la demande d’urgence. Un protocole sanitaire est co-construit entre les différents intervenants et ils mettent en place une distribution de colis alimentaires, dans un hangar prêté pour le temps du confinement par le Conseil Départemental.

Il y aura trois sessions d’une semaine de distribution espacée de 15 jours pour réalimenter les stocks. Les personnes sont adressées vers cette plateforme par les Caisse centrale d’activités sociales (CCAS) et les Missions locales de la métropole, le CHU, les associations humanitaires, les services d’État en charge des migrants, les services sociaux. Environ 3 000 personnes sont destinataires de ces distributions. Les demandes augmentent à chaque nouvelle distribution. À la fin du confinement, les associations estiment qu’il y aura environ 50 % de personnes supplémentaires. Sur ces 3 000 personnes, 1 800 habitent en squats ou l’un des dix bidonvilles de la ville. Dans la population venant à la plateforme, il y a des familles qui ne sont pas des habitués de la distribution alimentaire : ce sont ceux que Sylvain de la Petite Cordée appelle les « Gilets Oranges » : ils pourraient être des Gilets Jaunes, pour lesquels les réseaux de solidarité n’existent plus et pas encore dans la situation de grande précarité  ; pourtant ils sont « à fleur » du basculement et leur venue est un signal fort quant à l’état social du pays.

En parallèle, des centaines d’actions solidaires se sont développées sur l’ensemble du territoire comme les soutiens des réseaux Amap avec la mise à disposition de paniers, mais aussi des citoyens ordinaires qui ont partagé avec d’autres. Les articles dans la presse se multiplient et donnent un aperçu des actions.

Trois types d’interventions s’organisent de façon synchronique :

1) Des actions plutôt portées par des associations de lutte contre la pauvreté  : celles-ci s’adressent dès le début du confinement aux sans-abris, aux habitants des logements précaires (bidonvilles, camps, squats, hôtels, etc.)


  19 mars, actu.fr – Le restaurant social La Chaloupe à Rouen reste ouvert et accueille les sans-abris confinés dehors ;
  21 mars, Le Progrès – Saint-Étienne, la Société Saint-Vincent-de-Paul continue les distributions d’aide alimentaire dans le quartier du Soleil ;
  25 avril , site Enlargeyourparis– Une banque alimentaire créée par Amelior, association de soutien aux biffins. Les biffins et les ferrailleurs connaissent la précarité ; cependant ne pas pouvoir acheter de quoi manger est une situation nouvelle. Depuis le début du confinement, leurs activités sont arrêtées car il n’y a plus aucune récupération possible et la plupart n’a pas de droits sociaux.

2) Des actions portées par des associations de lutte en lien aux quartiers populaires  : ces associations ou collectifs participent activement à la mise en place de distribution alimentaire en affichant la liberté d’accès (pas de contrôle d’identité et pas de gestion directe des inscriptions). Une partie d’entre elles sont soutenues par le Secours populaire par une forme de « mécénat de compétences » sur la mise en place d’une organisation (protocole sanitaire, logistique, approvisionnement, distribution, etc.) propre aux interventions humanitaires.


 10 avril – Le Progrès - La réquisition d’un MacDo. Le Syndicat des Quartiers Populaires de Marseille réquisitionne un MacDo, en liquidation judiciaire depuis décembre 2019, dans le 14e arrondissement de Marseille. Il devient un centre de distribution d’aide alimentaire.
 23 avril – RT France - Le collectif Association Collectif Liberté, Égalité, Fraternité, Ensemble, Unis (Aclefeu) à Clichy-sous-Bois a distribué des denrées fournies par des grossistes et des commerçants originaires du quartier et on a assisté à des queues s’étirant sur 300 mètres et de longs temps d’attente. Plus de mille demandeurs ont été servis ce jour.
 27 avril – La Marseillaise – Alerté par l’Unef, Emmaüs livre deux camions de denrées alimentaires aux étudiants de Saint Charles. Certains étudiants disent ne pas avoir mangé depuis deux ou trois jours.

3) Les collectivités territoriales interviennent par des repas, des colis alimentaires ou des chèques alimentaires.


 6 avril – Le Figaro - La ville de Brest distribue des bons alimentaires pour les familles dont les enfants sont inscrits à la cantine à un tarif réduit. Le montant de la subvention est de 300 000€.
 15 avril – La Marseillaise – Marseille rouvre sa cuisine centrale pour livrer 5 000 repas par jour.
 18 avril – La Voix du Nord– La mairie de Lille met en place la distribution de denrées alimentaires pour 6 000 enfants privés de cantine (environ 3 500 familles concernées). Celle-ci se déroule dans les écoles et est réalisée par des agents de la ville. Les paniers sont constitués de fruits et légumes, de produits laitiers et de produits secs pour deux semaines.
 6 mai – actu.fr– La région Occitanie propose des « paniers solidaires Occitanie » avec des produits locaux. Cette action se déroulera de la mi-mai à fin juin. Les produits de ces paniers sont achetés par la Région auprès des producteurs locaux et issus de dons.

