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N°21/ La malnutrition des enfants au Guatemala : facteurs aggravants et leviers

 Juliana Yael Milovich, Oxford Poverty and Human Development Initiative, Royaume-Uni
 Elena Villar, Département d’économie et de finance, Université Catholique de Milan, Italie

Les points clés de ce So What ?

 Au Guatemala, l’expansion agressive de la culture des palmiers à huile contribue à aggraver la malnutrition chronique des enfants en compromettant l’accès des familles à une alimentation suffisante.
 Les programmes de santé nutritionnelle qui opèrent au niveau local et impliquent la participation de tous les membres des communautés sont particulièrement efficaces pour réduire la malnutrition des enfants.
 L’aide internationale est utile lorsqu’elle s’engage à financer ces types d’interventions, qui visent à améliorer les capabilités individuelles et à augmenter le bien-être humain au sein des communautés.

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La pauvreté est plus complexe que le seul manque de revenus dont un individu aurait besoin pour satisfaire ses besoins essentiels. Elle est multidimensionnelle et peut se manifester par la privation des capabilités [1] de base qui permettent à un individu d’être éduqué, nourri, logé dans de bonnes conditions ou encore d’être en bonne santé, entre autres (Alkire et Foster, 2011). Lorsque la pauvreté est mesurée à l’aide de l’indice global de pauvreté multidimensionnelle (IPM global) qui tient compte de ces multiples privations, ce sont 1,3 milliard de personnes dans 101 pays, soit 23,1 % de la population de ces pays, qui vivent dans une pauvreté multidimensionnelle aiguë (OPHI et PNUD, 2019). Par comparaison, lorsque la pauvreté est mesurée par le pourcentage de la population vivant avec moins de 1,90 dollar US par jour, ce sont 9,1 % de la population mondiale qui sont touchés (données de la Banque mondiale en 2017 [2]).

De manière plus détaillée, l’IPM global permet de comprendre le niveau de pauvreté des personnes au moyen de dix indicateurs ou privations. L’un d’entre eux identifie une privation en matière de nutrition lorsqu’un individu vit dans un ménage dans lequel une personne de moins de 70 ans souffre de malnutrition. Au niveau mondial, 14,5 % de la population est pauvre et privée concernant cet indicateur. Et si 2 % de ces personnes vivent dans la région de l’Amérique latine et des Caraïbes (ALC), la proportion la plus élevée de la région, après le Mexique, vit au Guatemala (19,4 %).

Un enfant sur deux concerné par la malnutrition chronique

Le Guatemala est le pays le plus peuplé d’Amérique centrale, avec environ 15 millions d’habitants en 2018, dont 50,5 % vivent dans les zones rurales. Ce pays est caractérisé par une importante biodiversité, comprenant quatorze écorégions avec cinq écosystèmes différents. La diversité ethnique, culturelle, raciale et linguistique est une autre de ses caractéristiques. Selon la dernière enquête nationale sur la santé de la mère et des enfants de 2014/2015 (ENSMI, en espagnol), environ 44,4 % des mères sont d’origine autochtone, d’ascendance amérindienne, ce qui est le pourcentage le plus important de la région de l’ALC, après le Pérou et la Bolivie. Bien que l’espagnol soit la langue officielle, il existe au moins vingt-quatre langues maya, chacune appartenant à un groupe ethnique, comme le K’iche’, le Q’eqchi, le Kaqchikel et le Mam.

Le pays est classé dans la catégorie des pays à revenu intermédiaire supérieur et son revenu national brut par habitant était de 4 610 dollars US en 2019 [3]. Pourtant, la pauvreté et les inégalités sont encore très persistantes et parmi les plus élevées de la région de l’ALC : 28,8 % de la population vivent dans la pauvreté multidimensionnelle, ce qui représente la proportion la plus élevée en Amérique latine après Haïti. L’un des problèmes les plus préoccupants est le taux très élevé de malnutrition des enfants. Un enfant de moins de cinq ans sur deux est confronté à une condition de malnutrition chronique et 12,6 % sont en insuffisance pondérale. Ces taux sont parmi les plus importants de la région de l’ALC et du monde. Les niveaux les plus élevés sont retrouvés dans les départements de l’ouest du pays, où vit la majeure partie de la population autochtone. Le pourcentage d’enfants de moins de cinq ans souffrant de malnutrition chronique y atteint 60 à 90 % dans certaines municipalités, alors que dans le reste du pays, la part moyenne ne dépasse pas les 40 % (figure 1).

Le secteur agro-exportateur, facteur aggravant la malnutrition des enfants

La situation agraire actuelle est le résultat de l’accaparement des terres, un processus historique qui a conduit à 36 ans de guerre civile et de conflit agraire entre 1960 et 1996. Aujourd’hui, l’accès aux terres arables est très concentré. Environ neuf producteurs sur dix sont des petits producteurs qui, au total, ne cultivent que 21,9 % de la superficie agricole, avec une moyenne de 2 hectares par propriété. En parallèle, les 1,9 % de producteurs commerciaux, c’est-à-dire dirigeant exclusivement leurs produits vers l’exportation, cultivent 56,6 % des terres agricoles, avec une moyenne de 137 hectares par propriété (données issues du dernier recensement agricole de 2003).

