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N°13/ Les jardins partagés peuvent-ils promouvoir des modes de vie plus durables ?

  • Marion Tharrey, doctorante en nutrition et santé publique, Inrae, UMR Moisa, Montpellier, France
  • Nicole Darmon, directrice de recherche, Inrae, UMR Moisa, Montpellier, France

Les points clés de ce So What ?

 Les résultats de l’étude JArDinS, conduite dans la métropole de Montpellier, n’ont pas montré de changements vers des modes de vie plus durables chez les usagers des jardins partagés un an après leur entrée dans le jardin.
 Les nouveaux jardiniers ont fait part de plusieurs difficultés pour s’investir dans leur jardin partagé, qu’ils fréquentent irrégulièrement. Ceci pourrait expliquer qu’aucun impact sur leurs modes de vie n’ait été observé.
 Afin que les jardins partagés puissent promouvoir des modes de vie plus durables, leur organisation doit être repensée en vue de favoriser l’intégration et la participation active des jardiniers sur le long terme (implantation à proximité des domiciles, encadrement et animations régulières).

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Avec plus de 70 % de la population européenne vivant en ville, il est urgent de promouvoir un développement urbain durable qui garantisse la santé et l’inclusion des communautés, la protection de l’environnement et le développement économique. Les espaces verts urbains sont reconnus comme un élément indispensable dans la conception de villes durables. Ils procurent de nombreux avantages au niveau de la santé comme aux niveaux social et environnemental, en particulier chez les populations les plus vulnérables (WHO Regional Office for Europe, 2016). Parmi les différentes formes d’espaces verts, il y a les jardins partagés. Ce sont des parcelles individuelles et/ou collectives cultivées et gérées par les habitants d’un quartier. Ces jardins sont développés dans le cadre de la politique de la ville ou de programmes de renouvellement urbain. Ils ont principalement une vocation sociale et culturelle, tout en permettant l’accès à des produits frais, de bonne qualité nutritionnelle et de saison. Ils s’inscrivent ainsi dans la recherche de systèmes alimentaires plus durables.

La littérature suggère que les jardins partagés auraient de nombreux bienfaits sur la santé de ceux qui les fréquentent. Ils favoriseraient notamment la consommation de fruits et légumes, l’activité physique, mais aussi le bien-être mental et le lien social (Alaimo et al., 2016). Néanmoins, les études menées à ce jour sont principalement qualitatives et/ou basées sur des déclarations. Ces études sont également « transversales » – c’est-à-dire qu’elles observent les jardiniers à un moment donné, en les comparant éventuellement avec des témoins enquêtés au même moment. Or ces études transversales, du fait de leur conception, ne permettent pas d’explorer un lien de causalité entre l’accès à un jardin partagé et l’adoption de modes de vie plus favorables à la santé et, de façon plus générale, à la durabilité (Tharrey et Darmon, 2021). En revanche, des études « longitudinales », qui suivraient les jardiniers dans la durée – avant et après leur accès au jardin partagé –, permettraient d’analyser ce lien de cause à effet. De plus, la plupart des études ont été réalisées dans un contexte nord-américain, marqué par ses spécificités urbanistiques, économiques, politiques et sociales. Ceci rend les résultats difficilement extrapolables aux contextes français et européen.

L’étude JArDinS (Jardins urbains pour une Alimentation Durable et Saine) a été mise en place pour répondre à ces limites (Tharrey et al., 2020). Conduite par des chercheuses de l’Inrae à Montpellier, l’étude évalue les changements induits chez les personnes après une première année passée dans un jardin partagé, selon trois dimensions de la durabilité (social/santé, environnement et économie). Cette étude a porté uniquement sur des nouveaux jardiniers intégrant un jardin partagé pour la première fois et n’ayant jamais eu d’expérience similaire, afin de s’assurer que leurs comportements n’ont pas déjà été modifiés par une précédente activité de jardinage. Ces nouveaux jardiniers ont été recrutés sur la base du volontariat à Montpellier en 2018. Ceux qui ont accepté de participer à l’étude JArDinS (taux de réponse de 61 %) étaient principalement des femmes (76 %), avec un niveau d’éducation élevé (76 % avec un diplôme universitaire) et sans enfant (72 %). Les jardiniers (n = 66) provenaient de dix-neuf jardins. Ces derniers étaient composés de parcelles collectives (68,2 %) ou individuelles (31,8 %). La moyenne d’âge à l’entrée dans le jardin était de 44 ans. Les éventuels changements de comportements des jardiniers après la première année ont été comparés à un groupe témoin de non-jardiniers (n = 66).