Le 23 avril, le gouvernement apporte un soutien financier supplémentaire de 39 millions. Il y est prévu une allocation de 105€ pour les familles bénéficiant du revenu de solidarité active (RSA) et de l’allocation de solidarité spécifique (fin de droits au chômage). Cordonnées par les préfectures, ces aides sont distribuées par les CCAS et les associations sous forme de chèque d’urgence alimentaire. Ce sont essentiellement les territoires métropolitains qui sont concernés mais par le biais des CCAS des territoires ruraux peuvent en être destinataires.

Le tableau ci-dessous récapitule la présence et l’intensité de l’intervention, à partir des témoignages des acteurs dans les quartiers urbains en situation de pauvreté.

Les leçons du confinement

La crise a montré le manque de souplesse des services publics quant à leur réactivité  : il aura fallu une bonne quinzaine de jours avant que ceux- ci soient en capacité de trouver une organisation capable de faire face aux besoins alimentaires de la population. Il en est de même pour les associations institutionnelles. En outre, les interventions se sont mises en place de façon très différentes en fonction de la réalité des forces au niveau local et micro-local  : ici c’est le Secours populaire, là c’est la banque alimentaire, et ailleurs les Restos du Cœur. Les associations confessionnelles ont également pris place dans les divers partenariats comme Muslihands à Lyon, ou le Secours Catholique dans beaucoup de communes, y compris l’armée comme par exemple à Belfort, en renfort des Restos du Cœur.

Au manque des équipements sanitaires s’est ajoutée la fragilité de la logistique qui a mis au jour l’interdépendance des acteurs du système alimentaire et de la filière de l’aide alimentaire. Les petites associations ont su s’adapter alors que les institutions se sont retrouvées en situation d’arrêt total. Sans cette réactivité première, la situation sociale aurait probablement dérapé plus fortement.

Le modèle d’intervention est celui de l’aide humanitaire motivée par un risque majeur de manque alimentaire. Cependant, en dehors du Secours populaire, de la Croix Rouge et des associations type Médecins du Monde qui avaient, en interne, des compétences et de l’expérience en matière d’interventions humanitaires, les autres acteurs (y compris les services publics) ont mis du temps à trouver les formes d’organisation face au contexte singulier de la pandémie. Même si la coordination organisée rapidement par les préfets s’est mise en route dès la première semaine, elle a peiné à se mettre en place. Un certain nombre d’intervenants interviewés nous ont dit qu’ils avaient souvent été eux-mêmes initiateurs de coordination pour mutualiser leurs moyens (ressources humaines, logistique et produits). En outre, les efforts du gouvernement et de ses services se sont concentrés sur la prise en charge médicale en première urgence, laissant aux uns et aux autres le devoir de répondre à la situation alimentaire des populations précaires.

Les produits distribués ont été essentiellement des produits secs. Les produits frais (fruits, légumes, et produits laitiers) ont fait défaut. L’approvisionnement en temps ordinaire se porte sur des fruits et légumes souvent achetés sur les circuits longs alors que durant cette période la disponibilité était davantage liée à la production de proximité, plus chère.

Les opérateurs de l’aide alimentaire ont dû dépasser leurs clivages habituels pour partager l’accès aux ressources et faire avec des associations, plus petites et probablement plus engagées dans des projets d’émancipation des populations concernées. Ces petites associations ont été en majorité des points d’ancrage de la solidarité en actes dans des territoires souvent en jachère de l’intervention institutionnelle. À la sortie du confinement, il sera difficile de les renvoyer dans l’ombre.

Le soutien massif apporté par les collectivités territoriales (communales, intercommunales, département et région) dès qu’elles ont pu réintervenir, a permis probablement d’éviter une dégradation encore plus importante pour ces populations fragilisées économiquement.

Les CCAS ont été des acteurs essentiels dans l’accueil de la demande d’urgence. La coordination des différents opérateurs s’est structurée au fur et à mesure et a rempli son rôle d’accessibilité pour les plus éloignés.

Toutefois la réactivité du corps social à travers une multitude d’initiatives de solidarité inédites, imaginées dans l’urgence a mis en lumière une dynamique impressionnante. Des jeunes, des femmes, comme à Bassans (16e arrondissement de Marseille) étaient en première ligne pour assurer les réponses aux besoins ordinaires et donner accès aux aides d’urgence comme les chèques, les bons ou les tickets alimentaires [1]. Sur les campus des étudiants, enseignants et habitants sont venus en aide aux étudiants confinés dans les cités universitaires avant que les Centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires (Crous) y participent. Une responsable d’un service social du Crous dans un article de Libération du 7 avril, en réponse aux critiques du collectif local explique que « Nous assurons la continuité de nos services. Il a fallu toutefois les renforcer durant cette période, ce qui ne se fait pas du jour au lendemain. La temporalité n’est pas la même entre un collectif et une administration… Nous avons dû attendre les directives de l’État. » La réponse de cette responsable correspond à la réalité de ce qui s’est passé sur l’ensemble du territoire national et pour l’ensemble des populations précaires ou précarisées par le confinement.