Le secteur agricole est ainsi marqué par une forte dualité. D’un côté, un secteur exportateur relativement récent reposant essentiellement sur la culture de canne à sucre, de palmier à huile, de café, de cardamome et de banane et, de l’autre, un secteur plus traditionnel, moins productif, mais beaucoup plus vital pour les familles autochtones et paysannes, qui repose principalement sur la production de maïs et de haricots.

La base de l’alimentation au Guatemala est constituée de tortillas de maïs et de frijoles volteados. Mais depuis plus d’une décennie, c’est la culture du palmier à huile qui est le nouveau moteur de la production agricole nationale  : + 17,3 % d’hectares cultivés par an depuis 2003 et + 20 % d’exportations annuelles en tonnes depuis 2006. Alors que la culture du palmier à huile a vu ses rendements augmenter pour atteindre un niveau compétitif sur les marchés mondiaux, les rendements des cultures de base stagnent. La dépendance du pays aux importations de maïs augmente depuis les années 2000, à un point tel qu’en 2015, cette base de l’alimentation guatémaltèque est devenue l’un des huit principaux produits d’importation. L’expansion de terres dédiées à la culture du palmier à huile s’est d’abord effectuée au détriment des plantations de coton et des élevages de bétail dans la région du Sud-Ouest. Mais elle évolue vers l’achat et la dépossession forcée des terres communales et familiales détenues par la population autochtone, tant dans cette région que dans le nord du pays. De plus, cette culture a récemment donné lieu au dragage des rivières et à une utilisation abusive des ressources en eau. La dépossession des terres et de l’accès à l’eau entraîne non seulement une déstructuration des modes de vie établis au sein des familles et des communautés, mais compromet également l’accès de ces dernières à une nourriture suffisante et augmente les risques de malnutrition, notamment pour la population la plus vulnérable, les enfants et les femmes (De la Roca, 2019) [4].

Les résultats d’enquêtes nationales montrent que l’expansion agressive de la culture du palmier à huile dans la région du Sud-Ouest du Guatemala augmente de 6,1 points la probabilité de voir des enfants de moins de cinq ans souffrir de malnutrition chronique, soit 12,4 % par rapport au taux de malnutrition infantile dans le reste du pays avant le début de cette expansion (voir Méthodologies). L’impact nutritionnel est observé particulièrement dans le retard de croissance chez les enfants de deux à cinq ans. Cela reflète un apport nutritionnel déficient répété lors des mille premiers jours de la vie, qui sont ceux au cours desquels l’enfant grandit plus rapidement et nécessite un apport nutritionnel plus élevé, des soins de santé adéquats et un bon environnement pour atteindre son plein potentiel de croissance et de développement. Au cours de cette période, si leur apport nutritionnel est insuffisant, les enfants sont plus vulnérables à une condition de malnutrition chronique et à des conséquences irréversibles, telles qu’un risque accru de maladie et de décès, un développement mental retardé, de mauvais résultats scolaires et une capacité intellectuelle réduite (Cashin et Oot, 2018).

Leviers pour améliorer la santé nutritionnelle des enfants

Pour faire face au défi croissant de la malnutrition des enfants, des institutions locales, telles que la Fondation FUNDAP [5], travaillent avec les communautés pour renforcer les capacités des mères et des familles. Ainsi, le programme de formation Voluntarias en Salud (volontaires en santé) dispense aux participants (90 % de femmes) des connaissances spécifiques sur la santé des femmes, la fécondité, la grossesse, l’accouchement, les soins aux nouveaux-nés et la nutrition de la mère et de l’enfant. Une fois la formation terminée, ces volontaires fournissent un service de conseil au sein de leurs communautés appelé Ciclos de Recuperación Nutricional (cycles de récupération nutritionnelle). Ces cycles consistent à améliorer les connaissances des mères en matière de pratiques alimentaires et de santé de l’enfant, à fournir des aliments et des vitamines pour leurs enfants et à mesurer leur croissance mensuellement pendant six mois.
Les analyses menées montrent que l’état de santé nutritionnelle des enfants de moins de cinq ans est amélioré lorsqu’ils bénéficient d’un cycle complet. Trois indicateurs anthropométriques ont été mesurés : le retard de croissance (malnutrition chronique ou basse taille pour l’âge), l’émaciation (malnutrition aiguë ou bas poids pour la taille) et l’insuffisance pondérale (la combinaison des deux précédents) – à la fois modérés et sévères. La figure 2 indique la probabilité qu’un enfant se trouve dans l’une de ces trois conditions de mauvaise santé nutritionnelle à chacune de ses visites. Nous observons que cette probabilité diminue au fur et à mesure des visites, et ce, pour les trois types de malnutrition.