Une première année de jardinage aux effets limités

Après une première année de jardinage, l’étude n’a pas montré de changement des approvisionnements alimentaires vers plus de durabilité, ni d’amélioration de l’activité physique, du bien-être mental, du lien social, de la sensibilité au gaspillage alimentaire ou encore de la connexion à la nature. Ces résultats vont à l’encontre de la littérature basée sur des études transversales qui tend à souligner les multiples bienfaits des jardins sur la santé physique, mentale et sociale de ceux qui les fréquentent. Les mécanismes de changement de comportements, notamment en matière d’alimentation et d’activité physique, sont relativement complexes et il est possible qu’une année de participation à jardin partagé ne suffise pas à modifier les modes de vie. Des interventions menées en milieu scolaire ont néanmoins mis en évidence un effet bénéfique du jardinage sur la consommation de fruits et légumes sur des durées variables, entre trois mois et un an (Savoie-Roskos et al., 2017). Des entretiens approfondis auprès de quinze jardiniers ayant participé à l’étude, une année après leur entrée dans le jardin, ont permis d’identifier des éléments de réponse pouvant expliquer cette absence d’effets.

Les freins à la participation à un jardin partagé

Lors des entretiens qualitatifs, les jardiniers ont fait part des difficultés qu’ils ont rencontrées pour s’investir dans le jardin partagé au cours de cette première année d’expérimentation. Les plus importantes sont le manque de temps et l’absence de connaissances en matière de jardinage, ce qui a entraîné un découragement chez certains. D’autres barrières mentionnées par les jardiniers sont la difficulté physique du jardinage, des problèmes de santé ou encore l’existence de conflits entre jardiniers. La fréquentation du jardin était d’ailleurs relativement faible : sur les 66 jardiniers suivis, 63 % ont visité le jardin moins d’une fois par mois et 24 % ont abandonné le jardin dans le courant de l’année. L’absence de changements dans les modes de vie observés pourrait s’expliquer par cette insuffisante et irrégulière fréquence de jardinage. Mais, en concentrant l’analyse uniquement sur les jardiniers les plus actifs (visitant le jardin au moins une fois par mois, n = 37) ou sur ceux n’ayant pas abandonné le jardin au cours de l’année (n = 50), les conclusions restent inchangées : aucune modification de leurs modes de vie n’a été observée. Bien que ces conclusions doivent être considérées avec prudence du fait des faibles effectifs de ces sous-échantillons, elles suggèrent que même une fréquentation plus intense (comme celle des jardiniers les plus actifs) ne serait pas suffisante pour avoir un impact sur les modes de vie. À cet égard, dans la littérature, les preuves des bienfaits des jardins sur la santé proviennent principalement de programmes de jardinage en milieux institutionnalisés (écoles, hôpitaux ou centres de soins) où l’activité est animée de façon régulière par des professionnels, le plus souvent à raison d’une séance par semaine. Ces conditions sont plus difficiles à mettre en œuvre dans le cas des jardins partagés urbains où les contraintes de la vie quotidienne peuvent empêcher les jardiniers de s’impliquer autant qu’ils le voudraient.

Une prédisposition des jardiniers aux enjeux environnementaux et de santé

Pour les jardiniers, le contact avec la nature était un élément déterminant de l’entrée au jardin. Leurs principales motivations étaient de « toucher la terre et voir pousser des plantes » (83 %), « se détendre » (81 %) et « être en contact avec la nature » (79 %), tandis que les fonctions de lien social et de production alimentaire étaient moins souvent citées (59 % et 50 % des jardiniers, respectivement). Les entretiens qualitatifs ont confirmé l’intérêt de certains participants pour les enjeux écologiques et environnementaux et ce, dès l’entrée dans le jardin. Plusieurs jardiniers ont également évoqué le fait qu’ils étaient déjà sensibilisés aux enjeux de l’alimentation avant d’intégrer le jardin. Au regard de ces résultats, il est possible que les conclusions des études antérieures, qui observaient des comportements de santé plus favorables chez les jardiniers (que chez des non-jardiniers) mais qui ne les suivaient pas dans le temps, aient été sujettes à un biais de sélection. Autrement dit, les jardiniers enquêtés avaient vraisemblablement des modes de vie plus sains et plus durables que ceux de la population générale, et ce avant même d’intégrer le jardin. D’autre part, les jardiniers les plus sensibilisés à l’environnement et à la santé sembleraient plus à même de faire face aux difficultés posées par le jardinage dans un jardin partagé. Il est possible que ces personnes aient une plus grande volonté de s’engager pleinement et à long terme dans des actions qu’elles considèrent favorables à la durabilité, telles que l’investissement dans un jardin partagé. Dans l’étude, seuls les jardiniers actifs avaient dès l’entrée dans le jardin un score de lien à la nature plus élevé que les non-jardiniers, tandis qu’il n’y avait pas de différence entre les jardiniers moins actifs et les non-jardiniers. Ainsi, une condition pour que les jardins partagés puissent promouvoir des modes de vie plus durables, serait a minima de les rendre davantage accessibles aux individus peu sensibilisés à ces questions de durabilité.