L’ensemble des intervenants, à la veille de la fin du confinement témoigne :

  • de la mise en lumière des invisibles, complètement dépendants de l’aide alimentaire pour accéder à l’alimentation que sont les habitants des squats, des bidonvilles, des camps et les sans-abris. Même si cette réalité était connue par les associations intervenant habituellement, elle l’était moins pour les autres opérateurs de l’action sociale. Les modes d’organisations de l’action sociale reposant sur la séparation des publics rendaient aveugle l’ampleur de la situation réelle de ces personnes.
  • de la présence de nouveaux pans de populations à ces distributions d’aide alimentaire. Tous évaluent 30 à 50 % de bénéficiaires supplémentaires. Si cela se confirme, aux 5,5 millions de bénéficiaires avant le confinement, il faudra rajouter ces 1,6 à 2,7 millions supplémentaires.
  • du fait que ces demandes ne s’arrêtent pas avec le confinement et qu’il va bien falloir continuer à permettre l’accès alimentaire. Le financement et la diversification des produits distribués vont être centraux pour la suite.
  • L’aide a consisté en produits secs et peu de produits frais à la fois pour des difficultés d’organisation logistique complexe dans le contexte sanitaire et d’approvisionnement. En outre, les produits d’hygiène, absolument nécessaires pour les gestes barrières, sont achetés et font peu l’objet de dons. Ils ont représenté une partie non négligeable des budgets des intervenants. L’accès à l’eau est resté problématique pour les sans-abris et les habitants des camps et certaines associations se sont posées la question de distribution de bouteilles d’eau.

Les enjeux pour la suite sont importants et le manque de revenus des familles précaires laisse de lourdes traces sociales. Tout le travail effectué depuis dix ans sur l’accompagnement au changement des pratiques alimentaires a volé en éclat face à la réalité du retour de la faim ou de la peur d’avoir faim. La démocratie alimentaire soutenant l’appropriation par les populations, des systèmes alimentaires dont ils ont besoin, est plus que nécessaire. Mais cet épisode de mise en place d’une aide humanitaire risque d’engager des réponses assignant les populations à petits budgets à n’accéder à l’alimentation que sous cette seule forme. Le dispositif d’aide alimentaire existant depuis 1985 [2] a déjà largement creusé ce sillon. Et le paradoxe se durcit entre la population qui s’est saisie des circuits courts pour s’alimenter et celle qui va continuer à dépendre de cette aide humanitaire.

Cependant, les collectifs et associations intervenant sur les quartiers populaires et qui ont fait face dans des conditions difficiles, ne vont certainement pas baisser les bras, replaçant l’alimentation comme objet politique.

Dans les éléments de connaissance du virus, la comorbidité liée aux maladies chroniques dont certaines variables sont directement connectées à la qualité nutritionnelle met également au grand jour la place des fruits et légumes, des produits frais en général et à l’inverse des consommations d’aliments ultra-transformés. Ainsi les enjeux de démocratie alimentaire pointent avec encore plus de force la rupture d’égalité dans les conditions d’accès à une alimentation saine.

Conclusion

Cette situation de crise a montré combien l’accès de toutes et tous à une alimentation de qualité ne peut être pensé comme simple question technique, qui devrait être régulée par le marché. Cela relève au contraire d’un enjeu démocratique pour définir les principes et les modalités concrètes de cet accès, considéré comme un besoin essentiel, au même titre que la santé, le logement, l’éducation, la culture…

Les propositions sur le droit à l’alimentation durable comme fondement d’une réelle démocratie alimentaire, s’appuyant sur une restauration collective à plus grande échelle, un service public de l’alimentation désencastré du Ministère de l’agriculture, à l’échelle locale, participent d’une réflexion urgente vers une sécurité sociale de l’alimentation.

Dominique Paturel, INRAE - UMR Innovation, LISRA et Collectif Démocratie Alimentaire.


[1Ces chèques, bons ou tickets alimentaires sont soit les dispositifs déjà existants et distribués par les Centres communaux d’action sociale, soit les dispositifs mis en place dans l’urgence par les communes, les régions et l’État.

[2Pour comprendre le dispositif d’aide alimentaire, Paturel, D (2013) Aide alimentaire et accès à l’alimentation, [en ligne] https://inra.academia.edu/DominiquePATUREL