Des programmes similaires mis en œuvre dans d’autres régions du monde se sont également avérés efficaces pour améliorer la santé nutritionnelle des enfants. Par exemple, l’intervention MainMwana menée au Malawi en 2005 a considérablement amélioré non seulement la nutrition des enfants, mais aussi la consommation alimentaire des ménages et, par conséquent, la santé globale de la famille (Fitzsi-mons et al., 2016).

Le financement de ces programmes en question

Bien que la pauvreté semble globalement diminuer au cours du temps, de nombreux efforts doivent encore être réalisés. En ce sens, l’aide publique au développement a traditionnellement été identifiée comme l’un des principaux leviers à déployer pour réduire la pauvreté dans le monde. En effet, le montant des aides reçues par les pays a augmenté depuis la première vague de financements survenue en 1960, et a atteint un montant total de 160,8 milliards de dollars US en 2017. Et pourtant, les chiffres de la pauvreté restent élevés et inégalement répartis entre les régions du monde. Cela a conduit de nombreux chercheurs à analyser l’efficacité de l’aide, sans parvenir à des résultats concluants. En effet, plusieurs défis empiriques doivent être relevés, parmi lesquels disposer de données fiables et détaillées sur les facteurs supplémentaires (autres que le revenu) qui affectent le bien-être des personnes. Il ressort des données sur la pauvreté multidimensionnelle issues de l’Oxford Poverty and Human Development Initiative (OPHI) pour 64 pays que des montants d’aides reçues plus importants entraînent un niveau moindre de pauvreté multidimensionnelle, tandis que leur effet sur la pauvreté monétaire n’est pas significatif. Ainsi, encourager l’aide publique au développement vers les secteurs et les activités qui contribuent au bien-être humain reste essentiel dans de nombreuses économies comme celle du Guatemala. Toutefois, repenser le modèle de production agroalimentaire du pays reste une priorité, notamment dans une perspective de renforcement de la souveraineté alimentaire.

Conclusions

Ce travail permet de souligner l’urgence de repenser le modèle de production agroalimentaire du Guatemala, à travers une meilleure intégration des activités agricoles paysannes autochtones qui contribuent à promouvoir une agriculture plus durable et respectueuse des ressources naturelles et des populations. L’aide publique au développement pourrait jouer ici un rôle important dans l’amélioration de la santé nutritionnelle des enfants, à condition qu’elle s’engage à financer des projets et des politiques mis en place au niveau local et visant à améliorer les capabilités des individus en matière d’éducation, de nourriture, de logement et/ou de santé, entre autres, afin d’augmenter le bien-être humain au sein des communautés. Ce travail suggère ainsi plusieurs pistes permettant d’aller vers un développement durable au Guatemala, afin que chaque individu, et en particulier chaque enfant, puisse vivre dans la dignité.

Méthodologies

Le travail présenté repose sur plusieurs types de données : des données macroéconomiques pour 64 pays, des données d’enquête relatives au Guatemala et des données individuelles provenant de la Fondation FUNDAP. Trois méthodologies principales ont été utilisées. La première compare les différences de probabilité qu’un enfant soit confronté à une condition de malnutrition lorsqu’il habite soit dans la région du Sud-Ouest soit dans le reste du pays, avant (1999-2009) et après (2010-2015) le début de l’expansion agressive de la culture du palmier à huile dans cette région spécifique. La seconde étudie l’évolution de la probabilité qu’un enfant soit confronté à une condition de malnutrition à partir de la visite initiale du Ciclo de Recuperación Nutricional et dans chacune des six visites du cycle (entre 2014 et 2020). La troisième méthode utilise une variable instrumentale pour analyser la relation entre le montant moyen de l’aide reçue de la part des États-Unis par 64 pays au cours de la période 1946-2000 et les niveaux moyens de pauvreté observés au cours de la période 2000-2014.

 Juliana Yael Milovich, OPHI, Royaume-Uni
 Elena Villar, Département d’économie et de finance, Université Catholique de Milan, Italie

Références

Alkire S., Foster J. 2011. Counting and multidimensional poverty measurement. Journal of Public Economics, 95(7-8), 476-487.

Cashin K., Oot L. 2018. Guide to anthropometry. A practical tool for program planners, managers, and implementers. Washington, DC : USAID, FANTA III, fhi360, 231 p.

De la Roca, P. 2019. Loss of territory, environmental pollution and food insecurity. Problems generated by the expansion of African palm in Guatemala. Estudios Interétnicos/IDEI, 30, p. 67-96.

Fitzsimons E., Malde B., Mesnard A., Vera-Hernandez M. 2016. Nutrition, information and household behaviour : Experimental evidence from Malawi. Journal of Development Economics, 122, 113-126.

OPHI, PNUD. 2019. Global Multidimensional Poverty Index 2019. Illuminating Inequalities. OPHI, UNDP, 26 p.

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[1Mot traduit de l’anglais « capabilities » utilisé pour mesurer la pauvreté multidimensionnelle (Alkire et Foster, 2011).

[4Pour des références visuelles, voir la vidéo « Aj Ral Ch’och’ - Hijas-os de la Tierra - Sons of the Earth », de Caracol Producciones et IDEAR-CONG-COOP sur www.youtube.com/watch?v=rgpEvC94OM0