Conclusions

Couplée à une analyse critique de la littérature sur les relations entre jardins partagés et santé (Tharrey et Darmon, 2021), l’étude JArDinS permet de dégager de nouvelles perspectives de recherche et des pistes d’action. Les résultats de l’étude soulignent les limites des formats de jardins partagés existants en France. Faire des jardins partagés un dispositif pertinent de promotion de modes de vie plus durables implique de repenser leur organisation pour favoriser l’intégration et la participation active des citadins. Au regard des freins identifiés, la création de jardins partagés à proximité immédiate du domicile pourrait réduire le stress des jardiniers lié à la gestion du temps et des déplacements. Compte tenu des résultats probants des programmes de jardinage en milieu scolaire ou médical relatés dans la littérature, il est probable que la présence d’animateurs ayant des connaissances pratiques en jardinage et encourageant les dynamiques de groupe favoriserait l’intégration et la participation à long terme des individus. Enfin, des jardins comprenant à la fois des parcelles individuelles et des espaces collectifs pourraient correspondre davantage aux attentes des jardiniers en permettant à chacun la gestion de son propre espace de culture tout en offrant une possibilité d’interaction avec les autres jardiniers. La production étant plus importante dans les jardins familiaux organisés en parcelles individuelles, on peut imaginer que l’attribution d’une petite parcelle individuelle couplée à un accompagnement par un animateur expert pourrait augmenter la production et ainsi avoir des répercussions positives sur l’alimentation, notamment auprès des populations défavorisées.

Méthodologie

JArDinS est une étude réalisée dans le cadre du projet Surfood-Foodscapes. Le recrutement des nouveaux jardiniers s’est fait en collaboration avec les structures locales en charge de la gestion des jardins partagés (Maisons pour tous, associations, etc.). Les critères d’inclusion étaient les suivants : être majeur, s’occuper (au moins en partie) des achats alimentaires du foyer et appartenir à un foyer dans lequel aucun membre n’a jamais participé à un jardin partagé. En parallèle, des témoins non-jardiniers ont été recrutés à partir de l’enquête Mont’Panier, également réalisée dans le cadre du projet Surfood-Foodscapes. Cette enquête, conduite auprès de 500 ménages, avait pour objectif d’étudier les relations entre l’environnement alimentaire urbain et les pratiques alimentaires des mangeurs. Les témoins ont été sélectionnés de manière à être les plus semblables possible aux jardiniers en termes socio-démographiques (témoins et jardiniers étaient appariés sur l’âge, le sexe, la structure et les revenus du foyer) et de lieu de vie (les témoins vivaient le plus près possible des jardiniers ou dans des typologies de quartiers similaires).

Les participants ont été enquêtés au moment d’intégrer le jardin, puis un an après, afin d’évaluer les changements de leurs modes de vie par rapport aux témoins non-jardiniers. Les participants ont (i) collecté leurs tickets de caisse alimentaires et rempli un carnet recensant les approvisionnements alimentaires mensuels de leur foyer (incluant les achats, les dons alimentaires et les récoltes du jardin) ; (ii) porté un accéléromètre pendant neuf jours pour mesurer leur niveau d’activité physique ; et (iii) complété un questionnaire en ligne.

Auteurs

  • Marion Tharrey, doctorante en nutrition et santé publique, Inrae, UMR Moisa, Montpellier, France
  • Nicole Darmon, directrice de recherche, Inrae, UMR Moisa, Montpellier, France

Le projet Surfood-Foodscapes analyse les effets des paysages alimentaires urbains (commerces alimentaires, marchés, jardins, etc.) sur les styles alimentaires des individus (consommations, pratiques et représentations) dans le Grand Montpellier. Il est financé et soutenu par Agropolis Fondation (Labex Agro : ANR-10-LABX-001-01, projet n° 1603-004), le Cirad, l’Institut Agro de Montpellier, l’Inrae, Montpellier Méditerranée Métropole et la Région Occitanie/Pyrénées-Méditerranée.
Plus d’information sur www.foodscapes.fr/

Références

Alaimo, K., Beavers, A. W., Crawford, C., Snyder, E. H., & Litt, J. S.
(2016). Amplifying health through community gardens : A framework for advancing multicomponent, behaviorally basedneighborhood interventions. Current Environmental Health Reports, 3(3), 302–312.

Savoie-Roskos, M. R., Wengreen, H., & Durward, C. (2017). Increasing Fruit and Vegetable Intake among Children and Youth through Gardening-Based Interventions : A Systematic Review. Journal of the Academy of Nutrition and Dietetics, 117(2), 240–250.

Tharrey, M., & Darmon, N. (2021). Health benefits of collective garden participation in urban adults : a systematic literature review. Nutrition Reviews (in press).

Tharrey, M., Sachs, A., Perignon, M., Simon, C., Mejean, C., Litt, J., & Darmon, N. (2020). Improving lifestyles sustainability through community gardening : results and lessons learnt from the JArDinS quasi-experimental study. BMC Public Health, 20(1), 1798.

WHO Regional Office for Europe. (2016). Urban green spaces and health - a review of evidence. World Health Organization.

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